Mars : Après nous avoir apporté inondations et consternation, l’anticyclone des Açores de nouveau à sa place annonce une accalmie. Un franc soleil fait à nouveau sourire les parisiennes, sortir les parisiens. Les jours s’allongent. L’astre solaire entre dans le Bélier le 21 et ouvre les portes d'un printemps qui semble bien précoce. Prudent, le citadin hésite pourtant à changer ses habitudes. Privé d’ondées, le parapluie ne déverse plus son eau, mais reste à portée de main dans la crainte d’un temps capricieux. Pas un seul flocon de neige n'a touché le sol de la capitale, mais le manteau de laine, lourd et épais, est toujours de saison. Bonnet, béret, casquette et chapeau chinois également. Car malgré un hiver particulièrement doux, la pluviométrie s’est révélée bien supérieure à la normale. Méfiance, des douches froides peuvent encore nous tomber sur la tête. La Seine-Saint-Denis en réserve quelques-unes. Banlieues Bleues qui fête sa 31e édition mélange les genres, invite à découvrir d’autres musiques et pratique allègrement l’électrochoc. Il y en a pour tous les goûts, pour toutes les oreilles. Si les miennes, délicates et gourmandes, se réjouissent de la présence de certains visiteurs, Randy Weston et Billy Harper le 14 mars, Roy Nathanson’s Sotto Voce et Cassandra Wilson à Bobigny le 11 avril, elles craignent aussi l’agression sonore qui mène tout droit à l’hôpital. Toujours souffrant, Monsieur Michu en sait quelque chose. L’amateur de jazz consultera attentivement le programme. En mars, on le verra aussi au cinéma. Le 19, sort sur les écrans un biopic sur Monica Zetterlund. La plus célèbre chanteuse de jazz suédoise resterait probablement ignorée hors des frontières de son pays sans un disque enregistré en 1964 avec Bill Evans. Réalisé par Per Fly et bénéficiant d’une réalisation très soignée, “Valse pour Monica” couvre ses plus belles années. Chanteuse, mais aussi actrice, elle fut la première à chanter du jazz en suédois. Pour l’interpréter Edda Magnason, une autre chanteuse, crève l’écran. “Valse pour Monica” est son premier film. Elle s’incarne dans son personnage, lui ressemble physiquement. Une bande-son époustouflante achève de convaincre. Après la séance, faites un tour rue Lepic. Au numéro 11, le jazz club et restaurant Autour de midi et minuit abrite jusqu’à la fin mai une vingtaine de photos en noir et blanc de Philippe Baudoin alias Philippe de Montmartre. L’exposition s’intitule « Le swing pour objectif ». Par les temps qui courent, garder le cap sur le jazz qui ressemble à du jazz, une folie, mérite d’être salué.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Ils ont fait un tabac au Sunset, en février 2013. Ils occuperont au Sunside le 7 mars pour jouer le répertoire de leur prochain album consacré à Duke Ellington. Sylvia Howard est toujours accompagnée par ses boys du Black Label Swingtet, formation qui réunit Georges Dersy (trompette), Jean Sylvain Bourgenot (trombone), Christian Bonnet et Antoine Chaudron (saxophones), Jacques Carquillat (piano), Jean de Parseval (basse électrique) et André Crudo (batterie), des sexagénaires au pedigree impressionnant qui pactisent depuis longtemps avec le swing, denrée rare chez les jeunes jazzmen. Responsable des arrangements, convainquant au ténor, l’infatigable Christian Bonnet offre à sa chanteuse une formation festive que nous aurions tort de bouder.
-Grand technicien du piano, Benny Green est programmé le 7 et le 8 au Duc des Lombards. Il accompagna quatre ans Betty Carter avant de rejoindre les Jazz Messengers d’Art Blakey où il se révéla en tant que soliste. Hard bopper accompli, affectionnant les longs block chords, les lignes mélodiques aux notes abondantes, il se plaît à maitriser un jeu virtuose ancré dans le swing et la tradition churchy. David Wong (contrebasse) et Kenny Washington (batterie) seront ses partenaires pour ses concerts parisiens.
-Ne manquez pas Alexandre Saada au Sunside le 8 (concert à 19h00). Outre quelques extraits de “Continuation to the End”, disque récemment commenté dans ces colonnes, le pianiste développera de nouvelles improvisations, inventera d’autres mélodies, son imagination fertile privilégiant le discours poétique, l’expression juste. Il possède un jeu fluide et élégant et, avec peu de notes, dessine et colore des paysages dans lesquels il fait bon entrer.
-Sara Lazarus fait peu de disques et passe davantage de temps avec ses élèves que dans des salles de concerts. On l’écoutera le même soir (le 8), dans le même club à 21h00. Peu encline à accomplir d’inutiles prouesses vocales, elle met son chant au service des mélodies, les sert avec bonheur et inspire le respect. Avec elle, un trio d’exception : Vincent Bourgeyx (piano), Gilles Naturel (contrebasse) et Philippe Soirat. Difficile de faire mieux pour l’accompagner.
-Batteur de Roy Hargrove, Willie Jones III est attendu au Duc des Lombards le 11 et le 12 (20h00 et 22h00). Il était au Sunside en mai dernier pour rendre hommage à Max Roach et Clifford Brown. Au Duc, il se produira à la tête d’un groupe dont les membres nous sont familiers. Musiciens inventifs, Eddie Henderson (trompette), Justin Robinson (saxophone), Danny Grissett (piano) et Daryl Hall (contrebasse) peuvent créer la surprise.
