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7 avril 2014 1 07 /04 /avril /2014 11:45
Drôle de jazz

Avril, mois de ces poissons de papier que l’on accroche un certain jour sur le dos des passants. Il fait beau et chaud malgré un air pollué, un vrai temps de mai qui incite les parisiens à promener les parisiennes, à baguenauder dans des jardins qui retrouvent des couleurs printanières. Prises d’assaut, les terrasses des cafés se couvrent de demoiselles dévêtues qui cherchent le soleil, offrent leur peau à leurs rayons pour dorer. Les tee-shirts moulants soulignent des poitrines conquérantes qui faciliteront bientôt les rencontres estivales, favoriseront les épanchements nocturnes. IPhone toujours à portée de main, casque vissé sur la tête ou écouteurs dans les oreilles, elles semblent apprécier d’étranges musiques compressées dont quelques notes confiées au vent parvinrent jusqu’à moi également attablé. Intrigué, je demandai à ma voisine, une jolie blonde, ce qu’elle écoutait. «Le dernier disque d'Ibrahim Maalouf ». « Du Jazz » ajouta-t-elle, ignorant qu’elle énonçait une contre-vérité. Plébiscité dans les festivals qui dévoilent dès à présent leur programme de l’été, le trompettiste libanais est représentatif de la confusion des genres qui règne aujourd’hui. L’homme est plutôt sympathique et je ne porterai aucun jugement sur sa musique, me bornant à regretter que cette dernière puisse être assimilée à du jazz. Dans une récente interview accordée à Jazz Magazine / Jazzman, Maalouf confie bien volontiers, que le jazz n’est pas sa musique, qu’il ignore tout de son histoire. Il connaît le Miles Davis de “Kind of Blue”, mais les trompettistes qu’il écoute sont aussi Jon Hassell et Nils Petter Molvær, musiciens qui ouvrent certes d’autres horizons, mais jouent une toute autre musique que du jazz. Le jouer demande une culture que nombre de « jazzmen » ne possèdent pas. Le conservatoire apporte technique et savoir-faire, rend capable de composer, d’improviser, mais ne donne nullement les clés de cette musique née en Amérique, musique métissée qui possède une grammaire, un vocabulaire qui lui permet d’être toujours actuelle et vivante, sa capacité de renouvellement passant par une nécessaire connaissance de ses règles, de son glorieux passé.

 

Ibrahim Maalouf se trompe lorsqu’il déclare dans cette même interview que la validation du public donne sa valeur à une expression artistique. Ce n’est pas parce qu’une majorité de français regardent les programmes de TF1 que ces derniers valent quelque chose. Les best-sellers de l’édition (disques, livres) ont-ils forcément valeur artistique ? Vaste débat qui nous éloigne de notre sujet. Toujours est-il que, présentées comme du jazz, des musiques qui n’en sont pas envahissent les festivals l’été et font le bonheur des Dugenoux, musiques du monde abusivement estampillées jazz, musiques faciles et racoleuses qui témoignent d’un nivellement des oreilles par le bas, mais aussi musiques cérébro-spinales aux métriques aussi complexes que pesantes, aux mélodies inexistantes. Pourquoi faire simple quant on peut compliquer, complexifier à outrance ? Habile lecteur, le musicien ne quitte guère aujourd’hui sa partition des yeux sauf lorsqu’il improvise, met tout son savoir à se passer de mélodie, à s’interdire le découpage ternaire de la mesure à quatre temps, cette accentuation des temps faibles qui donne sa légèreté aux notes et les fait virevolter.

 

Rassurez-vous, l’amateur de jazz trouve toujours chaussure à son pied. Grâce aux clubs qu’il fréquente, il peut écouter du jazz toute l’année. Saluons donc l’apparition d’un nouveau lieu, la Nouvelle Seine, péniche amarrée quai de Montebello, théâtre flottant de 115 places au pied de Notre Dame. À son bord, deux fois par mois, le lundi soir, un concert en deux sets d’une heure (20h30 et 22h15) vous sera proposé. Gage de sérieux et de qualité, la programmation a été confiée à Jean-Jacques Pussiau, producteur toujours à l’écoute qui après quelques disques inoubliables pour le label Out Note, occupe ainsi de nouvelles fonctions. Daniel Humair en trio le 14, Jean-Louis Chautemps en quartette le 28, qu’attendons-nous pour faire sortir nos parisiennes ?

