Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 mars 2016 3 02 /03 /mars /2016 09:05
L'amie américaine

Son nom était Harriette Draper mais ses amis l’appelaient Heidi. Lorsque je fis sa connaissance au début des années 80, elle avait quitté l’Amérique et habitait Paris, sur une péniche. Elle aimait le jazz et je travaillais à Jazz Hot. Il m’était donc facile de la faire inviter à des concerts et nous prîmes l’habitude d’y aller ensemble. Née à Boston pendant la guerre, elle s’était familiarisée avec le jazz dans sa jeunesse et lorsque Chet Baker, Stan Getz, Dizzy Gillespie ou Art Blakey et ses Jazz Messengers venaient jouer à Paris, elle se faisait une joie d’aller les entendre. Sensible au jazz de Wynton Marsalis, au poids de la tradition culturelle que véhicule cette musique, elle était également ouverte à un jazz plus moderne, toujours partante pour écouter les musiciens que je lui conseillais.

L'amie américaine

Heidi me faisait confiance et je lui fis découvrir les jazzmen que j’admirais, parmi lesquels bien sûr de très nombreux pianistes. Je pense à Aaron Goldberg, Tord Gustavsen, Gerald Clayton que nous écoutâmes en concert. Celui que donna en solo Brad Mehldau le 10 septembre 2011 à la Cité de la Musique me vient également à l’esprit. Brad nous enchanta ce soir-là par une version inouïe de La Mémoire et la mer qui figure dans le coffret “10 Years Solo Live” édité l’an dernier. La prestation en solo de Marc Copland dans l’auditorium de cette même Cité de la Musique le 7 septembre 2012 fut un autre grand moment pianistique. Nous le retrouvâmes après le concert, Heidi, enthousiasmée par son piano, se faisant prendre en photo avec lui. Sur un autre cliché datant du 3 juillet de l’année précédente, elle est avec Enrico Pieranunzi qu’elle avait beaucoup apprécié en solo au Sunside.

L'amie américaine

Connaissant beaucoup de monde, Heidi organisait souvent des dîners et des fêtes. Elle invitait ses amis et les miens pour mes anniversaires, pour les 14 juillet. Sa péniche restant amarrée port de Suffren, au pied de la tour Eiffel, nous étions très bien placés pour assister aux feux d’artifice. J’ai rencontré chez elle de nombreux artistes, Roland Topor qu’elle appréciait et dont le rire énorme me reste toujours en mémoire, le peintre Michael Bastow qui fit des portraits d'elle, le créateur d’œuvres protéiformes Yujiro Otsuki, les cinéastes Jean Rouch et Richard Leacock qui fut son professeur, ses amies actrices Alexandra Stewart et Gabrielle Lazure. Le producteur Anatole Dauman (Argos Films) lui faisait une cour assidue. Elle le trouvait beaucoup trop vieux mais l‘amusait beaucoup. Diplômée en anthropologie et cinéaste militante, elle réalisa plusieurs films dont “Take It Backconsacré au candidat démocrate Howard Dean dont elle suivit en 2004, en Iowa, la campagne pour les primaires américaines, “Home Sweet Home coréalisé avec le cinéaste Michael Raeburn et consacré à l’histoire de leurs familles respectives, et “The Musical Steppes of Mongolia réalisé avec l’ethnomusicologue Alain Desjacques en 1995.

Heidi s’était installée au Mexique, à San Miguel de Allende, et ces dernières années, je la voyais l’été, entre deux déplacements. Nous poursuivions nos sorties dans les clubs de la capitale, profitant de ces soirées musicales pour dîner ensemble. Elle avait vendu sa péniche et rapatrié ses affaires au Mexique et projetait d’y organiser un festival de jazz. Les concerts du quartette de Bruno Angelini au Triton le 1er juillet, de Ronnie Lynn Patterson au Sunside le 7 juillet et du trio de René Urtreger le 28 août dans ce même club furent les derniers que nous vîmes ensemble. Elle n’avait jamais été malade et je la croyais en bonne santé lorsque le 24 janvier je reçus d’elle, de New York, la triste nouvelle de sa fin proche. Elle avait un cancer en phase terminale, me renouvelait son amitié et me remerciait pour tous ces merveilleux concerts partagés. Son fils Ahab m’annonçait son décès une semaine plus tard. Le jazz perd une amie, ma grande amie américaine.

