Octobre : Ragaillardi et sanctifié par l’écoute des musiques sacrées de Duke Ellington à la Madeleine, mignardise dont on se souviendra longtemps, je quitte cette auberge de la consolation terrestre habituée aux neuvaines des Frères de la Sainte Crèche pour me fondre dans la foule des parisiens. Insouciants, ces derniers musardent sous les chauds rayons d’un soleil printanier, mirent les jambes fines et gracieuses frictionnées au lait d’amande qui trottinent ou se reposent devant leurs yeux. Quatorze d’entre eux périrent dévorés par des loups en 1438, un 1er octobre, mais ils pensent à autre chose, à ces parisiennes qui enivrent et font perdre la tête.
Depuis 27 ans l’amateur de jazz, le vrai, se rend à Clermont-Ferrand, à Jazz en Tête. Quel autre festival programme Henry Butler, les Messenger Legacy, Julian Joseph, Zara McFarlane, Hermon Mehari, Cory Henry ? La plupart d’entre eux se contentent le plus souvent d’engager des têtes d’affiche médiatisées dont les musiques insipides et faciles plaisent à un public estival qu’il s’agit de distraire. Jazz en Tête ose sur cinq jours, du 14 au 18 octobre, un programme pas comme les autres, un festival plus intime, un tête à tête. Fréquentées par des clermontoises parfumées aux essences les plus nobles – rose, jasmin, iris, violette et tubéreuse – , les jam sessions de l’hôtel Océania favorisent ces rencontres. Avec Anna, Louise, Joséphine, Donatella, Venus et Serena, des noms qui font rêver. Leurs jambes, elles les enduisent de miel, d’eau de tilleul, d’huiles de grenade et d’argousier, de beurres de mangue et de cacao. A Clermont aussi on peut perdre la tête.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Paolo Fresu au New Morning le 7 octobre avec son Devil Quartet – Bebo Ferra (guitare), Paolino Dalla Porta (contrebasse), Stefano Bagnoli (batterie) –, formation que le trompettiste sarde possède depuis 2003. Le 8, c’est à la tête de son quintette qu’il y est attendu. Réunissant Roberto Cipelli au piano, Tino Tracanna aux saxophones ténor et soprano, Attilio Zanchi à la contrebasse et Ettore Fioravanti à la batterie, la formation fête cette année ses 30 ans d’existence. Avec un disque inoubliable, “¡30 !” (Tŭk / Bonsaï Music) chroniqué par mes soins dans le numéro de juin de Jazz Magazine / Jazzman. Privilégiant les ballades, les tempos souples et moelleux, Fresu, impose son phrasé, sa sonorité tendre et sensuelle et réaffirme son attachement à la mélodie, pierre d’achoppement de son travail.
-Le 8 encore, au Studio de l’Ermitage, Laurent Cugny présentera son nouveau big band, le Gil Evans Paris Workshop, une formation de seize musiciens tous nés dans les années 80. Vous vous êtes montré généreux en finançant ses premiers pas – 7590€ collectés via KissKissBankBank et Laurent vous en remercie. Né en 1955, ce dernier joue de l’orchestre comme un instrument, privilégie les couleurs, les timbres, l’harmonie restant sa préoccupation première. Après la formidable réussite de sa “Tectonique des nuages” qui sera enfin monté avec décors dans sa version opératique l’an prochain, Laurent souhaite retrouver l’esprit de la musique de Gil Evans à travers des compositions et des arrangements inédits, mais aussi des arrangements de Gil. Il compte aussi reprendre certaines pièces qu’il confia naguère à son Big Band Lumière et à l’Orchestre National de Jazz lorsqu’il en assurait la direction. Les noms d’Antonin-Tri Hoang (as), Martin Guerpin et Adrien Sanchez (ts), Jean-Philippe Scali (bs), Olivier Laisney (tp), Joachim Govin (b), Gautier Garrigue (dm) vous sont peut-être familiers. Tous sont membres de cette nouvelle formation que vous pourrez retrouver sur la scène du Studio de l’Ermitage les 12 novembre et 10 décembre prochains.
