Février : pluie et vent à tous les étages pour l’homme du XXIème siècle que l’on rencontre casqué dans les lieux et les transports publics, relié à son téléphone par des fils ou des oreillettes, porte ouverte sur le monde qu’il conserve en main comme un double de lui-même. Exit les Poissons, une nouvelle ère a commencé, celle du Verseau, de la communication par le net. Le temps filant comme un spoutnik, on préfère acheter en ligne que faire les magasins, et ce, malgré les soldes, pain béni pour la femme qui, pressée de cacher le squelette ou l’embonpoint sous l’habit, recherche l’accessoire : cache-nez en soie de phacochère, soutien gorge en peau de zèbre, corsages pigeonnants en velours de coton, chaussures tour de Babel. Monsieur n'est pas en reste. L’apparence le travaille moins. Il collectionne les Dinky Toys, préfère les disques, les films qu'il entasse, les joujoux technologiques, la bonne cuisine de Madame qu’il savoure en buvant des vins fins.
Et puis, il y a les livres, surtout les livres. J’en termine un, inoubliable, un roman de Jean Giono, feu d’artifice de bons mots, de dialogues savoureux. Un chef d’œuvre. Relié en demi chagrin rouge, mon exemplaire, un des deux cent cinquante-cinq exemplaires sur vélin pur fil Lafuma-Navarre après soixante sur vélin de Hollande van Gelder, porte le n°171. J’écris cela à l’attention de Jean-Louis Wiart, auteur d’une nouvelle remarquable sur la manie bibliophilique dans le n° 32 de la revue Rue Saint Ambroise (3 livraisons par an). “L’Iris de Suse” se passe en montagne. La neige succède à la bise noire mais la nourriture, frugale, n’empêche pas de mettre les petits plats dans les grands : boudin cuit à la poêle, pommes de terre de chair rose, truffe crue croquée comme une pomme accompagnée par des dés de pain trempés dans de l’huile d’olive... on a envie d’y goûter.
Que dire alors du menu dont se régale Philippe Adler, grand reporter de la revue trimestrielle 3 étoiles, en visite chez Paul Bocuse, collation que n'aurait point dédaignée Alexandre Dumas : lobe de foie gras poêlé, soupe aux truffes, rouget en écaille de pommes de terre, poularde de Bresse aux morilles ! On en a les larmes aux yeux, l’eau (de vie) à la bouche. Car Adler, la plume gourmande, raconte Monsieur Paul, sa vie (un roman), son œuvre et ses hors-d’œuvre, pose de bonnes questions, reçoit de grandes réponses. « Le coq tatoué sur votre bras gauche ? C’est mon copain ! Lorsque quelqu’un m’enquiquine, je lui parle à voix basse ». Philippe Adler sait écrire. Sept romans chez Balland, des articles pour l’Express et Jazz Hot dont il assura avec humour et compétence la rédaction en chef. De 1987 à 2003 il conçut et présenta Jazz 6 sur M6. Puis le silence, un retrait sur la pointe des pieds, le monde du jazz le perd de vue. Il ressuscite en pleine cuisine. Normal : comment oublier nos déjeuners pantagruéliques Chez Marcel, rue St-Nicolas, quand le jazz était Hot !
Pas de nouvelles de Monsieur Michu qui, surveillé par Madame, se repose dans le Midi de son infarctus. Certaines musiques sont plus dangereuses qu’une nourriture trop riche. Le festival Sons d’Hiver présentait au même programme à Arcueil le Tarkovsky Quartet (une merveille) et un duo Roscoe Mitchell / Wadada Leo Smith. Je suis parti à temps. Je n’avais pas atteint la gare que les sirènes des ambulances, bruissement strident d’insectes étranges, trouaient déjà un silence apprécié.
-Le pianiste Rémi Toulon au Sunside le 6 avec son trio habituel, Jean-Luc Aramy (contrebasse) et Vincent Frade (batterie), mais aussi Stéphane Chausse (clarinettes) qu’il invite sur quelques morceaux. On retrouve ce dernier dans “Quietly”, le nouvel album de Rémi qui contient de nouvelles compositions aux mélodies attachantes et quelques reprises bien choisies.
-Carte blanche à la saxophoniste Céline Bonacina au Sunside les 7, 8 et 9 février. On consultera le programme du club. Le concert du 8 surtout m’interpelle (à 21h30), avec Michel Benita à la contrebasse et le pianiste britannique Gwylim Simcock, grand technicien de son instrument, musicien raffiné au toucher magnifique dont l’incontestable bagage classique impressionne.
-Le 8 est également la date choisie par le saxophoniste Jean-Pierre Debarbat pour la première prestation parisienne de son Dolphin Orchestra. Le groupe s’était illustré dans les années 70 et 80, publiant plusieurs disques chez RCA. Il revit aujourd’hui avec deux des musiciens de la formation originale – Olivier Hutman au piano et Jacques Vidal à la contrebasse – et Stéphane Huchard à la batterie. Concert au Caveau des Légendes, 22 rue Jacob 75006 Paris.
-Hommage à Giovanni Battista Pergolèse (1710-1736), l’album “Il Pergolese” réunit Maria Pia De Vito (voix), François Couturier (piano), Anja Lechner (violoncelle) et Michele Rabbia (percussions). Pour le jouer, la formation sera le 10 au Café de la Danse (20h00). Le répertoire du compositeur napolitain (originaire de Jesi, province d’Ancône), offre quantité de mélodies permettant d’improviser. Le groupe propose ainsi son propre Pergolèse, retravaille les arias d’opéra du maître, son Stabat Mater, ajoute des compositions personnelles et parfois même nous livre ces pièces telles qu’elles ont été écrites.
