En quartette, avec Régis Huby aux violons, Claude Tchamitchian à la contrebasse et Edward Perraud à la batterie et aux percussions, Bruno Angelini fait aujourd’hui paraître un nouveau disque à marquer d’une pierre blanche, un Choc que Franck Bergerot n’a pas manqué d’attribuer dans le n° de juin de Jazz Magazine. Jazz ? Musique contemporaine ? On ne sait trop, mais qu’importe ! La musique y jaillit aussi fraîche et limpide qu’une source d’un rocher.
C’est en 2006, dans “Never Alone”, un piano solo pour Minium supervisé par Philippe Ghielmetti, que j’ai découvert Bruno Angelini. Reprenant le répertoire de “The Newest Sound Around”, disque oh combien célèbre co-signé par Jeanne Lee et Ran Blake, le pianiste en donne une réinterprétation lyrique et personnelle. D’autres enregistrements de Bruno ont depuis rejoint ma discothèque, des albums en trio disponibles sur Sans Bruit, des opus en duo avec le trompettiste Giovanni Falzone. Sans oublier “Colors” en quartette avec Gérard Lesne, un haute-contre, disque par moi défendu lors d’un « Pour / Contre » dans les pages de Jazzman. Héritage de l’enseignement de Sammy Abenaïm dont il suivit les cours et qui lui apprit à écouter, ce sont bien sûr les harmonies, la large palette de couleurs dont il dispose, qui me rendent ce pianiste si séduisant. Bruno Angelini enseigne à la Bill Evans Piano Academy (avec Philippe Le Baraillec, musicien cher à mon cœur) et lorsqu’on lui demande quels pianistes il admire, il cite Duke Ellington, Herbie Hancock, Ran Blake, Geri Allen, Richie Beirach, John Taylor, que j’apprécie autant que lui.
Les deux premières plages d’“Instant Sharings” sont des morceaux que Bruno affectionne. Composé par Paul Motian, Folk Song for Rosie apparaît la première fois dans “Voyage” un disque ECM de 1979. On le trouve aussi dans “Misterioso” (Soul Note), “At the Village Vanguard” (Winter & Winter) et “Phantasme” (BMG), un album publié sous le nom de Stephan Oliva avec Motian à la batterie. Violon et contrebasse se voient ici confier le thème. Le piano en égraine les notes tranquilles, ornemente délicatement. Le batteur ajoute des couleurs, fait vibrer peaux et cymbales. Meridianne – A Wood Sylph de Wayne Shorter, une pièce modale qui se développe et palpite, prolonge avec bonheur cette plongée dans le rêve. “1+1”, un disque Verve de 1997 réunissant Wayne Shorter et Herbie Hancock, renferme l'original.
Solange débute comme une sonate pour violon et piano. La section rythmique rejoint tardivement les deux instruments. Le batteur confie alors un beat solide aux nappes brumeuses du violon, aux notes transparentes du piano. Une cadence apparaît également dans Home by Another Way, une pièce modale qui prend le temps de respirer. La contrebasse se joint au piano pour la faire chanter, en effleurer les notes joyeuses. Sa coda abrupte nous projette dans l’univers mélodique de Steve Swallow. Enregistré par ce dernier en septembre 1979 à New York pour ECM, Some Echoes se développe à nouveau autour d'un ostinato tenu par le piano. Violon, batterie et contrebasse jouée à l’archet font lentement danser leurs timbres. L’exposition majestueuse du thème par Régis Huby est un des grands moments du disque que Be Vigilant, une pièce free et agressive, semble diviser en deux parties. Open Land et sa mélodie très lente et très belle dont s’empare un piano mélancolique refroidit cette lave en fusion. Romy et son délicieux balancement lui succède, le disque se terminant par une reprise alanguie de Folk Song for Rosie. Car ici les tempos sont presque toujours lents. Loin de se laisser enfermer par des barres de mesure, la musique évolue librement sous l’action du travail collectif des musiciens qui prennent le temps de développer leurs idées, tant mélodiques que rythmiques. Ces instants, ces moments qu’ils partagent (Instant Sharings) nous sont infiniment précieux.
Concert de sortie au Triton, 11 bis, rue du Coq Français, 93260 Les Lilas, le mercredi 1er juillet à 21h00. Billetterie / Renseignements : 01 49 72 83 13.
Photos : Bruno Angelini © Jean-Baptiste Millot – Bruno Angelini Quartet © Gérard de Haro.