Novembre : Retour de Clermont-Ferrand, de Jazz en Tête, des couleurs, des sons, des images plein la tête. Ron Carter en quartette avec la pianiste Renee Rosnes, le trio explosif du batteur Jeff Ballard associant le saxophone rêveur et rêvé de Chris Cheek à la guitare de tous les possibles de Lionel Loueke, la découverte du Blackstone Orchestra, big band clermontois de dix-sept musiciens survolant avec brio les partitions audacieuses de Franck Pilandon et d’Eric Pigeon en furent des moments forts. Le concert que donna le pianiste Sullivan Fortner marqua également les esprits, mais, je n’étais déjà plus à Clermont pour le voir.
La ville m’avait donné d’autres images à méditer, celles en noir et blanc de tristes rues quasi désertes. Car si les centres commerciaux et les cinémas de la place de Jaude conservent leurs clientèles et leurs couleurs, la vieille ville semble s’éteindre doucement autour de l’église Notre-Dame-du-Port restaurée et plus belle que jamais, comme si le Clermont historique connaissait une lente et inexorable mise au tombeau. La faute à qui ? Les grandes surfaces installées à la périphérie des villes et la progression du commerce en ligne accélère cette désertification. Les commerçants de la rue du Port et la rue Pascal ont presque tous fermé boutique. Mes flâneries de promeneur solitaire me conduisent à la porte d’un des rares disquaires qui n’a pas encore fait naufrage. Il survit grâce à la vente de vieux vinyles, des disques de pop, de rock, de soul. Il a aussi un peu de jazz qui peine à trouver preneur. Je découvre à l’état de neuf “Tutti”, un disque d’Antoine Hervé de 1985. Magnifique pochette de Daniel Jan. Au verso, Antoine a l’air d’un vrai gamin.
Les Parisiens ne se rendent pas compte de leur chance. Leur trépidante ville lumière fait le plein de boutiques en tous genres, même de miracles. On trouve tout avec de la patience. Se promener, prendre le temps sur le temps qui accélère, réduire son face à face avec le Net qui nous vole de précieuses heures, remplacer le clic par la claque que donne la découverte inespérée d’un album recherché chez un disquaire, boycotter Amazon pour visiter les FNAC et Gibert Joseph boulevard Saint-Michel. Pour les vinyles, Paris Jazz Corner, Crocojazz, la Dame Blanche vous attendent, vous conseillent et donnent des couleurs à la ville. N’est-ce pas mieux que l’écran sur lequel nos yeux s’usent ?
C’est un festival. Il a pour nom Jazzycolors et il existe depuis 13 ans. Les centres et instituts culturels étrangers de Paris abritent les concerts de ses participants, des musiciens qui nous viennent de plus de 20 pays. Patronné par le pianiste Bojan Z, il propose une programmation audacieuse qui a pour mérite de nous faire découvrir des inconnus. En 2011 la pianiste Julia Hülsmann s’invitait au Goethe Institut. En 2013 la chanteuse belge Mélanie De Biasio enthousiasmait l’Institut Culturel Italien, prélude à une reconnaissance devenue effective. L’an dernier, Jazzycolors conviait la pianiste roumaine Ramona Horvath et le pianiste italien Stefano Battaglia à jouer leur musique. Si la musique improvisée difficilement étiquetable que certains proposent n’a souvent pas grand chose à voir avec du jazz, ce festival apporte régulièrement son lot de bonnes surprises. On retiendra cette année les concerts du vibraphoniste luxembourgeois Pascal Schumacher, de la pianiste canadienne Emie Rioux-Roussel et du chanteur polonais Wojciech Myrczek en duo avec son compatriote Pawel Tomaszewski au piano.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Le 2, Géraldine Laurent et son presque nouveau quartette occuperont la scène du Duc des Lombards. Presque nouveau, car si le fidèle Yoni Zelnick assure toujours la contrebasse, il est rejoint par Paul Lay au piano et Donald Kontomanou à la batterie. J’ai dit tout le bien que je pensais de “At Work”, nouvel album de la saxophoniste (alto) que vient de produire Laurent De Wilde. Son répertoire sera bien entendu au programme de ce concert. Epistrophy de Thelonious Monk et Goodbye Porkpie Hat de Charles Mingus, Chora Coraçao d’Antonio Carlos Jobim et de nouvelles compositions aussi brillantes qu’originales nous ferons oser Géraldine.
-John Scofield retrouve le New Morning le 5 pour nous jouer son nouveau disque. Intitulé “Past Présent”, il réunit Joe Lovano (saxophone ténor), Larry Grenadier (contrebasse) et Bill Stewart (batterie). Ben Street remplace Grenadier pour cette tournée ce qui ne risque pas de trop bouleverser la musique du guitariste. Sauf que les compositions de Scofield se révèlent bien plus intéressantes lorsqu’elles sont jouées live, ses albums studio ne parvenant jamais à totalement convaincre.
