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5 mai 2015 2 05 /05 /mai /2015 12:09
 Un anonyme en majuscule

Il s’appelait Jacques Myon, mais se faisait appeler Jacques des Lombards. On croisait souvent ce noctambule dans la rue dont il portait le nom, au Duc et au Sunside. Octobre le conduisait tous les ans à Clermont-Ferrand, à Jazz en Tête, au sein des bénévoles. Célibataire, il aimait lever le coude et appréciait les jolies femmes qu’il tarabustait parfois sans méchanceté lorsqu’un trop plein d’alcool lui chatouillait le sang. Nous nous rencontrions souvent au Sunside. Il aimait s’asseoir tout au fond de la salle, sur un des hauts tabourets qui voisinaient l’entrée. Jacques se passionnait pour les courses automobiles. Les lecteurs de ce blog le connaissaient sous le nom de Circuit 24, sobriquet dont je l’avais gentiment affublé. Le vrombissement des moteurs qu’il chérissait allait de pair avec le free jazz sans concession qu’il aimait. Nos goûts musicaux très différents n’empêchaient nullement de bien nous entendre. Jacques avait beaucoup fréquenté le Chat qui Pêche dans les années 60 avant de s’installer aux Amériques comme informaticien et vendeur de voitures. A son retour, il traversa des moments difficiles, mit ses compétences au service du Petit Opportun puis du Sunside qui un temps l’hébergèrent. S’étant trouvé un studio rue des Lombards, il devint Jacques des Lombards et y vécut 20 ans, jusqu’à ce que les services sociaux de la ville de Paris lui proposent l’an dernier une chambre dans un foyer quai des Célestins avec vue sur la Seine. Il en profita peu. La mort vint le prendre dans son sommeil le 15 avril. Il avait 72 ans.

 

Après s’être tenu une première fois à Paris en 2012, à Istanbul en 2013 et à Osaka en 2014, la Journée Internationale du Jazz était une nouvelle fois célébrée à Paris le 30 avril. Point d’orgue des nombreuses manifestations prévues ce jour-là, un concert en soirée à l’UNESCO retransmis en direct dans le monde entier. De grands artistes parmi lesquels Herbie Hancock, Wayne Shorter, Al Jarreau, Marcus Miller, Annie Lennox (qui n’est tout de même pas une chanteuse de jazz), Dianne Reeves, Dee Dee Bridgewater – je ne cite que les plus célèbres –, s’étaient déplacés pour représenter le jazz, symbole d’unité et de paix. La musique qu’ils nous offrirent ne refléta guère sa richesse, sa créativité. A la place, un jazz facile à la portée d’un public bon enfant, toujours prêt à applaudir, à se lever à la demande comme dans un show télévisé. Pour y accéder, plan vigie pirate oblige, je fus badgé, palpé, scanné comme si j’avais dû prendre l’avion, atterrissant dans une vaste salle à l’acoustique éprouvante.

 

Hélène Caroline et Damien n’ont chez eux qu’un piano droit, un Euterpe dotée d'une mécanique Bechstein, qui bien accordé et confié à des mains expertes donne beaucoup de bonheur. Une fois par mois, ils convient des amis aux concerts qu’ils organisent dans leur petit appartement parisien, font écouter du jazz, du bon, à d’autres néophytes. Nicolas Sergio en duo avec Jean-Charles Richard ou avec Stéphane Kerecki, Guillaume de Chassy, Benjamin Moussay et récemment Bruno Angelini interprétant Sergio Leone – le disque doit sortir cet automne – ont ainsi joué devant une cinquantaine de personnes attentives découvrant émerveillées une musique qu’ils n’auraient pas cru possible. Jacques des Lombards aurait sûrement beaucoup aimé.

 

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT

 Un anonyme en majuscule

-Deux trompettistes attirent l’attention le 6 mai. Étoile montante de l’instrument, Ambrose Akinmusire est attendu au Sunside avec Walter Smith III (saxophone ténor), Sam Harris (piano), Harish Raghavan (contrebasse) et Justin Brown (batterie), musiciens qui l’entourent dans “The Imagined Savior is Far Easier to Paint” un disque Blue Note récompensé par l’Académie du Jazz (Prix du meilleur disque de l’année 2014). Tous se plaisent à brouiller les pistes, jonglent avec d’improbables métriques et offrent une musique imprévisible qui se développe avec le plus grand naturel.

