Parfois seul maître d’œuvre de ses disques (six enregistrements en solo pour ECM entre 1979 et 2009), John Surman aime aussi élargir sa musique au grand orchestre. Le Bergen Big Band lui en donne une nouvelle fois l’occasion. Créé en 1991, cette formation norvégienne a souvent invité des jazzmen étrangers à la rejoindre. En 2005, le saxophoniste enregistra un album avec elle, la chanteuse Karin Krogg participant à la séance. Remarqué par la presse, nominé aux « Spellemannprisen », l’équivalent de nos Victoires de la Musique, “Seagull” compte parmi les grandes réussites du BBB.
Joué pour la première fois à Parme en 2011, “Another Sky”, une autre œuvre de commande, fut donné lors de nombreux concerts et festivals. Outre Surman (saxophones baryton et soprano), il réunit les vingt musiciens expérimentés du Bergen Big Band autour de son leader, le saxophoniste / flûtiste Olav Dale, décédé le 10 octobre 2014, un an après l’enregistrement de ce disque. Surman et John Warren, un vieux complice, en ont signé les arrangements. Warren apporte celui de Ruby My Dear, une composition de Thelonious Monk que Surman interprète au baryton. On lui doit aussi certains passages de Spending My Time. Ivar Kolve assure le solo de vibraphone, la partition, toujours confiée au baryton, déployant de splendides couleurs orchestrales.
Vibraphone, guitare et contrebasse entremêlant leurs notes rêveuses, le grave des trombones annonçant l’entrée de l’orchestre au sein duquel se détache la trompette de Martin Winter, Another Sky sonne comme une partition de Gil Evans, de nombreux instruments et plus particulièrement la section d’anches étant mis à contribution. C’est dans un avion, en approche d'Oslo par le sud-ouest que Surman eut l’idée de South-Western Approaches, composition dévolue à plusieurs solistes. La guitare d’Ole Thomsen se distingue dans Carpet Ride, une pièce initialement écrite pour le quartette du trompettiste Henry Lowther. Surman s’empare de ses motifs hispaniques pour l’introduire, la développer au soprano.
De sa musique émerge de nombreuses réminiscences de thèmes folkloriques. Confié aux deux ténors du BBB, Scare’Em Up qui conclut l’album est une vieille chanson anglaise. Surman est originaire du Devon et la lecture des romans de Thomas Hardy, originaire du Dorset, situé comme le Devon au sud-ouest de l’Angleterre, lui a souvent inspiré des compositions. Green Wood est un peu le pendant de Hilltop Dancer, un des thèmes de “Brewster’s Rooster”, un des albums ECM du saxophoniste. Olav Dale à l’alto et Dag Arnesen au piano évoquent lointainement ces danses villageoises dont Hardy parle souvent dans ses livres, dans “Under the Greenwood Tree” (“Sous la verte feuillée”) écrit en 1872. Grâce au talent d’un big band norvégien, la verte campagne anglaise se couvre de notes bleues, se met à l’heure du jazz moderne. Qui pouvait imaginer chose pareille ?
-Sortie de l'album le 24 mars (Grappa Records, Outhere Distribution).