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT

L'amie américaine

-Réunissant Christian Gaubert (piano), Jannick Top (basse électrique) et André Ceccarelli (batterie) Ligne Sud est attendu au Duc des Lombards le 3. Avec eux Christophe Leloil (trompette) et Thomas Savy (saxophone soprano, clarinette basse) qui les accompagnent dans “Lendemains Prometteurs (Cristal Records), leur second album. Compositeur, arrangeur et chef d’orchestre né à Marseille le 29 juin 1944, Christian Gaubert revient ainsi au jazz après avoir consacré une bonne partie de sa carrière au cinéma. On lui doit notamment les arrangements d’“Un homme et une femme” et de “Vivre pour vivre”, des thèmes écrits par Francis Lai avec lequel il collabora étroitement. Pianiste et compositeur habile, il sait mettre en lumière ses propres œuvres, des pièces lyriques que ses complices trempent dans un swing irrésistible.

L'amie américaine

-Le saxophoniste Benny Golson au Petit Journal Montparnasse le 5. Né en 1929, ce n’est plus un tout jeune homme et son glorieux passé a fait de lui une légende. Compositeur, il a écrit des thèmes que bien d’autres ont repris, des standards dont il confia certains aux Jazz Messengers dont il fut un temps le directeur musical. Along Came Betty, Stablemates, Whisper Not, I Remember Clifford et Blues March en sont les plus célèbres. Ceux qui aiment le jazz se souviennent aussi du Jazztet, formation qu’il codirigea avec le trompettiste Art Farmer. Agé de 87 ans, le saxophoniste possède toujours une sonorité chaude et généreuse au ténor. Il se lance en quartette dans une tournée européenne qui le verra probablement s’économiser, prendre le temps de respirer. Antonio Faraò au piano, Gilles Naturel à la contrebasse et Doug Sides (batterie) seront là pour l’aider.

L'amie américaine

-Toujours le 5, une soirée 100% jazz au féminin à la Philharmonie de Paris (20h30) avec Ladies !, formation réunissant Cécile McLorin Salvant (chant), Ingrid Jensen (trompette), Anat Cohen (clarinette), Renée Rosnes (piano, en photo), Melissa Aldana (saxophone), Linda Oh (contrebasse) et Terri Lyne Carrington (batterie). Certaines d’entre-elles nous sont connus. Cécile vient récemment d’obtenir un Grammy Award pour son dernier album qui a également reçu le Prix du Jazz Vocal 2015 de l’Académie du Jazz, et Renée a tourné l’an dernier en Europe avec Ron Carter. Epouse de Bil Charlap avec lequel elle a enregistré un remarquable “Double Portrait pour Blue Note, c’est également une grande pianiste qui assumera la direction de cet orchestre pas comme les autres.

L'amie américaine

-Kenny Barron et son trio au New Morning le 10. Le pianiste joue avec Kiyoshi Kitagawa (contrebasse) et Johnathan Blake (batterie) depuis une bonne dizaine d’années. Avec eux, il reprend son vaste répertoire, revient sur d’anciennes compositions, en ajoute quelques nouvelles. Son nouveau disque “Book of Intuition” sort le 4 mars sur Impulse. Il en jouera probablement des extraits, des versions probablement meilleures que celles un peu plan-plan que contient l’album. Car le pianiste dont les harmonies raffinées trempent dans le bop est souvent meilleur devant un public qu’en studio. Les deux disques qu’il enregistra en avril 1996 au Bradley’s (avec Ray Drummond à la contrebasse et Ben Riley à la batterie) sont là pour le prouver.

L'amie américaine

-Enregistrement de l’émission Jazz sur le Vif dans le studio 105 de Radio France le samedi 12 à 17h30. Au programme Alcazar Memories, un trio franco-suédois comprenant Paul Lay au piano, Isabel Sörling au chant et Simon Tailleu à la contrebasse. Chansons populaires françaises (surtout provençales) et suédoises et compositions originales constituent leur répertoire. Le Instant Sharings Quartet de Bruno Angelini (en photo), avec Régis Huby au violon, Claude Tchamitchian à la contrebasse et Edward Perraud à la batterie, assurera la seconde partie. Publié en juin 2015, l’album du même nom (“Instant Sharings”) privilégie couleurs et harmonies, la musique souvent onirique, fruit d’un travail collectif qui, sur scène, laisse beaucoup de place à l’improvisation, traduit l’univers poétique du pianiste.