-Aaron Diehl au Duc des Lombards les 10, 11 et 12 février avec Warren Wolf (vibraphone), David Wong (contrebasse) et Peter Van Nostrand (batterie). Natif de Columbus (Ohio), il joue très bien Scott Joplin et Jelly Roll Morton mais pratique aussi un piano plus moderne, ancré dans la tradition du blues et du bop. A la Julliard School, ses professeurs furent Kenny Barron et Eric Reed et il n’en a pas oublié les leçons. Diehl qui a joué avec Benny Golson, et Wynton Marsalis accompagne Cécile McLorin Salvant dans “Woman Child”, Prix du Jazz Vocal 2013 de l’Académie du Jazz.
-Après avoir rendu hommage à Chet Baker en décembre au Sunside, Philip Catherine retrouve la rue des Lombards et le Sunset le 12 et le 13 pour promouvoir “New Folks”, disque enregistré avec Martin Wind, bassiste allemand installé aux Etats-Unis. Au programme, des compositions originales et des standards afin de titiller la verve mélodique du guitariste. Wind possède un son de contrebasse acoustique et une bien belle sonorité à l’archet. Catherine use et abuse du lyrisme sans jamais nous lasser. Belle soirée en perspective.
-Sachal Vasandani est un habitué du Duc des Lombards. Il en occupera la scène le 14 et le 15. Avec lui Buster Hamphill (contrebasse), Jeremy Dutton (batterie) et Taylor Eigsti, pianiste dont j’apprécie les albums, “Let it Come to You” particulièrement. Très varié, le répertoire du chanteur comprend des compositions personnelles, des standards et des thèmes empruntés à la pop. Son dernier disque reste toujours “Hi-Fly”, mais Sachal prépare un nouvel album déjà très attendu.
-Don Menza au Sunside le 19 et le 20 avec Alain Jean-Marie (piano), Michel Rosciglione (contrebasse) et Bernd Reiter (batterie). La carrière de ce saxophoniste né en 1936 est impressionnante. Il travailla comme soliste et arrangeur pour Maynard Ferguson, puis dans l’orchestre de Buddy Rich (sa Channel One Suite reste fameuse) et Woody Herman. Saxophoniste puissant, il excelle dans les ballades, écrit et arrange de bonnes compositions (Groovin’Hard, Time Check) et fut aussi un musicien de studio réputé.
-Le saxophoniste transalpin Francesco Bearzatti sur la péniche l’Improviste le 22 et le 23 pour un hommage à Dewey Redman (1931-2006) qui joua et enregistra avec Keith Jarrett, Pat Metheny, fut membre du Liberation Music Orchestra et de Old and New Dreams. Pour célébrer la musique de Redman, un quartette dont trois des membres furent ses compagnons de route. Rita Marcotulli fut sa pianiste de 1995 et 2002. Michel Benita (contrebasse) enregistra deux albums avec lui dans les années 90 et John Betsch (batterie) l’accompagna sur plusieurs tournées européennes. L’Improviste est temporairement amarrée 36 quai d’Austerlitz, 75013 Paris.
-Un grand nom du piano, Larry Willis, au Duc des Lombards le 26 et le 27 avec Steve Novosel (contrebasse) et Williams Billy (batterie). Son bagage technique lui permet d’aborder bien des genres. On l’a entendu avec Jackie McLean, Stan Getz, Carla Bley et beaucoup d’autres et les enregistrements auxquels il a participé constituent une discothèque à elle seule. Apprécié pour ses voicings, pour ses combinaisons harmoniques qui donnent des couleurs inhabituelles à sa musique, il peut tout jouer sans jamais perdre de vue le swing généreusement associé à son instrument.
-Nicolas Folmer retrouve le Duc des Lombards le 28 février et le 1er mars. Avec lui, Daniel Humair, co-leader du Nicolas Folmer / Daniel Humair Project, groupe qui naquit au Duc et enregistra un album en 2012. Avec Humair, Laurent Vernerey assurant toujours la contrebasse, le trompettiste publie “Sphere”, disque enregistré live avec une formation quelque peu différente. Emil Spanyi remplace Alfio Origlio au piano. Michel Portal et Dave Liebman qui officient aux anches ne sont pas conviés à ce concert de sortie. Toutefois, avec Daniel pour favoriser l’interaction, les compositions mélodiques de Nicolas accueillent l’inattendu dans le jeu collectif.
-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com
-Caveau des Légendes : www.jeanpierredebarbat.com
-Café de la Danse : www.cafedeladanse.com
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-Péniche l’Improviste : www.improviste.fr
Illustration : Alexandre Dumas concoctant une bouillabaisse de ses personnages par Cham.
Photos : Philippe Adler © Pierre de Chocqueuse - Rémi Toulon © Amélie Gamet – Céline Bonacina © DocMac - Maria Pia De Vito, Anja Lechner, François Couturier, Michele Rabbia © Paulo Seabra / ECM – Aaron Diehl © John Abbot – Philip Catherine & Martin Wind © Dean Bennici / ACT – Francesco Bearzatti, Daniel Humair & Nicolas Folmer © Philippe Marchin – Larry Willis © Maple Shade Records – Sachal Vasandani, Don Menza © Photo X/D.R.