Mois capricieux associé aux giboulées et aux parapluies, mars fut longtemps le premier de l’année. Il doit son nom au dieu de la guerre. Sa couleur est le rouge, son métal le fer. La planète intéresse les scientifiques. Après les explorations concluantes du vaisseau Pathfinder, des robots Spirit et Opportunity, de Phoenix propulsée par la fusée Delta II, Bas Lansdorp, un ingénieur néerlandais souhaite la peupler dès 2024, pour ainsi dire demain. Commencé en 2013, la campagne de recrutement des volontaires a attiré plus de 200.000 candidats. Jean-Jacques Dugenoux a décliné. Grabataire, Monsieur Michu y sera expédié de force. Pour avoir fréquenté les martiens, Tim Burton est plus circonspect. Comme lui, les autres terriens observent une certaine prudence, gardent leur tête sur leurs épaules. Le soleil passe dans le Bélier le 21. Peu commodes, les natifs du signe utilisent beaucoup la leur. Combattifs, leurs coups de tête sont aussi des coups de foudre. En domicile dans le Bélier, signe de feu porté vers l'action, Mars leur donne l’énergie, mais aussi l’enthousiasme et l’ardeur.
La lecture de “Vivre cent jours en un” de Philippe Broussard, que publie le 11 mars les Éditions Stock, sort de l’oubli le Mars Club, une boîte des Champs-Elysées enserrée dans une impasse, la rue Robert-Estienne. Née sous le signe du Bélier, Billie Holiday s’y produisit en novembre 1958 après un court passage par Milan et un concert à l’Olympia. Rédacteur en chef du service « Enquêtes » de l’Express, l’auteur consulte les rares archives de l’époque, interroge des témoins, retrouve près de San Diego Barbara Butler qui, avec Barney son mari, gérait l’établissement, rend visite à Art Simmons le pianiste attitré du club retiré à Beckley, petite ville de dix-sept mille âmes de Virginie-Occidentale. Opiniâtre, il parvient à reconstituer au plus près l’itinéraire de Lady Day lors de son second séjour parisien. Le Mars Club en fut une étape importante.
Né en 1941, Aldo Romano était un peu jeune pour le fréquenter. La première fois qu’il touche à une batterie, celle de Maurice Martin, le batteur de Maxime Saury, c’est au Caveau de la Huchette. Un peu plus tard, Le Chat qui Pêche, le Club Saint-Germain lui donneront du travail. Plus tard encore, la route, les tournées, d’autres clubs, mais aussi des disques, une vie pleine de gens et de jazz, une vie sauvée par la musique. Sous-titrées « Fragments de jazz » “Ne joue pas fort, joue loin”, ses mémoires, viennent de paraître aux Éditions des Équateurs. J’en commence la lecture.
Les martiens, Shorty Rogers, natif lui aussi du Bélier, les aimait bien. Les titres de ses compositions, Martians Go Home, March of the Martians, Martians Come Back (qui donne son nom à un de ses disques), témoignent de cette admiration affectueuse. La musique reste toutefois parfaitement identifiable : du jazz. On ne peut en dire autant de tous les concerts que propose Banlieues Bleues dont la 32ème édition se déroulera du 20 mars au 17 avril, programmation qui a au moins le mérite de ne pas être celle des autres. Avec Charles Tolliver & The Strata-East All Stars ou le quartette de Cécile McLorin Salvant, le jazz y est certes présent. Le blues aussi. Le brouet sonore indéterminé que proposent d’autres formations semble toutefois provenir d’une autre planète. Martians Come Back ?
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Le 8 mars, un dimanche, les vingt musiciens de The Amazing Keystone Big Band, jeune et talentueuse formation lyonnaise placée sous la direction de David Enhco, Bastien Ballaz, Jonathan Boutellier et Frédéric Nardin donneront deux concerts au Théâtre des Champs-Elysées (11h00 du matin et 15h00). Au programme : leur version jazz de “Pierre le Loup”, un conte musical pour enfants qui reste l’œuvre la plus célèbre de son auteur, Serge Prokofiev. Édité sur le label Le Chant du Monde, le disque reçut en 2013 le prix du Disque Français de l’Académie du Jazz. L’œuvre est destinée à faire connaître l’histoire du jazz et ses instruments. Le thème du Canard est ainsi joué par un saxophone soprano ; celui du Chat par un saxophone ténor et celui du Loup par les trombones. Denis Podalydès et Leslie Menu en seront le récitant et la récitante.
