Présidée par François Lacharme, l’Académie du Jazz fêtait ses soixante ans au théâtre du Châtelet le 8 février et, pour la première fois de son histoire, accueillait le grand public lors d’une soirée de gala au cours de laquelle elle dévoila son palmarès 2015. La remise des prix fut toutefois écourtée au profit d’un programme musical varié et attractif, la musique restant la grande gagnante de cette soirée inoubliable.
Un All Stars d’anciens lauréats du Prix Django Reinhardt en constituait la première partie. Récipiendaire du prix en 1961, René Urtreger eut l’honneur d’ouvrir les festivités. Il choisit une composition récente, Timid, dédiée à Agnès Desarthe qui termine d’écrire un livre sur le pianiste pour les Éditions Odile Jacob (parution prévue au printemps). Après cette belle prestation en solo, René fut rejoint sur scène par Airelle Besson et Eric Le Lann (trompettes), Géraldine Laurent, Pierrick Pedron et Stéphane Guillaume (saxophones), Henri Texier (contrebasse) et Simon Goubert (batterie). Summertime (dans une réduction du superbe arrangement de Gil Evans) et Milestones furent ainsi joués en octette.
Toujours avec René Urtreger au piano, Henri Texier à la contrebasse et Simon Goubert à la batterie, Airelle Besson et Stéphane Guillaume nous offrirent une belle version de Django, un thème de circonstance. Géraldine Laurent et Eric Le Lann firent de même dans The Man I Love et dans What’s New, Airelle s’associa au saxophone alto de Pierrick Pedron, les huit musiciens de l’orchestre constituant ainsi des quintettes au personnel interchangeable. Autre temps fort, une relecture acrobatique de The Bridge (Sonny Rollins), exploit réalisé sans piano par les trois saxophones, la contrebasse et la batterie. Les lauréats du Prix Django Reinhardt remplissaient aussi la salle. Antoine Hervé, Laurent Cugny, Pierre de Bethmann, Jean-Louis Chautemps, Laurent de Wilde, Sophia Domancich, Médéric Collignon, j’en oublie bien sûr, n'avaient pas voulu manquer l’événement. D’autres non plus. Le Châtelet, archi-comble, avait un air de fête.
Après un court entracte, François Lacharme revint sur scène remercier les sociétés civiles (SACEM, SPEDIDAM, ADAMI) et les partenaires de l’Académie parmi lesquels la Fondation BNP Paribas dont l’Académie bénéficie depuis plusieurs années du généreux mécénat. La remise des prix fut courte. Peu de blabla, mais le micro laissé à des lauréats heureux qui prirent le temps de le dire. Le Prix du Disque Français fut remis à Géraldine Laurent pour “At Work” (Gazebo / L'autre distribution), un disque en quartette produit par le pianiste Laurent de Wilde qui recueille bien des récompenses, l’Académie Charles Cros l'ayant également primé.
Récompensé pour l’ensemble de son œuvre, John Surman qui vit à Oslo avait fait le voyage pour recevoir Le Prix du Jazz Européen et participer au concert. Pianiste du Duke Orchestra, Philippe Milanta obtenait le Prix du Jazz Classique pour “For Duke and Paul”, un album enregistré avec le saxophoniste André Villeger. Quant au très convoité Prix Django Reinhardt, la plus prestigieuse récompense que décerne chaque année l’Académie, il échut à Paul Lay, qui au piano nous offrit une version de Cheek to Cheek aussi moderne et audacieuse qu’inattendue.
Le rideau se leva sur le Duke Orchestra* dirigé avec talent et savoir-faire par Laurent Mignard. On est soulevé par le swing, la puissance sonore des sections, conquis par la beauté et l’intelligence d’un répertoire intemporel. L’orchestre attaqua très fort avec Kinda Dukish couplé avec Rockin’in Rhythm, morceaux qui firent trembler les murs du théâtre, Philippe Milanta nous offrant un mirifique solo de piano. Carl Schlosser fit chanter Cop Out à son saxophone ténor. Didier Desbois brilla à l’alto dans Things Ain’t What They Used to Be et le saxophone baryton de Philippe Chagne donna expressivité et chaleur à l’immortel(le) Sophisticated Lady, les musiciens, tous excellents, se partageant des chorus mémorables. Un des autres sommets de la soirée nous fut donné avec la Harlem Suite que Duke Ellington enregistra en décembre 1951 pour Columbia. Une partition qui permet à Aurélie Tropez de mettre en valeur sa clarinette. Assurant les effets de growl, la trompette de Jérôme Etcheberry y tient une place importante. Cet orchestre irrésistible est porté par une section rythmique associant étroitement le piano de Philippe Milanta, la contrebasse de Bruno Rousselet et la batterie confiée à Julie Saury, celle de Sam Woodyard acquise récemment par la Maison du Duke*, mariage de trois gros instruments organisant le rythme, posant le temps sur lequel tous les musiciens doivent obéir et se régler.
