Quelques disques made in France pour changer, se démarquer de bien tristes Victoires de la Musique. Du jazz de qualité que l’on doit à de jeunes musiciens qui demain assureront la relève. Des coups de cœur au sein d’une production pléthorique et inégale. Le meilleur, c’est aussi Nicolas Folmer qui nous l’offre. Grâce à Daniel Humair et les musiciens du groupe épatant qui l’entourent. Daniel qui n’est plus un jeunot impressionne par sa capacité de renouvellement. Avec lui, la musique de Nicolas s’ouvre sur tous les possibles et c’est tant mieux. Le jazz bouge, changez vos habitudes.
Flash Pig : “Remain Still” (Plus Loin Music / Abeille Musique)
Flash Pig : Drôle de nom pour un groupe. La pochette, très rock’n’roll, n’est pas non plus terrible. Ce ne pourrait être qu’un disque de plus, un de ceux que l’on range dans la pile d’un placard, tout en haut d'une étagère. Une fois ôté le film plastifié qui le recouvre, un texte de Pierre de Bethmann qui donne envie de l’écouter s'offre à la lecture. Pierre, un excellent pianiste dont j’ai du mal à pénétrer la musique ne tarit pas d’éloges : « Avec un son d’une rare cohérence, les quatre musiciens savent guider comme dérouter, rassurer comme surprendre, affirmer comme suggérer, ensemble avant tout. » Un trop plein de dithyrambes me rend méfiant. Néanmoins j’écoute et découvre un quartette proposant une musique parfaitement cohérente, des compositions originales bien arrangées, du jazz moderne et ouvert qui ressemble à du jazz, chose rare aujourd’hui. Le groupe s’articule autour des frères Sanchez, Maxime et Adrien, des jumeaux. Maxime tient le piano et compose la plupart des thèmes, des mélodies accessibles à des oreilles de toutes tailles. Reprendre le thème de Tintin (celui de la série d’animation télévisée de 1991), lui apporter swing et chorus est une formidable idée. Adrien joue du saxophone alto et fait chanter de bien belles histoires à son instrument. Florent Nisse à la contrebasse et Gautier Garrigue à la batterie complètent avec bonheur une formation mature dont la musique, influencée par le jazz qui couvre les années 60 à nos jours, reste néanmoins personnelle.
Nicolas Folmer : “Sphere” (Cristal / Harmonia Mundi)
Nicolas Folmer aime les rencontres et la scène est pour lui un espace de jeu et de liberté propice à la création. Après avoir rejoint le quintette de René Urtreger et invité Bob Mintzer à enregistrer un disque avec lui au Duc des Lombards, le trompettiste travaille depuis 2012 avec Daniel Humair, musicien qui refuse le confort et apprécie les situations inédites. Avec Laurent Vernerey à la contrebasse, le batteur offre au groupe une section rythmique d’une rare souplesse, propose de nouvelles métriques, d’autres pistes, la musique ne restant jamais statique. Après un premier album en quartette, paraît aujourd’hui “Sphere” enregistré live à l’Opéra de Lyon par une formation quelque peu modifiée. Emil Spanyi remplace au piano Alfio Origlio et deux souffleurs la rejoignent, Michel Portal et Dave Liebman ne jouant toutefois pas dans les mêmes morceaux. Bien qu’écrite, la musique s’ouvre à l’interaction, prend constamment des chemins qui bifurquent. Les musiciens mêlent spontanément leurs timbres, se parlent, se répondent, improvisent des dialogues et racontent des histoires. Toujours à l’écoute de propositions nouvelles tant mélodiques que rythmiques, les solistes mettent de côté leur ego et privilégient le jeu collectif. Ici point de notes superflues, mais des chorus inventifs qui réjouissent et surprennent. Le trompettiste assure les siens avec un naturel confondant.
Paul Lay : “Mikado” (Laborie / Abeille Musique)
Qui, enfant, ne s’est pas essayé à dégager ces baguettes de bois enchevêtrés, à les retirer une à une sans faire bouger les autres ? Paul Lay donne à son second disque le nom de ce jeu très ancien. “Unveiling”, son premier, m’avait laissé perplexe, malgré un piano aux harmonies attachantes. La faute à des compositions pas toujours convaincantes. “Mikado” me séduit bien davantage. J’apprécie modérément Ka et Workaholic qu’alourdissent des métriques inutilement complexes. Awake est également trop heurté pour mes vieilles oreilles. Les autres morceaux pèsent leur poids de bonne musique. Bénéficiant d’un piano inspiré, Let Me Tell You My Secret, la troisième plage, révèle l’arrangeur derrière le pianiste. Voices, un duo avec Antonin-Tri Hoang à la clarinette basse, confirme ce goût pour la forme. Excellent lecteur, Paul a d’ailleurs tenu le piano l’an dernier au Châtelet dans “I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky”, un « songplay » de John Adams. Les meilleurs titres de son album sont pour moi Dolphins, morceau au balancement délicat qui contient une partie d’archet envoûtante (Clemens Van Der Feen à la contrebasse) et Chao Phraya, ballade onirique aux harmonies exquises, démarquage subtil du I Love You Porgy que composa Gershwin. Autre ballade pleine d’atmosphère, Beyond met en valeur le saxophone alto d’Antonin-Tri Hoang. Youth s’organise autours de la batterie sautillante de Dré Pallemaerts. Superbe relecture en solo de Luiza, un thème romantique d’Antonio Carlos Jobim.
Alexandre Saada : “Continuation to the End” (Bee Jazz / Abeille Musique)
Second disque en solo d’Alexandre Saada, “Continuation to the End” renferme quatorze pièces improvisées et enregistrées au domicile même du pianiste sur son propre instrument. Alexandre les a conservées tel qu’il les a jouées, les rassemblant en deux suites, la seconde, la plus courte, faisant entendre une musique plus dense, le piano devenant presque orchestral dans One Lame Dog et Of Heights and Space. Pièces lentes et austères, les autres morceaux privilégient l’impact poétique au détriment du swing et du blues. Paysages sonores mélancoliques aux phrases dépouillées et tranquilles, ils relèvent d’une approche européenne du piano, voire du domaine classique (Harpsiway). L’influence d’Erik Satie, de Claude Debussy se fait entendre dans leurs mélodies qui vont et viennent au gré des ostinato qui les portent. Avec une grande économie de moyens, des accords aux couleurs travaillées, mais sans façons ni maniérisme, Alexandre Saada nous confie ses rêves, ses visions, ébauches imparfaites et sensibles qui méritent une écoute attentive.
-Pour fêter la sortie de son disque Nicolas Folmer donnera un concert au Duc des Lombards le 28 février et le 1er mars.
Photo : Paul Lay © Jean-Baptiste Millot.