L’été, le temps des vacances, des migrations estivales. Il fait bon bouger, changer d’air, se livrer à de nouvelles activités et modifier ses habitudes. Peu mélomane, le Français profite des festivals qui essaiment du nord au sud pour écouter de la musique, du jazz si le village ou la ville dans laquelle il réside en programme. Des festivals de jazz, il y en a partout et pour tous les goûts. Paris en offre plusieurs et reste le meilleur endroit pour en écouter.
Le Festival All Stars qu’organise le New Morning jusqu’au 3 août fait le plein de bons musiciens. À partir du 8 juillet et jusqu’au 18 août, le Sunside abrite la 25ème édition de son American Jazz Festiv’Hall. Le club célèbre aussi les pianistes et jusqu’au 10 septembre, en convie d’excellents à son Festival Pianissimo. Le Duc des Lombards intitule le sien « Nous n’irons pas à New York » et invite pendant deux mois (juillet et août) musiciens français et américains à y participer. Quant au Paris Jazz Festival, c’est au Parc Floral de Vincennes qu’il se déroule jusqu’au 31 juillet. Il se veut l’expression des « jazz du monde » et propose non sans faire grincer quelques dents, des musiques pour le moins éclectiques. Si l’on ajoute les concerts du Baiser Salé, du Petit Journal Montparnasse et des autres clubs de la capitale, Paris est de loin le premier rendez-vous jazzistique de l’hexagone.
Difficile donc de quitter une ville qui offre davantage de bonne musique que partout ailleurs à la même époque, même si Marciac attire par ses têtes d’affiche, toujours les mêmes au demeurant, et que pour écouter Chick Corea et son 75th Birthday Quintet il faut se rendre à Jazz à Vienne. Le parisien ne connaît pas son bonheur. Il peut choisir ses concerts, rester chez lui lorsque ce qu’on lui propose ne le tente pas. Il est en vacances, prend son temps, respire et entend mieux, se promène, visite les musées et change ses habitudes. Ainsi, le passionné qui fréquente les clubs de jazz toute l’année met son blog en sommeil et s’accorde en août un repos mérité. Cet édito est le dernier avant la rentrée de septembre. Quelques chroniques de disques récemment parus suivront en juillet. On peut partir avec eux en vacances.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Jean Bardy et Emil Spányi au Baiser Salé le 7 juillet. Sans tambour ni trompette, la contrebasse de Jean et le piano d’Emil dialoguent, échangent et inventent en toute intimité. Emil n’avait jamais co-signé un disque sous son nom avant d’enregistrer avec Jean en 2014 “Very Blue” sur le jeune label Parallel Records. Un album passé inaperçu malgré la qualité de son répertoire, des compositions originales mais aussi des standards bien choisis – Come Sunday, Along Came Betty, I Love You Porgy –, interprétés avec imagination et talent. Ne manquez pas l’opportunité qui vous est offerte de les redécouvrir en concert.
-Bassiste d’expérience, Clovis Nicolas vit et travaille à New York depuis 2002. Il y a deux ans, la sortie de son premier disque “Nine Stories” (Sunnyside) lui donna l'occasion de renouer avec les clubs parisiens qui ne l'avaient pas oublié. Il retrouve le Sunside les 8 et 9 juillet avec un quartette sans piano au sein duquel officient Luca Stoll (saxophones ténor et soprano) et le batteur Luca Santaniello, tous deux déjà présents à ses côtés lors de sa dernière visite dans la capitale. Steve Fishwick, un nouveau trompettiste, complète la formation. Elle jouera ses nouvelles compositions, le répertoire de son prochain disque “Four Corners” à paraître l’an prochain.