*Dirigé par Laurent Mignard, le Duke Orchestra comprend : Benjamin Belloir, Gilles Relisieux, Jérôme Etcheberry, Richard Blanchet (trompettes), Nicolas Grymonprez, Michaël Ballue, Jerry Edwards (trombones), Didier Desbois, Aurélie Tropez (saxophones alto, clarinettes), Fred Couderc, Carl Schlosser (saxophones ténor), Philippe Chagne (saxophone baryton, clarinette basse), Philippe Milanta (piano), Bruno Rousselet (contrebasse) et Julie Saury (batterie).
Les invités du Duke Orchestra qu’annonçait le programme étaient bien sûr très attendus. Parmi eux, John Surman qui avait apporté son saxophone soprano joua un arrangement de Passion Flower de son ami John Warren, et séduisit le public par sa sonorité veloutée, la douceur de son timbre donnant un surplus de tendresse à ce classique ellingtonien.
Récipiendaire du Prix Django Reinhardt en 1966, Jean-Luc Ponty avait fait parvenir à Laurent Mignard deux de ses compositions arrangées par Jim McNeely. To and Fro, la première, exige une cadence quelque peu alambiquée. Le violoniste parvint toutefois à s’intégrer facilement à la formation qui avait eu le temps de travailler ses morceaux. Nul autre que lui maîtrise à ce point l’instrument dans le jazz, le musicien virtuose séduisant par sa sonorité heureuse, la chaleur expressive de son timbre. Bénéficiant d’un arrangement plus chatoyant, The Struggle of the Turtle to the Sea, sa seconde pièce, une ballade, fut un des grands moments de cette sacrée soirée. Seul bémol, Sanseverino fut modérément apprécié dans It Don’t Mean a Thing malgré la parfaite tenue du Duke Orchestra pendant sa prestation. Bien chanter Ellington n’est pas à la portée de tous. La longue introduction de Take the “A” Train confié au piano, les magnifiques couleurs peintes par les anches et les cuivres que le swing met si bien en mouvement, nous firent oublier le scat approximatif du musicien dont les efforts pour se rapprocher du jazz méritaient indulgence.
Ce soir de fête s’acheva tard dans la nuit au Sunset. Le Conseil des Vins de Saint-Emilion régalait. Le bleu du jazz se teintait de rouge dans le noir de la nuit.
Photos © Philippe Marchin
LE PALMARÈS 2015
Prix Django Reinhardt :
PAUL LAY
Grand Prix de l’Académie du Jazz :
FRED HERSCH « SOLO »
(Palmetto)
Prix du Disque Français :
GÉRALDINE LAURENT « AT WORK »
(Gazebo/L’Autre Distribution)
Prix du Musicien Européen :
JOHN SURMAN
Prix de la Meilleure Réédition ou du Meilleur Inédit :
ERROLL GARNER « THE COMPLETE CONCERT BY THE SEA »
(Columbia Legacy/Sony Music)
Prix du Jazz Classique :
ANDRÉ VILLÉGER / PHILIPPE MILANTA « FOR DUKE AND PAUL »
(Camille Productions/Socadisc)
Prix du Jazz Vocal :
CÉCILE McLORIN SALVANT « FOR ONE TO LOVE »
(Mack Avenue/Harmonia Mundi)
Prix Soul :
TAD ROBINSON « DAY INTO NIGHT »
(Severn/www.severnrecords.com)
Prix Blues :
HARRISON KENNEDY « THIS IS FROM HERE »
(Dixiefrog/Harmonia Mundi)
Prix du livre de Jazz :
JULIA BLACKBURN « LADY IN SATIN »
(Rivages Rouge/Payot)