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-Le même soir, Stéphane Belmondo s’offre le New Morning avec Jesse Van Ruler (guitare) et Thomas Bramerie (contrebasse) les complices de son nouvel album. Hommage à Chet Baker dont il reprend le répertoire, “Love for Chet” (Naïve) est un grand bain de tendresse offert à un ami, un père spirituel que Stéphane n’a jamais oublié. Il n’est encore qu’un jeune trompettiste prometteur dans les années 80 lorsque Chet qui a eu l’occasion de l’écouter l’invite à venir jouer à ses côtés sur la scène du New Morning : « Il m’a pris sous son aile et m’a toujours donné des conseils précieux. » Vingt-cinq ans plus tard, Stéphane lui témoigne sa reconnaissance en jouant magnifiquement sa musique.

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-Le 7, Ronnie Lynn Peterson se produit en trio au Sunside avec Felipe Cabrera à la contrebasse et Jeff Boudreaux à la batterie. Un événement car les prestations de cet excellent pianiste américain né en 1958 à Wichita (Kansas) et installé à Paris depuis le début des années 90 sont si rares que l’on pourrait croire qu’il ne se préoccupe pas d’en donner. À ma connaissance, un seul concert à Radio France depuis la parution de “Music” (Out Note), un disque produit en 2010 par Jean-Jacques Pussiau, son dernier. Car Ronnie Lynn enregistre aussi peu qu’il ne se montre en public. Jouer des morceaux de Keith Jarrett, l’un de ses pianistes préférés le décide enfin à retrouver la scène. Son piano fragile que nimbent de belles couleurs prend son temps pour séduire, révéler sa profondeur, entrouvrir pudiquement la porte de nos rêves.

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-Toujours le 7, soutenu par la Fondation BNP Paribas, Thomas Enhco sera sur la scène du théâtre du Châtelet pour un concert en solo qui le verra également accueillir le guitariste Kurt Rosenwinkel et le violoncelliste classique Henri Demarquette. Universal, sa compagnie de disques, fait un gros battage publicitaire autour de son nom. Le présenter comme le nouveau prodige du piano jazz n’est pas sans agacer. Lisez plutôt l’interview qu’il accorde à Jazz Magazine en avril et écoutez son dernier disque, son meilleur, chroniqué par mes soins un mois plus tôt dans ce même journal. On y découvre un pianiste sensible, sincère et prometteur. Laissons lui le temps de désapprendre, de se débarrasser d’un toujours trop plein de notes qui masque l’essentiel.

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-Leïla Olivesi au Duc des Lombards le 8 et le 9. Avec ses musiciens, Manu Codjia (guitare), Yoni Zelnik (contrebasse) et Donald Kontomanou (batterie), la pianiste y fête la sortie de son quatrième album. S’inspirant des voyages interplanétaires qu’imagina l’écrivain Cyrano de Bergerac (1619-1655), “Utopia” rassemble sept compositions originales dont Summer Wings qui reçut le prix Ellington Composers, et une relecture de Night and Day, célèbre thème de Cole Porter. Invité sur quatre morceaux, David Binney au saxophone alto muscle la musique et apporte un jazz plus moderne que celui auquel la pianiste nous a habitué. Le saxophoniste Alex Terrier le remplacera au Duc. Pianiste au toucher sensible, aux harmonies délicates, Leïla Olivesi nous offre un disque aux arrangements soignés et d’une grande fraicheur musicale.

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-Le Café de la Danse accueille Eliane Elias le 11 (20h00). Au programme : “Made in Brazil”, son nouveau disque, le premier qu’elle enregistre au Brésil son pays natal depuis son arrivée aux Etats-Unis en 1981. La pianiste mène une double carrière depuis quelques années. Les albums plus commerciaux de la chanteuse ne s’adressent pas forcément au public qui admire son piano. Ceux qui apprécient surtout la pianiste écouteront “Swept Away” (2012) publié sous le nom de Marc Johnson, son mari, ses enregistrements en duo avec Herbie Hancock et les instrumentaux très réussi que parsèment sa copieuse discographie. On ne sait trop quels musiciens seront à ses côtés au Café de la Danse. Ceux, brésiliens, qui jouent dans son album ?