-Après un disque remarqué avec Daniel Humair dans lequel Dave Liebman et Michel Portal sont les souffleurs, Nicolas Folmer sort un nouvel album enregistré avec une autre formation. Influencé par le funk, la soul et le blues, réunissant Antoine Favennec (saxophone), Thomas Coeuriot (guitare), Laurent Coulondre (claviers), Julien Herné (basse) et Yoann Schmidt (batterie), “Horny Tonky” (Cristal Records) est pour le trompettiste un retour aux sources, un appel à la danse. Le titre de l’album que l’on dit très groovy (je ne l’ai pas encore reçu) fait référence aux cuivres (« horn » en anglais). Nicolas et ses musiciens en fêtent la sortie au Sunset le 10 octobre.
-Paul Lay et son Mikado Quartet au Sunside le 12. Autour du pianiste : Antonin-Tri Hoang (saxophone alto et clarinette), (Clemens Van Der Feen (contrebasse) et Dré Pallemaerts (batterie). “Mikado” est le nom de son dernier album publié il y a quelques mois. Malgré quelques tempos inutilement compliqués, Paul Lay se révèle un compositeur habile. Attaché à la forme, il arrange avec pertinences ses morceaux. Dolphins et Chao Phraya gardent ma préférence. Il joue aussi un beau et généreux piano, pose de belles couleurs sur une musique sincère et séduisante.
-Francesco Bearzatti au New Morning le 13 avec un programme consacré à “Monk’n’Roll”, disque décoiffant que le saxophoniste ténor a récemment consacré à Thelonious Monk, les compositions de ce dernier se voyant associées à des morceaux de Led Zeppelin, Pink Floyd, Sting, Lou Reed, et Michael Jackson. Confié à un quartette énergique, une musique humoristique et festive en résulte. Disposant d’une section rythmique musclée – Danilo Gall (basse acoustique et électrique) et Zeno De Rossi (batterie) – Bearzatti et le trompettiste Giovanni Falzone, son complice, s’amusent, osent des effets électroniques, font sonner leurs instruments comme des guitares, leurs relectures décalées restant sous contrôle, bien ordonnées par de savantes orchestrations.
-Le All Stars The Messenger Legacy sera à Clermont-Ferrand le 15, mais aussi la veille, le 14, au Petit Journal Montparnasse. Choisi par Art Blakey pour être le deuxième batteur de ses Jazz Messengers, Ralph Peterson a réuni autour de lui des anciens de la formation. Bobby Watson (saxophone alto) en a été directeur musical. Donald Brown (piano) également. Billy Pierce (ténor et soprano) fut un pilier des Messengers. Quant à Brian Lynch (trompette) et Essiet Okon Essiet (contrebasse) ils furent membres de la dernière mouture de ce groupe légendaire de l’histoire du jazz.
-Ralph Alessi au Sunside le 15 et le 16. Avec lui la section rythmique de “Baida”, son dernier album (et le premier pour ECM) : Drew Gress (contrebasse) et Nasheet Waits (batterie). Associés au pianiste Gary Versace, ils pratiquent une musique ouverte et audacieuse au sein de laquelle ils déposent leurs propres inventions. Le trompettiste bénéficie de leurs idées qui apportent à sa musique un surplus d'invention, tant mélodique que rythmique. Ils lui permettent de prendre des risques, de sauter dans le vide.
-Ne manquez pas le concert que donnera en trio Michel Sardaby au Reid Hall (4 rue de Chevreuse 75006 Paris) le 18 à 20h00. L’association La Dive Note l’organise dans les locaux de la Columbia University. Les apparitions publiques du pianiste se font rares, Michel consacrant une partie de son temps à enseigner l’instrument. Il a eu de nombreux élèves (certains sont aujourd’hui célèbres) et essaye de leur faire entendre et comprendre ce qu’ils jouent, un exigeant travail de prise de conscience pour qu’ils se révèlent à eux-mêmes. Pour ce concert, Michel a choisi de s’entourer de Gilles Naturel (contrebasse) et de Philippe Soirat (batterie), musiciens dont il apprécie la justesse et la sensibilité.