 

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT      

Drôle de jazz

-Après le New Morning en décembre, Mélanie De Biasio s’offre La Cigale le 10. Sa carrière fut lente à démarrer. Des concerts donnés au Sunside et au Sunset en 2008 à l’occasion de la sortie de “A Stomach is Burning”, son premier disque repéré par quelques amateurs de jazz (dont Frédéric Charbaut qui admire beaucoup la chanteuse) et quelques bonnes chroniques ne suffirent pas à la lancer. Publié l’an dernier, moins jazz mais très séduisant, “No Deal” parvint à toucher un public et une presse plus large. Encensée par Télérama et les Inrockuptibles, Mélanie De Biaso qui s’exprime aussi à la flûte sème désormais le trouble par une voix grave et sensuelle, des mélodies poignantes qui transcendent les genres. Pascal Paulus (claviers), Pascal Mohy (piano) et Dre Pallemaerts (batterie), les musiciens de son disque, seront probablement avec elle lors de ce grand rendez-vous parisien.

Drôle de jazz

-Toujours le 10, le Studio de l’Ermitage accueille en trio à 20h30 Jack Wilkins. Guitariste parfois associé à Stanley Turrentine et à Jimmy Heath, Wilkins a également accompagné des chanteurs (Ray Charles, Mel Tormé, Tony Bennett) et des chanteuses (Sarah Vaughan, Morgana King). Avec Yves Torchinsky à la contrebasse et Simon Goubert à la batterie, son concert parisien sera un hommage à son confrère Tal Farlow (1921-1998), grand styliste de la guitare jazz qui s’est souvent produit en France avec Philippe Petit.

Drôle de jazz

-Dernier jour pour Banlieues Bleues le 11 avec un double plateau à ne pas manquer, celui de Roy Nathanson et son groupe Sotto Voce, puis Cassandra Wilson et ses musiciens – Grégoire Maret (harmonica), Brandon Ross (guitares), Jon Cowherd (piano), Lonnie Plaxico (basse), John Davis (batterie) investissent la MC93 de Bobigny. Nathanson, je viens d’en parler. Ma chronique de “Complicated Day”, son nouveau disque, devrait vous donner envie de l’écouter. Quant à Cassandra Wilson, on ne la présente plus. La chanteuse semble avoir absorbé tous les genres. Elle n’oublie pas son Mississippi natal et la place qu’elle accorde au blues reste prépondérante. Sa voix grave de contralto ensorcelle. Elle chante Muddy Waters, Robert Johnson, reprend des standards de la pop et ose de bonnes compositions personnelles.

Drôle de jazz

-À la tête d’un septet, Baptiste Herbin retrouve le Duc des Lombards le 12 pour jouer Oliver Nelson. Saxophoniste et vrai jazzman, le garçon ne craint pas de se mesurer aux plus grands. On l’a entendu à Clermont-Ferrand animer de tardives et explosives jam-sessions. Dans “Brother Stoon” un disque de 2012 enregistré en quartette, son premier (on attend la suite), il privilégie l’héritage afro-américain, le canal historique et fait allégeance au bop, au blues et à la musique des îles. La nouvelle formation qu’il présentera au Duc aligne Michael Chéret et Fred Couderc aux saxophones, Julien Alour à la trompette, Vincent Bourgeyx (piano), Gilles Naturel (contrebasse) et Philippe Soirat (batterie) assurant la section rythmique. Soirée brûlante en perspective !

Drôle de jazz

-Ambrose Akinmusire au Duc des Lombards pour 6 concerts, du 14 au 16 avril. Âgé de 30 ans, ce trompettiste exigeant et sincère fait ce mois-ci la couverture de Jazz Magazine / Jazzman, son nouveau disque Blue Note, “The Imagined Savior is Far Easier to Paint” (Choc) étant soutenu sans réserve par la rédaction du journal. Sortant des sentiers battus, cet opus ambitieux, 78 minutes d’une musique dense, imprévisible, aux arrangements aussi variés que soignés, nécessite plusieurs écoutes pour être pleinement apprécié. Réunir sur la scène du Duc tous les intervenants de l’album étant peu aisé, Akinmusire vient se produire avec Walter Smith III (saxophone ténor), Sam Harris (piano), Harish Raghavan (contrebasse) et Justin Brown (batterie), tous membres de son quintette habituel.