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-Sinne Eeg au Petit Journal Montparnasse le 13. Lauréate du Prix du Jazz Vocal de l’Académie du Jazz l’an passé, la chanteuse danoise s’y produira avec Jacob Christofferson, son pianiste et Morten Lund son batteur. Kaspar Vadsholt, un musicien à découvrir, complète le quartette à la contrebasse. Elle aime joindre sa voix à cet instrument et vient d’enregistrer un disque en duo avec Thomas Fonnesbæk, un des deux bassistes de “Face the Music”, l'album récompensé. Aussi à l’aise dans les ballades que sur tempo rapide, Sinne Eeg impressionne par la justesse de sa voix, son scat original et attachant.

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-Ernie Watts au Duc des Lombards le 13 et le 14. Le club l’accueille chaque année. Le saxophoniste aime y jouer, s’y produire avec ses musiciens, ceux de “A Simple Truth” (Flying Dolphin), un disque de 2014, son dernier. Christof Saenger (piano) et Rudi Engel (contrebasse) étaient avec lui l’an dernier sur la scène du Duc. Le batteur Heinrich Koebberling complète son quartette. Musicien de studio très demandé, Watts se fit surtout connaître par sa participation au sein du Quartet West de Charlie Haden. Sa sonorité chantante au ténor, son vibrato aisément reconnaissable, servirent beaucoup le groupe aujourd’hui légendaire.

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-Le Richie Beirach’s Coming Together Trio au Duc des Lombards les 17 et 18 mai. Le pianiste de Quest vit à Leipzig depuis une quinzaine d’année et enseigne le piano au conservatoire de la ville. Sa plus brillante élève, Regina Litvinova, a consacré un album à ses compositions : “The Music of Richie Beirach”. Russe, elle a étudié le piano classique à Moscou, le jazz à Mannheim, s’est produite au festival de jazz de Montreux, et a participé à Paris en 2010 au Concours de piano jazz Martial Solal. Au sein du trio, elle officie aux claviers électriques. Richie Beirach tient le piano acoustique. Christian Scheuber qu’Irina a connu à Moscou et retrouvé à Mannheim complète le trio à la batterie.

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-Quinzième édition de l’incontournable Festival Jazz à Saint-Germain-des-Prés que soutient activement la Fondation BNP Paribas. Du 21 mai au 1er juin, la rive gauche s’offre un grand bain de jazz avec des concerts répartis dans plusieurs salles et églises du 6ème arrondissement (celles de St. Germain et de St. Sulpice, le Conservatoire Jean-Philippe Rameau, le Réfectoire des Cordeliers, le Théâtre de l’Odéon, la Maison des Cultures du Monde), mais aussi du 5ème (la Maison des Océans, le Centre Culturel Irlandais qui abritera le 31 un grand bal swing avec l’Esprit Jazz Big Band) et du 1er, l’incontournable Tremplin Jeunes Talents se déroulant au Sunset - Sunside le 24 et le 25. On consultera le programme éclectique du festival qui invite cette année Aldo Romano, Airelle Besson & Nelson Veras, Lars Danielsson, Kyle Eastwood et le trio du pianiste Vijay Iyer qu’il ne faut surtout pas manquer.

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-Le 21 au New Morning, Diego Imbert fête la sortie de “Colors” (Such Prod / Harmonia Mundi) dont vous trouverez la chronique dans ce blog. Troisième enregistrement d’un quartette qui existe depuis 2007, ce nouveau disque réunit David El-Malek au saxophone ténor, Alex Tassel au bugle, Franck Agulhon à la batterie et bien sûr Diego Imbert à la contrebasse. Les improvisations du ténor et du bugle prolongent habilement les thèmes souvent exposés à l’unisson, des compositions ouvertes qui offrent de grands espaces de liberté aux solistes. Étroitement liée au drumming foisonnant et puissant de Franck Agulhon, la contrebasse, garante du tempo, arbitre les échanges.

