Sept CD(s) capiteux pour l’été, certains plus récents que d’autres, mais tous parus cette année. Une sélection pour le moins éclectique dans laquelle le jazz rencontre parfois d’autres musiques. Ce ne sont pas des disques « repêchés » bien que les textes que je consacre à ces albums soient plus courts que d’habitude. J’ai seulement hâte de mettre les pieds dans l’eau, de voir de plus près les nuages. Ces sont mes dernières chroniques de disques avant la rentrée. Puissent-elles vous donner envie de passer de bons moments avec eux.
Sinne EEG - Thomas FONNESBÆK : “Eeg / Fonnesbæk” (Stunt / UVM)
-Ce n’est pas la première fois que Sinne Eeg se fait accompagner par une seule contrebasse. “Face the Music”, son disque précédent, Prix du Jazz Vocal 2014 de l’Académie du Jazz, contient deux plages avec Thomas Fonnesbæk. Mais c’est un album entier qu’elle enregistre ici avec lui. On pense bien sûr à Sheila Jordan qui après avoir gravé en 1962 une version de Dat Dere en duo avec Steve Swallow, a beaucoup pratiqué l’exercice, avec Arild Andersen, puis plus tard avec Harvie Swartz et Cameron Brown. La chanteuse danoise relève audacieusement le défi, pose sa voix très juste sur les standards qu’ils reprennent. La contrebasse donne le tempo, joue ses propres lignes mélodiques, commente, instaure un dialogue permanent. Une musique d’une grande fraîcheur en résulte.
Kevin HAYS : “New Day” (Sunnyside / Naïve)
-Ce disque de Kevin Hays surprend par son instrumentation inhabituelle. Batterie et contrebasse (ou basse électrique) apportent une solide assise rythmique à l’harmonica de Grégoire Maret et aux guitares de Tony Scheer qui avec Hays se partagent les chorus. Ce dernier utilise divers claviers mais joue surtout du Fender Rhodes, instrument dont il est un des grands spécialistes. Plus étonnant, le pianiste chante dans de nombreux morceaux de l’album, “New Day” s’ouvrant aussi au blues, au folk, au rock, à bien d’autres musiques que le jazz. Hays reprend d’ailleurs Sugar Man de Sixto Díaz Rodríguez dont un film de 2012 (“Searching for Sugar Man”) raconte l’histoire singulière. Highwayman, une des grandes compositions de Jimmy Webb est également au programme de ce disque éclectique.
Magnus HJORTH Trio : “Blue Interval” (Stunt / UVM)
-Marcus Roberts qui adore ce disque n’hésite pas à écrire que son auteur, un pianiste de 33 ans né en Suède et habitant le Danemark, est à la tête de l’un des meilleurs trios de jazz qu’il a écouté depuis longtemps. Enregistré en mai 2013, “Blue Interval” révèle un pianiste de jazz aux racines évidentes. Loin de copier ses maîtres dont il a assimilé le savoir (Hank Jones, Kenny Barron et Marcus Roberts, l’auteur des notes de pochette de l’album), Magnus Hjorth réactualise un genre que d’autres avant lui ont ouvert au be-bop. Le blues dans les doigts, il swingue avec l’élégance d’un Ahmad Jamal, joue avec une sensibilité et une profondeur qui fait souvent défaut aux musiciens actuels.
Laurent MIGNARD Duke Orchestra : “Duke Ellington Sacred Concert” (Juste une trace / Socadisc)
-En octobre 2014, Le Duke Orchestra que dirige Laurent Mignard fit sensation avec le concert des Musiques Sacrées de Duke Ellington qu’il donna en l’église de la Madeleine à Paris. L’événement fut enregistré et filmé. Les titres réunis sur le CD audio bénéficient d’une bien meilleure prise de son que les originaux enregistrés par le Duke. Quant aux images du DVD, elles sont réellement superbes. Ajoutons que Mignard a eu l’habileté de bâtir le programme de son concert avec les meilleurs moments des trois “Sacred Concerts” que donna Ellington. Pour ce faire, il parvint à réunir plus de 160 artistes. Le Duke Orchestra au grand complet, Mercedes Ellington en récitante, les voix de Nicolle Rochelle, Sylvia Howard et Emmanuel Pi Djob, le danseur de claquettes Fabien Ruiz, mais aussi plusieurs chorales dont l’ensemble Les Voix en Mouvement soulevèrent ce soir là des montagnes.
Leïla OLIVESI : “Utopia” (Jazz & People / Harmonia Mundi)
-On connaît depuis longtemps la pianiste aux harmonies légères et délicates. Les membres de son quartette, le guitariste Manu Codjia, le bassiste Yoni Zelnik et le batteur Donald Kontomanou nous sont également familiers. Avec “Utopia”, on découvre une musicienne qui soigne la forme de ses compositions, leur apporte de nouvelles couleurs, mais aussi d’autres rythmes. Pour ce faire, Leïla Olivesi a convaincu le saxophoniste David Binney d’être ici de l’aventure. Son saxophone alto donne du muscle et modernise une musique onirique inspirée par les écrits de l’écrivain Cyrano de Bergerac (1619-1655). Textes utopistes littéraires et philosophiques, “Les états et empires de la lune” et “Les états et empires du soleil” semblent avoir libéré l’imagination de la pianiste qui, pour l’occasion, donne joliment de la voix.
Enrico PIERANUNZI - Federico CASAGRANDE : “Double Circle” (Cam Jazz / Harmonia Mundi)
-On ne présente plus Enrico Pieranunzi, l’un des plus grands pianistes européens, un maître, un poète qui fait chanter ses notes. Moins célèbre, Federico Casagrande quitta Trévise, sa ville natale pour étudier la guitare au Berklee College of Music de Boston. S’il habite Paris depuis plusieurs années, c’est à Udine qu’il a rencontré Pieranunzi. Séduit par son talent, ce dernier lui a proposé d’enregistrer ce disque, une conversation sereine et intimiste entre un piano et une guitare, mais aussi des échanges plus vifs, le bagage technique des deux hommes qui ont co-signé plusieurs morceaux leur permettant toutes les audaces. “Double Circle” contient des compositions d’un grand lyrisme. La seule reprise est Beija Flor, un thème qu’Eddy Louiss et Richard Galliano ont naguère mis à leur répertoire. Ce jazz raffiné et paisible est le fruit d’une belle rencontre.
Joanna WALLFISCH : “The Origin of Adjustable Things” (Sunnyside / Naïve)
-Fred Hersch ne tarit pas d’éloges sur cette jeune et jolie chanteuse britannique qui vit à New York depuis 2012. Outre une voix envoûtante, elle écrit et compose des chansons poétiques aux mélodies séduisantes. Assurant les claviers et jouant un magnifique piano, Dan Tepfer auquel on doit aussi la prise de son remarquable de l’album, apporte de délicats arrangements minimalistes qui renforcent l’aspect onirique de la musique. Éclectique, flirtant avec le folk, Joanna Wallfisch reprend aussi bien des standards du jazz (Never Let Me Go, Wild Is The Wind) que le très beau Song to a Siren de Tim Buckley dans ce disque très attachant.
"Sons d'été", photo X/D.R.