Longtemps directeur musical et pianiste de la regrettée Abbey Lincoln, Rodney Kendrick enregistra quatre albums sous son nom entre 1994 et 1997, les saxophonistes Houston Person, Arthur Blythe et Dewey Redman lui donnant la réplique. Mais c’est surtout avec “We Don’t Die We Multiply”, enregistré en trio, que l’élève de Barry Harris dévoila pleinement la singularité de son piano influencé par Randy Weston et Thelonious Monk. Jean-Philippe Allard qui produisit le disque en 1997 pour Universal, fait aujourd’hui paraître “The Colors of Rhythm” sur le label Impulse! Également en trio, constitué pour moitié de standards, il fait entendre un piano orchestral aux couleurs riches et séduisantes, aux lignes de basse puissantes. La pièce maitresse de ce recueil est une version onirique et élégante de Round Midnight. Héritant d’un tempo lent, Caravan apparaît tout aussi neuf. Cultivant les dissonances, les décalages, Rodney Kendrick en masque longuement le thème. Ses reprises d’un Honeysuckle Rose joué à la Monk, d’un Body & Soul très blues et très bleu, fourmillent aussi de dissonances. Les lignes mélodiques et rythmiques que joue Curtis Lundy à la contrebasse conviennent idéalement au piano. A la batterie, Cindy Blackman rythme les morceaux avec souplesse et dynamique, grosse caisse, toms et cymbales leur donnant une réelle épaisseur, surtout dans Aminata écrit par Kendrick. Ancrées dans le blues – Remembering en est profondément marqué –, ses compositions enthousiasment par leurs mélodies évidentes, leurs métriques ternaires et régulières apportant une cohérence aux nombreuses ruptures qu’affectionne le pianiste.