-Le 9, on retrouvera avec bonheur au Sunside le Vintage Orchestra que dirige Dominique Mandin. Le club de la rue des Lombards l’accueille en résidence une fois par mois. Donné en février dernier, le premier concert de cette formation de seize musiciens qui se consacre au répertoire du Thad Jones / Mel Lewis Big Band connut un réel succès. Le groupe ressuscite après des années de silence et un unique album incontournable, “Thad” (Nocturne) que l’on peut encore trouver à prix doux sur Amazon. Absente le mois dernier, Sophie Alour devrait retrouver sa place dans la section de saxophones auprès de Dominique Mandin et d’Olivier Zanot. Le Vintage Orchestra compte également dans ses rangs Thomas Savy (clarinettes), Fabien Mary et Yoann Loustalot (trompettes) Daniel Zimmermann et Jerry Edwards (trombones), la rythmique étant confiée à Florent Gac (piano), Yoni Zelnik (contrebasse) et Andrea Michelutti (batterie).
-Il faudra vous rendre à Massy le 13 à 20h30 – Espace Paul B, 6 allée du Québec. RER B ou C – pour écouter le trio de Vijay Iyer qui ne donne pas de concert à Paris. Avec Stephen Crump (contrebasse) et Marcus Gilmore (batterie), le pianiste n’hésite pas à nous faire changer nos habitudes d‘écoute, à nous faire découvrir des paysages sonores inédits, de nouveaux rythmes qui enrichissent sa musique. J’ai récemment mis en ligne dans ce blog la chronique de “Break Stuff”, son dernier album. Une grande réussite. Jazz Magazine vient de lui attribuer un Choc. Vijay y convoque ses modèles, joue Thelonious Monk, John Coltrane, mais aussi ses propres œuvres, une musique pleine de risque, de fièvre, mais aussi d’un grand calme tranquille, les couleurs de l’arc en ciel succédant à l’orage.
-Jeff Ballard au Duc des Lombards les 15 et 16 mars avec les musiciens de Fairgrounds, son nouveau projet : Kevin Hays aux claviers, Reid Anderson à la contrebasse et effets électroniques et Lionel Loueke à la guitare. Ce dernier assurera aussi les parties vocales avec Hays, un des grands pianistes méconnus de la planète jazz (un disque en duo avec Brad Mehldau, trois albums pour Blue Note dont l’un avec Ron Carter et Jack DeJohnette, des enregistrements en solo pour ACT et Pirouet). Batteur du trio de Mehldau, mais aussi de Fly (avec Mark Turner et Larry Grenadier), Ballard, séjourne souvent en France. Il joue dans “Hit” de Baptiste Trotignon et “Woman’s Land” de Stefano di Battista. Compte tenu des musiciens qui l’entoure, son nouveau groupe peut créer la surprise.
-Le 19, le bassiste Nicolas Moreaux présentera au Sunset les morceaux de “Belleville Project”, son prochain CD pour Sunnyside co-signé avec le saxophoniste Jeremy Udden. Outre ces derniers, la formation réunie pour ce concert comprendra Nicolas Kummert au saxophone ténor, Pierre Perchaud à la guitare et au banjo et Antoine Paganotti à la batterie. La formation qui joue sur le disque est en effet quelque peu différente, Udden y faisant participer des musiciens de son propre groupe Plainville. Le projet des deux leaders est de composer la musique d'un film imaginaire dont l'action se situerait à Belleville, le Brooklyn français. Mêlant jazz, folk et country music américaine, orgue à pompe et banjo colorant sa musique, Jeremy Udden est l’auteur de plusieurs opus remarquables dont vous trouverez les chroniques dans ce blog. Quant à Nicolas Moreaux, il a signé avec “Fall Somewhere” (Fresh Sound New Talent) l’un des meilleurs (double) album de l’année 2012.
