Septembre : longtemps réservée à notre progéniture (la rentrée des classes), l’expression « faire sa rentrée » s’applique abusivement à tous, comme si tout le monde attendait l’été pour sortir, et que la « belle saison » entrainait nécessairement une coupure dans nos habitudes. Les vacances que nous ne prenons pas tous ralentissent toutefois le flux d’activité auquel nous sommes soumis et que la technologie, loin de soulager, accentue. Juillet et août sont un peu plus calmes. Moins de CD(s) dans les boites à lettres, moins de courriels dans les « boîtes de réception » de nos ordinateurs. On profite davantage du temps qui file et nous échappe. On réécoute d’excellents disques que de nouvelles et trop nombreuses parutions nous font délaisser. “Ecstasy” de Steve Kuhn, la “Suite Mangrove” d’Olivier Hutman, “Telepathy” de Bill Stewart, “The Invisible Hand” de Greg Osby réunissant Jim Hall et Andrew Hill m’ont apporté un plaisir indicible. Leurs musiques traduisent l’évolution harmonique et rythmique que le jazz a connu à partir des années 60, un jazz qui s’invente aujourd’hui tant en Europe qu’en Amérique et qui est source de joie.
Rares au regard de la quantité de disques mis en circulation, des chefs-d’œuvre se cachent pourtant dans le flot furieux de nouveautés que chaque mois de l’année nous apporte. Certains interpellent dès leurs premières notes. Les oreilles se dressent alors, attentives. On abandonne les autres dont les piles s’amoncellent. L’embouteillage auditif est inévitable. Cela n’arrive pas tous les jours, mais le miracle peut à tout moment se produire. Ces dernières semaines, plusieurs disques m’ont ainsi fort réjoui. “The Journey” de Keith Brown, “Boundaries” d’Antonio Faraò, “Solo” de Fred Hersch qui fêtera en octobre son 60ème anniversaire, “Essais / Volume 1” de Pierre de Bethmann qui, en trio, délaisse sa propre musique pour redonner vie à des standards, “2081” de John Taylor enregistré avec ses fils et un tubiste (un opus avec Kenny Wheeler est également annoncé) en sont les principaux. Vous en découvrirez les chroniques cet automne, dans ce blog ou dans Jazz Magazine.
J’ai quant à moi pris des vacances, délaissant les méga-festivals indigestes comme le sont les tartes trop crémeuses pour un séjour auvergnat chez l’ami Phil Costing au pied du Cézallier et pour un festival convivial et désaltérant à Frontenay, en Franche-Comté. Difficile de résister à son fameux vin jaune qui lui aussi fait des miracles. Je ne sais si les vins du Jura y ont été pour quelque chose, mais j’ai même assisté à l’un d’entre eux, à un concert très applaudi de Lucky Peterson sans Lucky Peterson. Vous avez dit miracle !
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Les 10, 11 et 12 septembre, Stéphane Belmondo retrouve le Sunside. Avec lui, Thomas Bramerie, le bassiste de “Love for Chet” (Naïve), son dernier disque. Jesse Van Ruler étant indisponible, Alex Freiman le remplace à la guitare. Chet c’est bien sûr Chet Baker disparu en 1988 dont le trompettiste reprend le répertoire, un père spirituel dont il joue magnifiquement la musique.
-Kevin Hays au Duc des Lombards le 11 avec Mat Brewer (contrebasse) et Greg Joseph (batterie). Ce dernier l’accompagne dans “New Day” son dernier enregistrement pour Sunnyside. Hays utilise divers claviers et excelle au Fender Rhodes, son disque s’ouvrant au blues, au folk, au rock, à toutes sortes de musiques. Le jazzman a enregistré de nombreux albums au piano acoustique (trois disques pour Blue Note), un opus en duo avec Brad Mehldau, et mérite d'être mieux connu.
-Felipe Cabrera et Leonardo Montana au Duc des Lombards le 16. Le premier fut longtemps le bassiste de Gonzalo Rubalcaba. De nationalité brésilienne, le second est le pianiste du trio d’Anne Paceo. Ils se sont associés pour enregistrer leurs compositions. L’album s’intitule “Night Poems” et renferme une musique chantante et mélancolique portée par une assise rythmique irréprochable.