L'amie américaine

-Christian McBride au New Morning le 16 avec le batteur Christian Sands et le batteur Ulysses Owens, Jr. qui l’accompagnent régulièrement depuis trois ans. Digne héritier du grand Ray Brown, McBride, bassiste virtuose, a adopté la formule du trio en 2009 lorsque, obligé d’assurer un concert sans deux des membres de son quintette, il se rendit compte que le trio lui offrait un plus grand espace de liberté. Car avec lui, la contrebasse, instrument mélodique à part entière, s’autorise de véritables dialogues. Christian McBride la fait chanter, en sculpte les notes, en fait sonner les harmoniques. Il la caresse, la flatte et elle ronronne comme un gros chat heureux.

L'amie américaine

-Ralph Alessi au Duc des Lombards le 19 avec Gary Versace (piano), Drew Gress (contrebasse) et Nasheet Waits (batterie), musiciens qui l’accompagnent dans “Quiver, le deuxième album que le trompettiste enregistre pour ECM. Le premier “Baida qui réunit à peu près la même équipe – Jason Moran en est le pianiste – a été l’un de mes 13 Chocs de l’année 2013. Le groupe donne à entendre une musique modale et onirique, bien plus lyrique et apaisée que celle que Ralph Alessi joue avec This Against That, formation dont Drew Gress était également le bassiste. On écoutera aussi le trompettiste avec Enrico Pieranunzi dans “Proximity disque récemment chroniqué dans ce blogdeChoc.

L'amie américaine

-Chanteuse inclassable dont la voix escalade trois octaves, Marjolaine Reymond présentera le 20 au Sunside les morceaux de “Demeter No Access”, son prochain disque. Confié un temps à David Patrois, le vibraphone se voit finalement remplacé par le piano de Bruno Angelini et Julien Dubois (saxophone alto) succède à Julien Pontvianne (saxophone ténor), la section rythmique restant inchangée avec Xuan Lindenmeyer (contrebasse) et Stefano Lucchini (batterie). Consacré à la poétesse Emily Dickenson, “To Be an Aphrodite or not to Be”, son dernier album, date de 2013. Elle en reprendra probablement des extraits.

L'amie américaine

-Le 21 au théâtre du Châtelet, Patrice Caratini tentera de résumer son demi-siècle d’aventures musicales en invitant quatre générations de musiciens à rejoindre son Jazz Ensemble, dans les rangs duquel officie quelque uns de nos meilleurs jazzmen français. Parmi les très nombreux invités du contrebassiste, compositeur, chef d’orchestre et arrangeur citons Martial Solal et Gustavo Beytelmann (piano), Marcel Azzola (accordéon) Sarah Lazarus (chant), Thierry Caens (trompette), l’Orchestre Régional de Normandie, mais aussi Maxime Le Forestier qui interprétera Le fantôme de Pierrot, une chanson de l’album “Hymne à sept temps” que Patrice avait orchestré en 1976.

L'amie américaine

-Le pianiste italien Franco d’Andrea au Sunside le 25 avec Daniele d’Agaro (clarinettes) et Mauro Ottolini (trombone). En janvier 2011, il recevait des mains de Jean-Luc Ponty le Prix du Musicien Européen décerné par l’Académie du Jazz au théâtre du Châtelet. Membre de la formation d’Aldo Romano à la fin des années 80, auteur d’un album en trio pour Owl Records dont je ne me lasse pas d’écouter (“Volte” un enregistrement de 1989) et d’une vaste somme pianistique pour Philology, (huit disques en solo), Franco D’Andrea reste méconnu en France. Son dernier disque, un coffret de trois CD(s) enregistrés à Rome et en public, le fait entendre en solo et à la tête de deux formations différentes dont un sextet inventif (ses deux compatriotes qui l’accompagnent au Sunside en sont membres) se consacrant à la musique de Thelonious Monk.