-Le 5 toujours, on peut préférer à la guitare de John Scofield le saxophone d’André Villéger. Ce dernier fête au Sunside la sortie d’un nouvel album enregistré avec Philippe Milanta au piano. Outre une paire de compositions originales, “For Duke and Paul” (le saxophoniste Paul Gonsalves) qu’a produit Michel Stochitch pour Camille Productions propose des relectures souvent inattendues de quelques thèmes du répertoire ellingtonien. Billy Strayhorn n’y est pas oublié (écoutez A Flower is a Lovesome Thing joué au soprano par André). Les deux hommes ne cherchent jamais à imiter leurs illustres aînés, mais leurs recréations traduisent l’élégance de leurs styles respectifs, jeux nuancés et subtils qui servent la musique.
-Après deux soirées en octobre autour de la danse (« Le Bal ») et du mariage du jazz et de l’accordéon, Patrice Caratini retrouve le Studio de l’Ermitage le 8 avec un programme consacré aux rythmes afro-antillais. Un double plateau avec le Tropical Jazz Trio (Alain Jean-Marie au piano, Roger Raspail aux percussions et Patrice à la contrebasse) et le Latinidad Quintet que le bassiste créa en 2009 autour de son travail sur les percussions cubaines. Autour de lui : Rémi Sciuto au saxophone, Manuel Rocheman au piano et deux percussionnistes, Inor Sotolongo et Sebastian Quezada.
-Une fois par mois, le Sunside accueille en résidence le Vintage Orchestra, formation de seize musiciens dirigée par le saxophoniste Dominique Mandin qui se consacre au répertoire du Thad Jones / Mel Lewis Big Band. Dans ses rangs, David Sauzay et Olivier Zanot (saxophones), Thomas Savy (clarinettes), Fabien Mary et Yoann Loustalot (trompettes), Daniel Zimmermann et Jerry Edwards (trombones) nous sont familiers. De même que Florent Gac (piano) Yoni Zelnik (contrebasse) et Andrea Michelutti (batterie) qui assurent la rythmique. La date : le 9 novembre.
-Le 9 toujours, la chanteuse Indra Rios-Moore remarquée dans un album Impulse publié cette année s’offre le Divan du Monde (75, rue des Martyrs 75018 Paris). Produit par Larry Klein, “Heartland” mêle avec bonheur, jazz, folk, blues et country. Le répertoire éclectique comprend des compositions de Duke Ellington, David Bowie, Roger Waters (le célèbre Money), Doc Watson et Thomas Bartlett dont la chanson From Silence reste la préférée de Indra qui habite le Danemark. Avec elle, Benjamin Traerup, son mari, au saxophone ténor. Uffe Steen (guitare), Thomas Sejthen (contrebasse) et Jay Bellerose (batterie) complètent la formation.
-Après l’Européen en mai 2014 et le Sunside cette année, Do Montebello s’invite le 10 au Studio de l’Ermitage pour chanter sa musique brésilienne mâtinée de jazz et de musiques du monde. Avec elle, Patrick Favre (piano), Sergio Farias (guitare), Ricardo Feijão (baixolão), Christophe de Oliveira (batterie) et Xavier Desandre Navarre (percussions), des musiciens complices qui offrent un écrin sur mesure à sa voix. Née à Albi, élevée en Algérie et grande voyageuse – ses nombreux déplacements l’ont conduite à découvrir les Caraïbes, les Etats-Unis et le Brésil –, Do Montebello chante et parle plusieurs langues et séduit par le message écologique de ses textes. Publié l’an dernier “Adamah”, son premier disque, cri d’amour rendu à la Terre malmenée et à tous les déracinés qui y vivent, est une grande réussite.
-Bruno Angelini au Sunside le 18. Un concert en deux parties. En solo pour la première, Bruno interprétera le programme de “Leone Alone”, nouvel album paru sur le label Illusions et produit par Philippe Ghielmetti et moi-même. L’écoute de sa musique il y a quelques mois m’a décidé à casser ma tirelire, l’amateur de piano que je suis ayant été séduit par ces relectures inspirées de Giu la testa (“Il était une fois la révolution”) et de Il buono, il brutto, il cattivo (“Le bon, la brute et le truand”). En deuxième partie de programme, Bruno Angelini se verra rejoindre par Francesco Bearzatti (saxophone ténor, clarinette) pour une recréation inédite de C’era una volta il West (“Il était une fois dans l’Ouest”) Un sacré duel en perspective !