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-Le 23, le festival Jazz à Saint-Germain-des-Prés invite à la Maison des Océans, 195 rue Saint-Jacques (21h00), le trio de Vijay Iyer. Avec Stephen Crump (contrebasse) et Marcus Gilmore (batterie), le pianiste défriche depuis une douzaine d’années de nouveaux territoires sonores. S’il contient de nombreuses pièces lentes, aérées, “Break Stuff”, son dernier disque pour ECM, dévoile aussi des métriques inexplorées. Immense batteur, Marcus Gilmore rythme l’impossible. Quant à Vijay Iyer, il convoque ses modèles, Cecil Taylor, Andrew Hill, Herbie Nichols et renouvèle son attachement à la tradition du jazz en reprenant Countdown, de John Coltrane, Work de Thelonious Monk et Blood Count de Billy Strayhorn.

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-Enrico Pieranunzi et Eric Le Lann ensemble sur la scène du Sunside les 23 et 24 mai, l’événement est à ne pas manquer ne serait-ce qu’au regard de la section rythmique comprenant André Ceccarelli à la batterie, Diego Imbert (le 23) ou Sylvain Romano (le 24) à la contrebasse. Il est des plaisirs qui ne se refusent pas. Ecouter le pianiste met en joie. Cultivant avec humour l’inattendu, il parvient toujours à faire chanter la phrase musicale, à la faire respirer. Comme Eric Le Lann qui lui a consacré un album il y a deux ans, Enrico admire Chet Baker qu’il accompagna lorsque le trompettiste visitait les clubs de jazz des capitales européennes pour jouer sa musique, faire entendre sa sonorité fragile et tendre. Les deux hommes lui rendront un hommage mérité.

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-Le pianiste Kenny Werner et le saxophoniste Benjamin Koppel au Sunside le 26 et le 27, avec Chris Jennings à la contrebasse et Patrick Goraguer à la batterie. Werner et Koppel ont enregistré plusieurs albums pour le label Cowbell Music et joué ensemble dans les clubs de nombreux pays, notamment au Blue Note de New-York. Capable d’égrainer des chapelets de notes, croisant harmonies européennes et lignes de blues, Werner fait sonner son piano avec élégance et surprend par l’étendu de son vocabulaire. Le pianiste romantique tend ainsi la main au bopper, au jazzman qui possède traditions et racines.

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-Jazz à Roland Garros le 28 (Musée de la Fédération Française de Tennis, 21h00) avec Monty Alexander et son trio, Hassan Shakur à la contrebasse et Dennis Mackrel à la batterie. Originaire de la Jamaïque, le pianiste, 71 ans le 6 juin prochain, joue toujours avec la même aisance et le même bonheur. Trempé dans le reggae et le calypso, son piano espiègle, percutant et vif, possède des rythmes et des couleurs qui lui sont propres. S’il admire Art Tatum et Wynton Kelly, sa technique l‘a souvent fait comparer à Oscar Peterson dont il utilisa beaucoup les sections rythmiques. Il a enregistré de très nombreux disques en studio, mais c’est en concert qu’il donne le meilleur de lui-même, mêlant jazz et reggae, jouant avec entrain, virtuosité et vélocité, il enchaine les standards, s’amuse et enthousiasme.

-Sunset-Sunside + Jazz à Roland Garros : www.sunset-sunside.com

-New Morning : www.newmorning.com

-Théâtre du Châtelet : www.chatelet-theatre.com

-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-Café de la Danse : www.cafedeladanse.com

-Petit Journal Montparnasse : www.petitjournalmontparnasse.com

-Festival Jazz à Saint-Germain-des-Prés : www.festivaljazzsaintgermainparis.com

 

Crédits Photos : Jacques des Lombards © Pierre de Chocqueuse – Ambrose Akinmusire © Autumn De Wilde / Blue Note – Thomas Bramerie / Stéphane Belmondo / Jesse Van Ruler © Philippe Marchin – Thomas Enhco © Jean-Baptiste Millot – Leïla Olivesi Utopia Band © Solène Person  Eliane Elias © Fernando Lousa – Sinne Eeg © Philippe Marchin – Ernie Watts © Berna Mutlu Aytekin – Diego Imbert © Pierre de Chocqueuse – Vijay Iyer Trio © Lynne Harty – Enrico Pieranunzi & Eric Le Lann © Philippe Marchin – Monty Alexander © Philippe Etheldrède – Ronnie Lynn Peterson, Richie Beirach’s Coming Together Trio, Benjamin Koppel & Kenny Werner © Photos X/D.R.

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