L'amie américaine

-René Urtreger au Sunside le 26 et le 27 avec Yves Torchinsky à la contrebasse et Eric Dervieu à la batterie, ses musiciens complices grâce auxquels son piano chante et danse avec plus de facilité que d’autres. Le 26, René invite Géraldine Laurent à souffler dans son saxophone alto, à rendre plus énergique encore sa musique, un jazz inventé par Bud Powell (son idole) et Thelonious Monk, ce be-bop qui grâce à lui et quelques autres reste vivant et toujours joué. Géraldine aime ce répertoire. Comme René, elle le reprend dans ses disques, joue Gallop’s Gallop et Nica’s Tempo (dans son album “Around Gigi” largement consacré à Gigi Gryce), Epistrophy dans “At Work”, récemment primé par l’Académie du Jazz. Géraldine et René se sont récemment retrouvés sur la scène du Théâtre du Châtelet pour fêter les 60 ans de l’Académie du Jazz et s’entendent à mettre leur technique au service d’une musique dont ils entretiennent la mémoire.

L'amie américaine

-Les 29 et 30 mars au Duc des Lombards, Pierre Perchaud (guitare), Nicolas Moreaux (contrebasse) et Jorge Rossy, batteur des premiers disques de Brad Mehldau, joueront le répertoire de “Fox” disque qui a pu voir le jour grâce à un « crowdfunding » (financement participatif). Loin d’exhiber une virtuosité stérile, les trois hommes construisent ensemble une musique aux harmonies subtiles et délicates. Entre John Scofield, Kurt Rosenwinkel et Jim Hall, la guitare de Perchaux associe finesse d’expression à une sonorité travaillée. Auteur de trois des dix pièces que contient l’album, Nicolas Moreaux, est aussi un compositeur qui apporte de vraies mélodies au groupe. Les tempos lents et médiums favorisent le lyrisme que les musiciens prennent le temps d’exprimer, ciselant leurs notes comme des orfèvres leurs pierres précieuses. Leur version de And I Love Her en est une assurément. On l’écoute comme dans un rêve.

L'amie américaine

-Le 30, Frédéric Borey retrouve le Sunside avec les musiciens de “Wink” son dernier album dont j’ai dit tout le bien dans ce blog. Michael Felberbaum (guitare), Leonardo Montana (piano), Yoni Zelnik (contrebasse) et Fred Pasqua (batterie) entourent le saxophoniste s’exprimant au ténor, un instrument dont il parvient à obtenir une sonorité originale. Avec eux, Frédéric Borey revisite des standards, les réinvente comme si ce matériel thématique venait de voir le jour. Des œuvres de George Gershwin (Bess, you is my Woman Now, My Man’s Gone Now), de Cole Porter (Get Out of Town), de Bill Evans (Blue in Green) sans oublier une version tonique de Boplicity sont confiés à un arrangeur qui les habille d’harmonies et de rythmes nouveaux, leur apporte des couleurs inédites. Ses relectures audacieuses méritent le déplacement.

L'amie américaine

-La 33ème édition de Banlieues Bleues se déroulera du 18 mars au 15 avril. Peu de concerts m’interpellent en mars, le festival abritant les couleurs de très nombreux genres musicaux. On pourra toutefois investir la Maison du Peuple de Pierrefitte-sur-Seine le 26 pour y écouter le guitariste Biréli Lagrène avec Franck Wolf (saxophones ténor et soprano), Mathieu Chatelain (guitare) et Diego Imbert (contrebasse). Rendez-vous en avril, avec le Tinissima 4Et du saxophoniste Francesco Bearzatti à Tremblay-en-France (le 6) et le pianiste Chucho Valdés à Montreuil (le 8) dans un hommage à Irakere.

-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-Petit Journal Montparnasse : www.petitjournalmontparnasse.com

-Cité de la Musique - Philharmonie de Paris : www.philharmoniedeparis.fr

-New Morning : www.newmorning.com

-Jazz sur le Vif : www.maisondelaradio.fr/concerts-jazz

-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com

-Théâtre du Châtelet : www.chatelet-theatre.com

-Banlieues Bleues : www.banlieuesbleues.org

 

Crédits Photos : Harriette Draper, Renée Rosnes, Bruno Angelini, Marjolaine Reymond © Pierre de Chocqueuse – Ligne Sud Trio, Benny Golson, Ralph Alessi, Patrice Caratini, René Urtreger & Géraldine Laurent, Frédéric Borey © Philippe Marchin – Kenny Barron Trio © Impulse ! Records – Christian McBride Trio © Chi Modu – Franco d’Andrea © Riccardo Musacchi – Pierre Perchaud / Nicolas Moreaux & Jorge Rossy © Photo X/D.R.

Partager cet article
Repost0

commentaires