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9 avril 2015 4 09 /04 /avril /2015 09:55

Nick Sanders ne joue décidemment pas du piano comme les autres. Il porte en lui une musique neuve qui ne cherche pas à plaire, mais s’impose d’elle-même aux oreilles averties. “You are a Creature”, son deuxième disque, apparaît encore plus fascinant et étrange que “Nameless Neighbors”, un des treize Chocs 2013 de ce BlogdeChoc. Il est bon de l’écouter attentivement, en assimiler le contenu constituant une singulière et passionnante aventure.

Nick SANDERS Trio : “You are a Creature” (Sunnyside / Naïve)

Nick Sanders a subi l’influence de Thelonious Monk et de Ran Blake dont il fut l’élève. Ses autres professeurs furent Jason Moran, Danilo Pérez et Fred Hersch qui a produit cet album, mais aussi le précédent. Comme lui, Sanders possède une culture harmonique très développée. S’il fait chanter des notes oniriques (celles de Room et de Carol’s Kid, un morceau en solo dont la modernité porte aussi le poids du passé), sa musique reste toutefois beaucoup plus abstraite et dissonante. Souvent des ritournelles (Round You Go), ses compositions évoquent celles d’Ornette Coleman dont il reprend ici The Blessing.

La quasi absence de mélodies « mélodieuses » (des thèmes que l’on peut aisément fredonner) n’empêche nullement des compositions structurées, soigneusement architecturées, les miniatures à tiroir du pianiste étant le fruit d’additions, de soustractions, de mises entre-parenthèses, de notes fantômes, la musique étant alors suggérée, contrebasse et batterie comblant les vides, remplissant les silences. Ce dernier instrument, Sanders l’a également pratiqué. Mais si son jeu de piano reste d’une grande précision rythmique, il prend de grandes libertés harmoniques, cultive les ruptures, les changements de tempos. Il ne débarque toutefois pas de Mars, planète que l’on souhaite aujourd’hui habiter. Originaire de la Nouvelle Orléans, il n’en dédaigne pas les traditions et possède une réelle culture du jazz. Il excelle d’ailleurs dans le stride et le démontre dans sa version de I Don’t Want to Set the World on Fire des Ink Spots que contient “Nameless Neighbors”.

En osmose avec son piano, Henry Fraser (contrebasse) et Connor Baker (batterie), ses condisciples au New England Conservatory of Music, ne se préoccupent pas des barres de mesure, mais adoptent une liberté métrique libérant son phrasé, sa main gauche souple et mobile (Keep on the Watch), la relation du soliste à sa rythmique, conversation intelligente entre trois musiciens, étant ici réellement fusionnelle. Utilisant beaucoup sa grosse caisse, le batteur phrase, module des sons souvent hors de tout battement régulier. Lorsqu’un rythme s’installe ce n’est jamais très longtemps. Celui de Let’s Start ralentit pour mieux repartir. Visité par l’ange du bizarre, You are the Creature bascule aussi dans le ternaire, le swing surgissant de façon inattendue au sein d’un discours musical aussi riche qu’imprévisible. Si comme moi, vous aimez être surpris par une musique qui sort des sentiers battus, échappe à une grille harmonique prévisible, à un encadrement rythmique régulier, un flux sonore qui se permet d’abandonner une tonalité définie pour innover avec cohérence et logique, ce disque est pour vous.

Nick SANDERS Trio : “You are a Creature” (Sunnyside / Naïve)
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