-Le batteur Philippe Soirat au Sunset le 18 avec les musiciens de “You Know I Care” (Absilone) son premier album : David Prez au saxophone ténor, Vincent Bourgeyx au piano et Yoni Zelnik à la contrebasse. Assurant depuis fort longtemps dans les clubs parisiens, Philippe a joué avec un nombre impressionnant de jazzmen et a participé à une bonne cinquantaine d’enregistrements. Avec lui point de tempos flottants, mais une rigueur de tous les instants. Son drive favorise le swing et le sert à merveille. Ce premier disque nous replonge dans les grandes années du hard bop. Thelonious Monk, Wayne Shorter, Duke Pearson, Herbie Hancock, Joe Henderson et d’autres en signent les compositions. Elles bénéficient de relectures inspirées.
-Don Menza au Sunside le 18 et le 19. Né en 1936, le saxophoniste travailla comme soliste et arrangeur pour Maynard Ferguson, Buddy Rich et Woody Herman. Saxophoniste puissant, il excelle également dans les ballades grâce à une sonorité élégante et raffinée. Ses longues phrases lyriques et sensuelles servent toujours les mélodies qu’il ne perd jamais de vue lorsqu’il improvise. Excellent arrangeur, l’auteur de Groovin’Hard, Time Check, et de la Channel One Suite est aussi un musicien de studio réputé. Avec lui les pianistes Alain-Jean Marie (le 18) et Vincent Bourgeyx (le 19), Luka Gaiser (contrebasse) et Bernd Reiter (batterie) complétant la formation.
-Concert de sortie le 24 au Sunside de “Valparaiso”, nouvel album de Pierre Christophe sur le label Black & Blue. Le pianiste l’a enregistré en quartette avec Olivier Zanot (saxophone alto), Raphaël Dever (contrebasse) et Mourad Benhammou (batterie). C’est son premier disque en studio depuis cinq ans. Il contient dix compositions nouvelles qui témoignent de sa fidélité au swing et au blues qui irrigue ses musiques. Bonheur garanti !
-Le Petit Journal Montparnasse fête ses 30 ans en musique, et pour deux concerts, le 24 et le 25 (à 21h30), invite David Linx à rejoindre le PJM Orchestra version big band. Dans ses rangs se font entendre d’excellents musiciens parmi lesquels Claude Egea et Sylvain Gontard (trompettes), Michael Joussein et Jerry Edwards (trombones), Baptiste Herbin et Julien Lourau (saxophones), Mauro Gargano assurant la contrebasse et Yvan Descamps la batterie. La formation compte également deux arrangeurs, Mathieu Debordes qui en est aussi le pianiste, et Nicolas Bruche, un autre trompette.
-Le 29 (à 20H30), allez donc poser vos yeux et vos oreilles dans la cave voutée (XIIe siècle) du 38 rue de Rivoli. Le club programme le Trio Jérôme Beaulieu, trois jeunes musiciens québécois qui se sont fait remarquer l’hiver dernier au Sunside. Autour du pianiste (Jérôme Beaulieu), Philippe Leduc à la contrebasse et William Côté à la batterie. Ils se sont rencontrés à l’Université de Montréal et ont publié deux albums. Le second, “Chercher l'Équilibre” (Effendi Records), a été récompensé en 2014 par le Félix de l'album de l'année dans la catégorie jazz création.
-Le trompettiste Wallace Roney se produira au Sunside les 1er, 2 et 3 octobre. Sa relation privilégiée avec Miles Davis l’a conduit comme ce dernier à multiplier les projets musicaux. On lui doit quelques grands albums parmi lesquels “The Wallace Roney Quintet” (Warner Bros.) produit par Teo Macero en 1995. Membre du quintette de Tony Williams dans les années 80, il revient à Paris avec une section rythmique de rêve : Buster Williams (contrebasse) et Lenny White (batterie), grands musiciens que l’on ne présente plus. Benjamin Solomon (saxophone ténor) et Victor Gould (piano), complètent la formation.
-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-Petit Journal Montparnasse : www.petitjournalmontparnasse.com
-La Cave du 38’Riv’ : www.38riv.com
Crédits Photos : Stéphane Belmondo, Kevin Hays, Felipe Cabrera & Leonardo Montana, Philippe Soirat, Pierre Christophe, David Linx © Philippe Marchin – “C’est la rentrée”, Don Menza, Trio Jérôme Beaulieu © Photos X/D.R.