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22 avril 2014 2 22 /04 /avril /2014 10:04
Paul BLEY : “Play Blue” (ECM / Universal)

Sans personne pour l’accompagner, sa musique prête à jaillir, Paul Bley se lance, frappe ses notes comme des tambours, les bouscule et les rythme. Le morceau s’intitule Far North et de cette répétition martelée surgit une délicieuse mélodie, le chant d’un piano vocalisé et unique. Des basses puissantes répondent aux aigus de l’instrument, des phrases tumultueuses succèdent à des séquences purement lyriques. Le pianiste abandonne le thème, y revient, pose des notes rêveuses et tendres, d’autres plus noires et agressives.

Paul Bley n’avait plus fait parler de lui depuis son concert en solo à la Cité de la Musique en septembre 2010, une prestation inégale, celle d’un immense musicien fatigué qui refuse d’abandonner, choisit de toujours avancer. Le solo, il connaît. C’est même sa spécialité. De nombreux albums de sa discographie appartiennent à cet exercice périlleux et sans filet que redoute de grands pianistes. On les trouve difficilement, sauf ceux qu’il a enregistrés pour ECM et OWL, des labels européens. Ses nombreux concerts donnés à travers le monde furent souvent l’occasion de séances pour des compagnies de disques, des grandes et des petites. Dans les années 70, il a même possédé la sienne, IAI (Improvising Artists Incorporated), publiant ainsi la musique de ses concerts. Des heures d’enregistrements dorment toujours, attendent d’être édités.

Moins actif aujourd'hui, Paul Bley, 82 ans bientôt, se rappelle à nous dans un piano solo de 2008, un concert que le public du Oslo Jazz Festival a sûrement apprécié. Loin de lui faire peur, jouer en solo stimule son imagination constamment en éveil. Les idées succèdent aux idées dans de longues plages improvisées. C’est même goulûment qu’il s’installe au piano, prêt à nous faire partager sa musique, à nous l’offrir entière avec la part d’ombre et les imperfections qu’elle recèle et qui en font ressortir la poésie. Martelées, frappées, ses notes sonnent et résonnent comme le feraient celles d’un orchestre. Qu’importe si parfois ses doigts les trahissent. Fruits d’une pensée active et fluide dont le mouvement refuse toute précipitation, ses vagues de notes plus ou moins denses soulèvent et transportent. Dissonances et constructions abstraites témoignent des recherches d'un esprit libre et frondeur, mais l’orage ne dure jamais longtemps, comme l'atteste sa Way Down South Suite. Sans crier gare, après cinq minutes et vingt secondes d'une traversée quelque peu tempétueuse, le piano se tait pour aborder les rivages du blues avec force lyrisme. Paul en fredonne la mélodie, échos allusifs d’une musique qu’il n’a pas oubliée, d’une histoire indissociable de la sienne. En 1963, il enregistrait avec Coleman Hawkins et Sonny Rollins l’incontournable “Sonny Meets Hawk !”. De ce dernier, il reprend Pent-Up House en rappel, le déconstruit, le réinvente. On se laisse emporter dans un tourbillon de notes. Aussi folles que belles, elles font perdre la tête.

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