-Traversée musicale shakespearienne, “Shakespeare Songs” réunira le 20 au Triton, 11 bis rue du Coq Français 93260 Les Lilas, Andy Sheppard aux saxophones, Guillaume de Chassy au piano et Christophe Marguet à la batterie. Les pièces de William Shakespeare comprenaient des interludes instrumentaux et des chansons. Perpétuant à leur manière cette tradition, Marguet et Chassy proposent une galerie de portraits inspirés par les personnages que créa le dramaturge – Romeo, Juliette, Le Roi Lear, Hamlet, Macbeth –, avec comme compagnon de voyage un saxophoniste dont le lyrisme semble parfaitement adapté au projet. Un CD est prévu cet automne sur le label Abalone avec la participation de la comédienne Kristin Scott Thomas.
-Toujours le 20, Banlieues Bleues inaugure son festival avec un premier concert à Saint-Ouen (à 20h30, Espace 1789) avec Charles Tolliver & The Strata-East All Stars comprenant Stanley Cowell au piano, Cecil McBee à la contrebasse, Alvin Queen à la batterie, la chanteuse Jean Carn et Tolliver à la trompette. Ce dernier co-fonda Strata-East en 1971 avec Cowell, une maison de disques de jazz alternatif organisée en coopérative. Le label publia des disques de Billy Harper, John Hicks, son plus gros succès restant l’album “Winter in America” de Gil Scott-Heron. Pour ceux qui aiment, le Sun Ra Centennial Arkestra que dirige aujourd’hui le saxophoniste Marshall Allen, assurera la seconde partie du programme.
-Le 21, la synagogue de l’ULIF, 24 rue Copernic 75016 Paris, accueille une nuit du jazz avec au programme, trois sets de 75 minutes. Franck Amsallem (piano, chant) dont j’ai salué le dernier disque dans ce blog, et Sara Lazarus (chant) se partageront le premier à partir de 20h15, Franck accompagnant bien sûr Sara au piano. Le trio de Yonathan Avishai leur succédera à 21h30, Yoni Zelnik à la contrebasse et Donald Kontomanou à la batterie portant idéalement la musique épurée et chantante du pianiste. Vers 22h45, le saxophoniste ténor Eli Debrigi assurera le troisième set en quartette. Les jeunes musiciens qui l’entourent Gadi Lehavi, 19 ans au piano, Barak Mori à la contrebasse et Ofri Nehemya, 20 ans à la batterie sont extrêmement prometteurs.
-Après y avoir triomphé en 2013, Youn Sun Nah retrouve le théâtre du Châtelet le 23. Avec elle, Ulf Wakenius (guitare) et Vincent Peirani (accordéon) qui l’accompagnent dans “Lento”, et Simon Tailleu son bassiste depuis 2011. Au programme, un répertoire très éclectique, des mélodies qu’elle affectionne et qu’elle chante magnifiquement, des standards de jazz et des morceaux traditionnels coréens interprétés sobrement par des musiciens qui économisent leurs notes pour les rendre plus belles. Etonnée d’être applaudie, de déplacer tant de monde à ses concerts, elle envoûte par une voix de soprano à la tessiture exceptionnelle, s’oublie dans la musique pour la rendre plus vivante.
-Gerald Clayton au Duc des Lombards le 23 et le 24 mars avec Joe Sanders, le bassiste habituel de son trio, et Obed Calvaire qui tient aussi la batterie chez les Clayton Brothers. Bien entouré, Clayton défriche de nouveaux espaces rythmiques, fait danser des métriques impaires qui relèvent du funk et du hip-hop. Elles apportent un autre swing, un rebond dont profite son piano. Sans aller aussi loin dans ce domaine qu’un Vijay Iyer qui privilégie clusters et dissonances, il invente son propre espace rythmique qu’il habille de notes chantantes, d’harmonies élégantes, la modernité de son discours restant profondément ancrée dans l’histoire du jazz, dans les nombreux standards qu’il affectionne et reprend.
