“Le Peuple des Silencieux” (DE WERF / dewerf.be)
Dès qu’elle pose ses doigts sur le clavier, la magie opère. Question de toucher, de phrasé, d’imagination harmonique. De talent surtout, car faire naître une mélodie du silence n’est pas donné à tout le monde. Pianiste attitrée du Brussels Jazz Orchestra, l’un des meilleurs big band européen, Nathalie Loriers n’est pas seulement une pianiste expérimentée, la meilleure de Belgique, elle compose aussi des thèmes qui chantent, parlent au cœur et favorisent le swing. Son disque “Silent Spring” la fit découvrir au public français en 1999. Lauréate du Prix du Musicien Européen de l’Académie du Jazz l’année suivante, cette styliste élégante qui fait sonner puissamment des notes aux couleurs chatoyantes, ne donne que de rares concerts dans l’hexagone. Il ne faudrait pas pour autant ignorer cette artiste qui consacre beaucoup de temps à ses élèves et dont les albums peu nombreux nous sont infiniment précieux. Après “Les 3 petits singes” (2011), Nathalie cosigne avec ses musiciens son nouveau disque, l’enregistrement d’un concert de 2013 donné dans le cadre du Gaume Jazz Festival. Elle y rencontre la saxophoniste hollandaise Tineke Postma. Un rendez-vous heureux que Philippe Aerts, son fidèle bassiste, fait bien davantage qu’arbitrer. Il est la troisième voix mélodique d’un trio qui prend le temps d’improviser, exprime sa joie de jouer, d’inventer. Dédié à Charlie Haden, Le Peuple des silencieux contient un émouvant solo de contrebasse. Introduite par Tineke à l’alto, la pièce reste une des plus attachantes d’un disque au sein duquel les échanges, nombreux, débordent de naturel. Sa première plage, Canzoncina est ainsi bien différente de la version qu’en donne Nathalie dans son album précédent. Les mélodies portent des musiques nouvelles. Une imagination vive et fertile leur donne vie. Musicienne accomplie, Tineke fait chanter ses saxophones (alto et soprano), souffle de belles notes aériennes dialogue avec une pianiste qui écoute et fait respirer sa musique. Piano et saxophone entrecroisent leurs lignes mélodiques dans Lennie Knows, un hommage à Lennie Tristano. Nathalie l’a beaucoup écouté. En 1993, elle a enregistré avec Lee Konitz, son élève. L’album s’intitule “Discoveries”. Philippe y tient la contrebasse. Vingt ans plus tard, la sonorité ronde et boisée de son instrument accompagne deux musiciennes qui ont beaucoup à se dire et nous séduisent par leurs histoires.