Drôle de jazz

-Sous le nom de Spring Quartet se dissimulent Joe Lovano (saxophone ténor), Leo Genovese (piano), Esperanza Spalding (contrebasse) et Jack DeJohnette (batterie). Le nom de Genovese nous est moins familier. Pianiste habituel de Spalding, il accompagne cette dernière sur les scènes du monde entier. Celle du théâtre du Châtelet accueillera la formation le 15 (20h00) avec au programme une douzaine de compositions originales qui, désormais parfaitement rôdées, feront bientôt l’objet d’un disque, le groupe achevant à Paris une importante tournée européenne.

Drôle de jazz

-Clovis Nicolas au Sunside le 15 et le 16. Il a longtemps disparu des clubs parisiens après avoir accompagné nombre de musiciens français parmi lesquels Baptiste Trotignon et les frères Belmondo. Normal, car installé à New York depuis 2002, il perfectionnait son instrument, la contrebasse, à la Juillard School et y étudiait la composition. À la tête de son New York Quintet, il retrouve la capitale. Riley Mulherkar (trompette) et Luca Stroll (saxophones) jouent dans “Nine Stories”, album enregistré sous son nom que publie Sunnyside, neuf histoires ancrées dans un réjouissant bop moderne. Clovis Nicolas en a écrite certaines, arrangeant aussi The Bridge (Sonny Rollins) None Shall Wander (Kenny Dorham) et deux standards. Samora Pinderhughes (piano) et Luca Santaniello (batterie) complètent sa formation.

Drôle de jazz

-Greg Osby (alto et soprano) au Sunset le 25 avec Vein, groupe comprenant Dave Liebman (soprano et ténor), Michael Arbenz (piano), Thomas Lähns (contrebasse) et Florian Arbenz (batterie). Auteur de plusieurs disques très réussis pour Blue Note, Osby s’est naguère distingué au sein du Special Edition de Jack DeJohnette, mais aussi auprès de Steve Coleman et de Marc Copland avec lequel il a enregistré plusieurs albums en duo. On découvrira avec curiosité cette nouvelle formation déjà plébiscitée : « Il y a de l'oxygène, du sang neuf et bouillonnant qui circule dans ce groupe dont le concept est de réunir diverses influences et de les frotter aux traditions. »

Drôle de jazz

-Ne manquez pas le trio réunissant Larry Goldings (orgue Hammond), Peter Bernstein (guitare) et Bill Stewart (batterie). Les trois hommes se produisent au Duc des Lombards le 28 et le 29. Ils se connaissent depuis 25 ans, savent s’écouter, se comprendre, l’interaction n’étant pas un vain mot dans leur approche souvent télépathique de la musique. Ils sortent un nouvel album en avril sur le label Pirouet. Son titre, “Ramshackle Serenade” devrait interpeler les lecteurs de Mark Twain qui ont encore de la mémoire.

-La Nouvelle Seine : www.lanouvelleseine.com

-La Cigale : www.lacigale.fr

-Studio de L’Ermitage : www.studio-ermitage.com

-Festival Banlieues Bleues : www.banlieuesbleues.org

-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-Théâtre du Châtelet : www.chatelet-theatre.com

-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com

 

Crédits Photos : Mélanie De Biasio © Frank Loriou – Jack Wilkins © Melody Reed – Baptiste Herbin © Pierre de Chocqueuse – Ambrose Akinmusire © Blue Note Records – Spring Quartet © Jim Brock – Clovis Nicolas © Sunnyside Records – Greg Osby © Clay Patrick McBride – Peter Bernstein, Bill Stewart & Larry Goldings © Konstantin Kern – Clowns musiciens & Cassandra Wilson © photos X/D.R.

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commentaires

J
Et oui, l'univers du jazz est assez vaste pour qu'on n'y classe pas les variétés, même sortant de l'ordinaire. Le critère de l'héritage historique est à creuser, précisément pour élargir le domaine, en s'appuyant sur son acquis. L'exemple d'Ambrose Akinmusire tombe à point.
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