-Annick Tangora au New Morning le 13 pour fêter la sortie de “Springtime” son 4ème album (Frémeaux & Associés). Chanteuse à la voix solaire, Annick chante en plusieurs langues une musique métissée qui sent bon l’enivrant parfum des îles, une musique d’outre-mer associée à la danse et aux rythmes latins. Elle change aisément d’octave, invente ses propres onomatopées rythmiques, apporte des couleurs afro-cubaines aux morceaux qu’elle reprend, les siens et ceux des autres. Mario Canonge (piano) et Tony Rabeson (batterie) se sentent bien avec elle et portent le groove au cœur de la musique. Thomas Bramerie complète avec bonheur le groupe à la contrebasse et Alain Jean-Marie est invité à se mettre au piano.
-Un concert gratuit le 14 à partir de 20h30 avec Lenny Popkin en trio avec Gilles Naturel à la contrebasse et Carol Tristano à la batterie ne se refuse pas. L’endroit : l’Harmonie Café, 35 boulevard Magenta 75010 Paris. Les amateurs de Lennie Tristano connaissent bien ce saxophoniste qui fut son élève. Influencé par deux autres disciples du pianiste, Lee Konitz et Warne Marsh, il échangea son alto pour un ténor, et joue le plus souvent dans l’aigu de l’instrument, sa sonorité diaphane s’accordant avec un jeu fluide et imaginatif.
-Randy Weston (piano) et Billy Harper (saxophone ténor) en duo à l'Espace 1789 de Saint-Ouen le 14, concert organisé dans le cadre du festival Banlieues Bleues. Les deux hommes se connaissent depuis une rencontre à Tanger en 1972. Harper joue dans “Tanjah”, un disque de Weston de 1973. Ils ont enregistré l’an dernier un nouvel opus pour Universal. “The Roots of the Blues” témoigne de leurs affinités. Tous deux cherchent l’épure, refusent le trop plein de notes pour mieux faire chanter leurs instruments, rendre leur conversation plus spirituelle que charnelle.
-Danilo Pérez au New Morning le 18. Avec Ben Street (contrebasse) et Adam Cruz (batterie), Roni Eytan les rejoignant parfois à l’harmonica, le pianiste panaméen interprétera “Panama 500” ambitieux nouvel album qui rend hommage au conquistador Vasco Núñez de Balboa, premier européen a avoir découvert l’Océan Pacifique. Jouant une musique très ouverte, Pérez aime masquer les mélodies qu’il introduit en solo, s’éloigne souvent des thèmes pour suivre ou compléter les lignes mélodiques de son bassiste, une voie médiane entre latinité et jazz s’offrant à sa musique. Sa section rythmique en révèle les influences latines, rythmes de rumba ou de tamborito s’intégrant à une polyrythmie très riche.
-Envie de découvrir de jeunes musiciens prometteurs ? Au Sunside le 25 mars, Flash Pig vous en offre l’occasion. La formation porte un drôle de nom, propose un jazz moderne, ouvert et séduisant. Elle comprend Maxime et Adrien Sanchez, des jumeaux. Le premier tient le piano et compose la plupart des thèmes ; le second joue du saxophone alto. Florent Nisse à la contrebasse et Gautier Garrigue à la batterie complètent le quartette à qui l'on doit un premier album très réussi.
-Le 25, le Studio de l’Ermitage accueille le Yves Torchinsky’s European Jazz Family. Compagnons de longue date du contrebassiste, Claus Stötter (trompette), Simon Spang-Hanssen (saxophone ténor, flûte), Pierre-Olivier Govin (saxophones alto et soprano), Samuel Blaser (trombone), Philippe Michel (piano et arrangements) et François Laizeau (batterie) en sont membres. Musiciens européens de talent, ils partagent avec lui de nombreuses affinités musicales et préparent un album dans lequel ils souhaitent actualiser et prolonger certaines œuvres de l’histoire du jazz. Son titre : “Freedom Jazz Dance”.
-Le 27 au Sunside, Jean-Michel Pilc (piano), Thomas Bramerie (contrebasse) et André Ceccarelli (batterie) fêtent la sortie de “Twenty” (Bonsaï Records), un disque qui scelle leur vingt ans d’amitié. Outre des compositions collectives, le trio dépoussière des standards parfois inattendus et interprète des originaux du pianiste, ce dernier, tout feu tout flamme, se révélant être un fin mélodiste. S’appuyant sur des thèmes forts et lyriques, les trois hommes les transforment, les bousculent avec tendresse et passion. Du grand art !
-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-New Morning : www.newmorning.com
-Harmonie Café : www.harmoniecafe.fr
-Festival Banlieues Bleues : www.banlieuesbleues.org
-Studio de l’Ermitage : www.studio-ermitage.com
Crédits Photos : Edda Magnason © Chrysalis Films – Benny Green © Elde Stewart – Alexandre Saada, Yves Torchinsky © Pierre de Chocqueuse – Annick Tangora © Loïc Bon – Lenny Popkin © Fred Thomas – Randy Weston & Billy Harper © Jules Allen – Danilo Pérez © Raj Naik & Luke Severn – Flash Pig © Pauline Pénicaud – Sara Lazarus, Willie Jones III Band, Jean-Michel Pilc © Photo X/D.R.
Illustration : Sylvia Howard & The Black Label Swingtet © Cabu.