Depuis sa création en 1983, le label danois Stunt Records engendre rencontres et enregistrements de qualité. Après la récente “Suite of Time” de Hank Ulrik célébrant le 75ème anniversaire de la Grundtvig Church à Copenhague (vous pouvez en lire la chronique dans ce blog), Stunt, distribué en France par Una Volta Music, met en circulation deux autres disques épatants qu’il me faut recommander.
Aaron PARKS - Thomas FONNESBÆK - Karsten BAGGE :
“Groovements” (Stunt Records / Una Volta Music)
Été 2014 : artiste en résidence au Danemark, le pianiste Aaron Parks rencontre le bassiste Thomas Fonnesbæk et le batteur Karsten Bagge. Le peu de temps qu’ils passent ensemble leur permet de se découvrir une même sensibilité artistique. Pour la partager, une séance d’enregistrement est organisée à Vanløsse, l’un des quartiers de Copenhague, une seule journée de studio qui fait naître les dix morceaux que contient cet album. Des compositions des trois musiciens, quelques standards, une version inattendue de I’m on Fire, un thème de Bruce Springsteen, et une improvisation collective très travaillée en constituent le répertoire. Né en 1983, Aaron Parks a fait ses classes auprès du trompettiste Terence Blanchard. Quatre albums confidentiels aujourd’hui recherchés, un enregistrement pour Blue Note, un autre en solo pour ECM constituent l’essentiel de sa discographie. Il est aussi le pianiste de James Farm, quartette au sein duquel le saxophoniste Joshua Redman officie (deux albums publiés à ce jour). Très demandé en studio, digne successeur de Niels-Henning Ørsted Pedersen (NHOP) et de Jesper Lundgaard, deux musiciens danois qui ont beaucoup servi l’instrument, Thomas Fonnesbæk force l’admiration dans le dernier disque de sa compatriote, la chanteuse Sinne Eeg, un duo voix / contrebasse qui compte parmi les grandes réussites du genre. Possédant une fermeté d’attaque impressionnante, une sonorité ample et puissante, Fonnesbæk apporte une seconde voix mélodique à la musique. Moins connu, mais rythmant à l’occasion les efforts d’un trio réunissant Kevin Hayes au piano et Scott Colley à la contrebasse, Karsten Bagge impose son jeu foisonnant, sa puissance de feu percussive. Arbitré par sa batterie, les chorus se succèdent, s’entremêlent, la contrebasse, très présente, enrichissant de commentaires pertinents le discours inspiré du piano. Le modèle est bien sûr Brad Mehldau qui fait suivre ses mélodies de variations inattendues, de plongées vertigineuses dans l’inconnu. Sans prendre les mêmes risques, Parks soigne la mise en couleurs de ses morceaux, développe de surprenantes lignes mélodiques, des voicings élégants. Nous sommes le 12 août 2014 à Copenhague, et Tit Er Jeg Glad, une page romantique de Carl August Nielsen, le plus célèbre compositeur danois, donne naissance à un des grands moments de l’album, sa plage la plus chantante. J’ajoute pour vous convaincre que le trio revisite avec talent Bolivia de Cedar Walton et que, cerise sur le gâteau, You and the Night and the Music, standard si fréquemment repris, se refait une jeunesse. Ce disque intelligent contient son poids de bonne musique. À vous maintenant d’en profiter.
Scott HAMILTON - Karin KROG : “The Best Things in Life”
(Stunt Records / Una Volta Music)
Invité l’an dernier à enregistrer un album pour fêter le centenaire de la naissance de Billie Holiday, le saxophoniste Scott Hamilton eut la bonne idée de demander à Karin Krog de joindre sa voix au projet. Une idée risquée au regard des derniers disques, peu convaincants, de la chanteuse norvégienne qui, dans un répertoire attractif adaptée à sa voix chaleureuse, déploie ici technique et métier. Karin Krog n’est pas seule à nous étonner. Pianiste surestimé, Jan Lundgren pratique ici un jeu sobre, élégant, qui sert constamment la musique, notamment dans l’instrumental We Will Be Together Again, une des ballades préférées de la chanteuse. Il est seul à l’accompagner dans How Am I To Know, une chanson de 1929 associée à Billie Holiday, mais aussi à Ava Gardner et Rosemary Clooney. Pris sur un tempo plutôt rapide, The Best Things in Life, une des rares pièces de l’American Songbook que Scott Hamilton n’avait jamais interprété, ouvre le disque. Une section rythmique irréprochable – Hans Backenroth à la contrebasse et Kristian Leth à la batterie – encadre la voix. Le saxophone ténor assure les obbligatos avant de souffler les notes en apesanteur de son chorus, de faire chanter son instrument. Sa sonorité ample et chaleureuse fait merveille dans les ballades de l’album, We Will Be Together Again déjà cité et I Must Have That Man que Billie Holiday popularisa. Karin Krog les chante avec assurance et justesse. Elle pratique l’art de la vocalese qui consiste à chanter des solos de musiciens sur lesquels ont été placées des paroles. Des improvisations de Stan Getz et de Lars Gullin dans Don’t Get Scared se prêtent ainsi au timbre de sa voix espiègle et séduisante. Elle fait de même dans Sometimes I’m Happy, reprenant avec des mots le chorus de contrebasse que s’offre Slam Stewart dans une ancienne version de ce morceau, un chorus à l’archet que Hans Backenroth, un fan de Stewart, joue fidèlement à ses côtés. De facture classique, la musique de ce disque n’est certes pas nouvelle, mais le bonheur qu’éprouvent ses interprètes à la jouer et le swing réjouissant qu’ils insufflent à leurs morceaux, la rendent très séduisante.
Crédits photos : Aaron Parks © Bill Douthart / ECM Records - Scott Hamilton / Karin Krog Band © Tore Sætre / Wikimedia.