-Tom McClung au Sunside le 26 avec le trio qui l’accompagne dans “Burning Bright” (Archie Ball) un nouveau disque dont il fête la sortie. Avec lui deux musiciens avec lesquels il partage le même respect pour la musique afro-américaine, le bassiste hongrois Mátyás Szandai et Mourad Benhammou à la batterie. Le pianiste d’Archie Shepp n’oublie jamais le swing. Charlie Mingus, John Coltrane, Duke Ellington et Thelonious Monk qu’il admire nourrissent sa musique bien ancrée dans le blues. Truffé de notes bleues, son piano élégant et tonique aime prendre des risques. Partageons les avec lui.
-Le 31, dans le cadre du festival Banlieues Bleues, le Théâtre 9 de Blanc-Mesnil invite Cécile McLorin Salvant, elle-même conviant l’accordéoniste Vincent Peirani à rejoindre son groupe : Aaron Diehl au piano, Paul Sikivie à la contrebasse et Lawrence Leathers à la batterie. Cécile reste très attachée aux racines du jazz, à ses sources. Sa voix suave et chaude chante le blues, des thèmes anciens qui parlent à son cœur, mais aussi des chansons dont elle apprécie les mélodies. Oh my Love de John Lennon, Je te veux d'Eric Satie, Le front caché sur tes genoux, un poème haïtien des années 30 qu’elle reprend dans “Woman Child”, son disque précédent. Elle en prépare un autre. Vincent Peirani y sera associé. En première partie (20h30), se produira le Umlaut Big Band, formation de quatorze musiciens faisant revivre des arrangements parfois oubliés des grands orchestres swing.
-Le 31 encore, à la tête de son New York Quintet, constitué par de jeunes et talentueux musiciens new yorkais, Clovis Nicolas retrouve le Sunside qui abrita ses concerts parisiens en avril 2014. S’il conserve ses deux souffleurs, Riley Mulherkar (trompette) et Luca Stroll (saxophones), tous deux présents dans “Nine Stories”, neuf pièces réjouissantes de bop moderne publiées l’an dernier sur Sunnyside, une nouvelle section rythmique l’accompagne. Jeb Patton (piano) et Pete Van Nostrand (batterie) ont longtemps travaillé avec le chanteur Sachal Vasandani. Ils complètent la formation du bassiste qui, installé à New York depuis 2002, y fait une belle carrière.
-Le 31, mais aussi le 1er avril, accompagné par Yoni Zelnik à la contrebasse et Donald Kontomanou à la batterie, Yonathan Avishai se produira au Duc des Lombards. Le pianiste vient d’enregistrer avec eux “Modern Times”, disque dans lequel il revendique sa propre esthétique de piano : peu de notes, des rythmes et des mélodies simples souvent teintées de blues. Appréciant les standards d’un jazz dont il connaît l’histoire, il reprend I Got it Bad (and That Ain’t Good) de Duke Ellington et Cornet Chop Suey de Louis Armstrong, en donne des versions personnelles, minimalistes et tendres, sa section rythmique leur donnant rythme et tension.
-Théâtre des Champs-Elysées : www.theatrechampselysées.fr
-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com
-Espace Paul B (Massy) : www.paul-b.fr
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-Le Triton : www.letriton.com
-Nuit du Jazz à Copernic : www.ulif.org
-Théâtre du Châtelet : www.chatelet-theatre.com
-Banlieues Bleues : www.banlieuesbleues.org
Crédits Photos : Amazing Keystone Band © Bruno Belleudy – Vijay Ayer © Jimmy Katz – Charles Tolliver © Janette Beckman – Youn Sun Nah © Chris Jung – Tom McClung © David Tavan – Cécile McLorin Salvant © John Abbott – Clovis Nicolas © Ingrid Hertfelder – “Mars Attacks !”, Dominique Mandin, Jeff Ballard, Guillaume de Chassy / Christophe Marguet / Andy Sheppard, Gerald Clayton, Yonathan Avishai Trio © Photos X/D.R.