J’ai découvert Jeremy Udden en 2009 lors de la sortie de “Plainville” son deuxième disque, intrigué par l’instrumentation inhabituelle de sa formation, la sonorité diaphane de son saxophone alto et l’originalité de sa musique, un jazz blues teinté de folk et de country music, une musique évoquant la ruralité de la grande Amérique. Le bassiste Nicolas Moreaux m’était inconnu avant la parution de “Fall Somewhere”, grand prix du disque de l’Académie Charles Cros en 2013, un double disque atmosphérique à la croisée du jazz et d’autres musiques populaires qui possède de nombreuses similitudes avec l’univers d’Udden. Comparez le morceau Plainville (petite ville de la Nouvelle Angleterre entre Boston et Providence qui porte le nom de son groupe) avec Far ou la première partie de Oak, deux plages du disque de Moreaux, pour vous en convaincre. Mêmes harmonies délicates et feutrées, instrumentation similaire accordant une large place aux guitares.
De passage à Paris, Udden rencontra Moreaux et sympathisa avec lui. Les hommes eurent alors l’idée de composer et d’enregistrer la musique d'un film imaginaire dont l'action se situerait à Belleville, le Brooklyn français, le studio Pigalle accueillant cette rencontre franco-américaine en mars 2012. Udden fit le voyage avec Peter Rende (claviers) et RJ Miller (batterie), tous deux membres de Plainville. Condisciple d’Udden au New England Conservatory (Boston) et auteur d’un album dont l’instrumentation est semblable à celle de ses disques (“Horses”), Robert Stillman, tient le saxophone ténor. Moreaux lui rend ouvertement hommage dans “Beatnick” son disque précédent. Pierre Perchaud qui joue dans les deux albums que ce dernier a enregistrés assure les guitares et le banjo. Associé à l’orgue à pompe et au beat volontairement rudimentaire que délivre la batterie, l’instrument occupe une place importante dans la musique d’Udden (et dans celle de Stillman), lui donne une couleur champêtre non négligeable.
Car, s’il possède une discrète « french touch », c’est bien l’Amérique et ses musiques que célèbre ce disque. Il est toutefois singulier de constater que son dernier morceau, Healing Process, un rock lourd et énergique très différent des autres plages de l’album, est une composition de Moreaux. Écrit par Udden, construit sur un mode diatonique et générant de vraies improvisations, Belleville en est la pièce la plus jazz. Les autres morceaux aux orchestrations soignées et climatiques évoquent souvent des images. MJH, dédié au bluesman Mississipi John Hurt et Nico, un portrait de Moreaux par Udden, enthousiasment par leurs couleurs et leur fort potentiel lyrique. Jeremy et sa belle mélodie répétée ad libitum et Albert’s Place, une courte et tendre ritournelle, deux thèmes que l’on doit à Moreaux, sont également très séduisants. L’album est très court, à peine quarante minutes, mais sa musique heureuse le rend très attachant.