-On retrouve Gilles Naturel au Sunside le 23 avec son Contrapuntic Jazz Band qui réunit Fabien Mary (trompette), Guillaume Naturel (ténor et flûte), Jerry Edwards (trombone), Bastien Stil (tuba), et Donald Kontomanou (batterie), Gilles assurant bien sûr la contrebasse. Ensemble, ils fêtent la sortie d’un second opus sur Space Time Records, un “Act 2” encore plus réussi que le précédent, un disque que la formation a peaufiné sur scène avant de l’enregistrer, et qui laisse davantage de place aux solistes, aux improvisations collectives que décalent parfois de savants contrepoints.
- René Marie retourne au Duc des Lombards pour trois soirs (les 27, 28 et 29). Elle y fit sensation en novembre dernier, mit dans sa poche le public par sa voix chaude et sensuelle, son sourire solaire, sa mobilité féline. On l’y attend avec sa propre section rythmique, Kevin Bales au piano, Elias Bailey à la contrebasse et Quentin Baxter à la batterie, musiciens qui l’accompagnent dans “I Wanna Be Evil (With Love to Eartha Kitt)”, publié l’an dernier sur Motéma, le dixième disque de sa carrière, un de mes 13 Chocs de 2013.
-« Wonderful to be back in the New Morning again », ces mots, John Scofield les prononce souvent lors des concerts qu’il y donne. Le club de la rue des Petites Ecuries le programme le 29 avec Steve Swallow (basse) et Bill Stewart (batterie), des complices de longue date avec lesquels il se laisse aller à jouer les musiques qu’il affectionne, le jazz mais aussi le blues et le funk qu’il a souvent pratiqués. Au regard de sa longue carrière, le guitariste n’a plus rien à prouver. Il sait parfaitement doser ses effets de distorsion et de réverbération, choisir l’angle de ses attaques pour rendre plus intense un discours musical émaillé de glissandos, d’inflexions qui lui sont propres. Maître de son instrument, Scofield nous fait partager son bonheur d’être sur scène, de retrouver un public qui lui reste fidèle.
-Le saxophoniste Ernie Watts au Duc des Lombards le 31 et le 1er novembre avec Christof Saenger (piano), Rudi Engel (contrebasse) et Tobias Schirmer (batterie). Musicien de studio, il se fit remarquer au sein du Quartet West, formation créée par Charlie Haden en 1986. Au ténor, il possède une sonorité qui le distingue de ses collègues. Les albums qu’il signe sous son nom sont moins probants mais les chorus toujours pertinents qu’il confie aux disques des autres relèvent souvent leur niveau.
-Edouard Bineau au New Morning le 1er novembre avec les musiciens de “Bluezz”, nouvel album au sein duquel le blues et le jazz se donnent la main. Bercé par le jazz qu’appréciait son père, Edouard joua du blues dans sa jeunesse. Il apprit l’harmonica en écoutant des disques de Jean-Jacques Milteau qu’il rencontre alors qu’il travaille sur ce nouveau disque avec Sébastien Texier (saxophone alto et clarinette) et Daniel Erdmann (saxophones ténor et soprano), ses musiciens depuis deux ans. Un premier concert avec eux qui se passe bien, un second avec Michael Robinson dont la voix se greffe bien sur la musique, “Bluezz” prend forme, acquiert un supplément d’âme. Pour ce concert de sortie, Gildas Boclé (contrebasse) et Simon Bernier (batterie) compléteront ce casting.
-Jazz en Tête : www.jazzentete.com
-New Morning : www.newmorning.com
-Studio de l’Ermitage : www.studio-ermitage.com
-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com
-Petit Journal Montparnasse : www.petitjournalmontparnasse.com
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
Crédits photos : "Parisiennes en été" © Roger-Viollet Paolo Fresu ©Jean-Louis Neveu – Laurent Cugny, Nicolas Folmer © Pierre de Chocqueuse – Paul Lay © Christophe Alary – Ralph Peterson © Blue Note Records – Ralph Alessi © Darlene Devita – Michel Sardaby © Charles Duprat – Gilles Naturel © Hervé Chaussade – René Marie © Janice Yim – Ernie Watts © Alexey Karpovich – Edouard Bineau & Jean-Jacques Milteau © Fabien Ferreri – Steve Swallow / John Scofield / Bill Stewart, Ernie Watts © Photos X/D.R.