-Dans le cadre du festival Jazzy Colors, le vibraphoniste luxembourgeois Pascal Schumacher est attendu le 19 à 20h00 à l’Institut Finlandais le (60, rue des Ecoles 75005 Paris) dans le cadre du festival Jazzy Colors. Son quartette qui existe depuis 2002 comprend aujourd’hui Franz von Chossy au piano Paul Belardi à la guitare basse et Jens Düppe à la batterie. Jeff Neve qui entreprend depuis quelques années une carrière sous son nom en a été le pianiste. Si l’ambitieux “Bang My Can” (2011) souffre d'une trop grande dispersion musicale, il n’en va pas de même avec “Left Tokyo Right”, un disque que lui ont inspiré plusieurs séjours au Japon, le vibraphoniste incorporant non sans finesse des éléments musicaux de la culture japonaise à sa musique.
-Pour son émission Jazz sur le vif, le Studio 105 de la Maison de la Radio accueille Susanne Abbuehl et ses musiciens le samedi 21 à 17h30. Matthieu Michel (bugle), Wolfert Brederode (piano, harmonium indien) et Olavi Louhivuori (batterie, percussions) l’entourent dans “The Gift” un disque de 2013, son plus récent. Car Susanne Abbuehl est une chanteuse rare qui enregistre peu. Trois albums pour ECM en quinze ans ne l’empêche nullement d’être toujours proche de nous. Ses reprises de Carla Bley (Ida Lupino, Closer) ou les musiques qu’elle pose sur des poèmes de James Joyce, Emily Dickinson, Emily Brontë, pour ne citer qu’eux, servent une voix pure et aérienne qui allonge ou contracte les syllabes de ses mots pour mieux les rythmer et les faire respirer. Avec elle, le verbe devient images, paysages qui invitent à rêver. Le saxophoniste Sylvain Beuf et son quartette électrique – Manu Codjia (guitare), Christophe Wallemme (contrebasse) et Julien Charlet (batterie) assureront la première partie.
-Pierre de Bethmann revient au trio avec un nouvel album dont il fêtera la sortie au Sunside les 24 et 25 novembre. Dans “Essais / Volume 1” (Aléa), Sylvain Romano (contrebasse) et Tony Rabeson (batterie) partagent avec lui un répertoire aussi éclectique qu’inattendu, repensent avec goût et imagination Promise of the Sun d’Herbie Hancock, Pull Marine de Serge Gainsbourg, Sicilienne de Gabriel Fauré, Indifference de Tony Murena mais aussi le Chant des Marais ou Chant des Déportés, que composa en 1933 un employé de commerce allemand enfermé par les nazis pour ses idées politiques. Laissons nous porter par cette musique improbable, fruit de l’invention commune de trois musiciens inspirés.
-Sheila Jordan au New Morning le 20. Avec le temps sa voix s’est faite fragile, son chant tend vers l’épure, comme si les mots s’éteignaient doucement. On n’oublie pas ses grands disques, “Portrait of Sheila qu’elle enregistra pour Blue Note en 1962 avec Steve Swallow à la contrebasse, ses rencontres avec d’autres bassistes, Arild Andersen, Harvie Swartz et Cameron Brown. On se souvient aussi du quartette qu’elle co-dirigea avec le pianiste Steve Kuhn, un album superbe enregistré pour ECM en 1979, “Playground”, en résultant. Au New Morning, le bassiste sera François Moutin. Son frère Louis officiera à la batterie et Jean-Michel Pilc au piano. Ne manquez pas cette grande Dame du Jazz Vocal.
-Le Gil Evans Paris Workshop que dirige Laurent Cugny, donnera son dernier concert de l’année le 25 au Studio de l’Ermitage. L’occasion de découvrir cette jeune formation de seize musiciens qui se consacre au répertoire de Gil Evans, reprend ses arrangements mais aussi ceux que Laurent confia naguère à ses propres orchestres, d’autres, plus récents, venant les compléter. Thisness de Miles Davis, Goodbye Pork Pie Hat de Charles Mingus, Blues in Orbit de George Russell, King Porter Stomp de Jelly Roll Morton arrangés par Evans, Time of the Barracudas écrit par lui-même, la musique est un feu d’artifice de swing, de couleurs et d’harmonies aussi raffinées qu’élégantes.
-Festival Jazzy Colors : www.jazzycolors.net
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-New Morning : www.newmorning.com
-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com
-Studio de l’Ermitage : www.studio-ermitage.com
-Le Divan du Monde : www.divandumonde.com
ILLUSTRATION : Antoine Corbineau PHOTOS : Géraldine Laurent & Paul Lay, Vintage Orchestra © Philippe Marchin – Joe Lovano & John Scofield © Nick Suttle – André Villéger & Philippe Milanta © Daniel Maignan – Patrice Caratini, Bruno Angelini, Pierre de Bethmann, Laurent Cugny © Pierre de Chocqueuse – Do Montebello © Ivan Silva – Pascal Schumacher © Illan Weiss – Susanne Abbuehl © Andrea Loux / ECM – Indra Rios-Moore, Sheila Jordan © photos X/D.R.