Jean-Christophe CHOLET - Matthieu MICHEL “Whispers”
(La Buissonne / Harmonia Mundi)
Pianiste de formation classique, Jean-Christophe Cholet compose pour la danse, le théâtre, pour des orchestres symphoniques ou d’harmonie. Avec Heiri Känzig à la contrebasse et Marcel Papaux à la batterie, il possède le sien depuis 2002, un trio inventif et d’une rare cohésion avec lequel il a déjà enregistré sept albums que l’on peine à trouver dans les bacs des disquaires. Il donne de nombreux concerts en Suisse, en Allemagne, en Autriche, en Italie, mais je ne l’ai jamais vu sur une scène parisienne. L’écoute fortuite de “Beyond the Circle”, un disque de 2008, me fit découvrir sa musique, son piano raffiné qui privilégie l’harmonie, la couleur, la beauté de la note. La sortie de “Connex” en 2011 me donna l’occasion de rédiger une chronique enthousiaste.
Enregistré avec le trompettiste Matthieu Michel, un complice de vingt ans, le jazz de chambre apaisé de “Whispers” nous ouvre les portes des rêves. Matthieu ne joue ici que du bugle. Plus doux que celui d’une trompette, son timbre est mieux adapté à une conversation intime, à une musique qui semble naître de la brume, jaillir du silence, se chante, mais aussi se murmure, se chuchote (Whisper). Dès la première plage, Fair, le piano se fait mélancolique. Un bugle subtil à la sonorité ouatée répond à ses accords. Le dialogue entre les deux instruments s’instaure un peu plus tard, en douceur. He’s Gone, une composition de Charlie Mariano leur en donne l’occasion. Le tempo est lent, les harmonies magnifiques. Disposant d’un toucher élégant, Jean-Christophe Cholet fait magnifiquement sonner le piano du Studio La Buissonne. Peu de notes, mais de l’espace pour les faire respirer, pour goûter leurs nuances. On ne s’attend pas à ce qu’un accordéon introduise Rêve, le morceau suivant. L’instrument de Didier Ithursarry renforce l’aspect crépusculaire de la musique, lui ajoute grâce et mystère. De la couleur aussi. Rythmé par les tambours de Ramon Lopez qui s’invite aussi à ces agapes, Rêve est plus vif, plus tendu. Dans l’inquiétant Junction Point, également en quartette, le rythme n’est que foisonnement, ponctuation sonore. Il est souvent suggéré, esquissé. Le swing n’a pas vraiment sa place dans cet album poétique qui sort de l’ordinaire et ne se laisse pas facilement classifier.
Jazz ? Musique improvisée ou contemporaine ? Qu’importe, car la musique s’impose, majestueuse dans sa simplicité, son absence d’artifice. Dans The Fairground, un duo piano / batterie, Ramon Lopez ne se préoccupe pas des barres de mesure. Il aère et colore le tempo, fait bruisser ses cymbales et parler ses tambours. Il n'a pas besoin d'être toujours présent. Les plages que se réservent les deux leaders se suffisent à elles-mêmes. Zemer et Le tour de Marius, le plus long morceau de l'album, contiennent de magnifiques échanges mélodiques entre le piano et le bugle. Dialogue feutré entre le bugle et l’accordéon, Onnance éblouit par sa lumière, sa profonde sérénité. Ne manquez pas la plage cachée de ce disque habité. De la musique tout simplement.
Photo © Jean-Baptiste Millot