-Le 12, le quartette de Pharoah Sanders – William Henderson au piano, Oli Hayhurst à la contrebasse et Gene Calderazzo à la batterie – est attendu au New Morning. Le saxophoniste s’y produit tous les deux ans à peu près. Né en 1940, il a participé à l’aventure du free jazz et a joué avec John Coltrane, participant à ses derniers albums, son saxophone ténor soufflant de longues phrases brûlantes imprégnées de ferveur mystique. Avec le temps il a canalisé son énergie au sein d’une musique mieux structurée, mélange de blues, de bop, de soul toujours emprunte de spiritualité.
-Lizz Wright au New Morning le 15. On ignore qui va l’accompagner, bien que l’on peut avancer les noms de Kenny Banks (claviers), Pete Kuzma (orgue), Dan Lutz (contrebasse) qui jouent sur “Freedom & Surrender”, un disque de 2015, son plus récent, superbement produit par Larry Klein (Madeleine Peyroux, Melody Gardot). Compositions originales et reprises bien choisies (To Love Somebody des Bee Gees, River Man de Nick Drake) s’entremêlent avec bonheur, la voix chaude et envoûtante de la chanteuse se révélant aussi à l’aise dans le blues, le funk, le gospel, le folk et la country, Lizz Wright embrassant toute la richesse de la musique américaine dont elle est une des artistes incontournables.
-Grande Dame du piano dont le nom reste associé au grand orchestre qu’elle codirigea avec le saxophoniste Lew Tabackin, son mari, Toshiko Akiyoshi ne nous a pas visité depuis longtemps. Elle sera au Sunside les 15 et 16 juillet avec Gilles Naturel à la contrebasse et Philippe Soirat à la batterie pour rythmer le bop que la disciple émancipée de Bud Powell se plaît à jouer. Car Toshiko est aussi une pianiste émérite dont le jeu puissant et dynamique n’exclut pas un certain romantisme.
-Pianiste ambidextre – deux mains indépendantes dialoguent et font des miracles – l'excellent pianiste franco-américain Dan Tepfer est attendu le 16 au Sunset. Un concert qui le verra jouer du Fender Rhodes, Joe Sanders à la contrebasse et Arthur Hnatek à la batterie complétant la formation. Dan apprécie les rencontres. Il a accompagné la chanteuse Joanna Wallfisch, le saxophoniste Ben Wendel, le grand Lee Konitz. Il excelle à jouer Bach (ses “Variations Goldberg”) et à brouiller les pistes. Son jeu fin, sensible, élégant va de paire avec une technique qui lui permet bien des audaces. Il aime provoquer la surprise, saupoudrer de dissonances ses lignes mélodiques, sa musique accueillant des harmonies aussi riches qu’inattendues.
-Musicien inventif, Mark Turner s’est choisi Warne Marsh comme modèle et loin de toute exubérance son saxophone ténor chante de longues phrases mélodiques non dénuées de mélancolie, de longues lignes chromatiquement complexes qu’il expose souvent dans l’aigu de l’instrument. Sous une apparente froideur, Turner reste un musicien lyrique. Il sera au Duc des Lombards les 19 et 20 juillet (19h30 et 21h30) avec un quartette sans piano comprenant Jason Palmer à la trompette, Joe Martin à la contrebasse et Jorge Rossy à la batterie.
-Les Yellowjackets au Petit Journal Montparnasse le jeudi 21 (mais aussi la veille au Sunside) dans le cadre de l’American Jazz Festiv’Halles (Sunset Hors les Murs). Fondée autour du guitariste Robben Ford en 1981, la formation connut de très nombreux changements de personnel et de mises en sommeil. Ses meilleurs disques – “Four Corners”, “The Spin” – datent de la seconde moitié des années 80. Elle compte alors dans ses rangs Marc Russo (saxophones), Russell Ferrante (claviers et piano) Jimmy Haslip (contrebasse) et William Kennedy (batterie) et propose alors un jazz fusion assez soft au sein duquel des instruments acoustiques et électriques pactisent en bonne intelligente. Les Yellowjackets se sont fait oublier au cours des décennies suivantes, malgré l’arrivée de Bob Mintzer aux saxophones au début des années 90. Ce dernier en est toujours membre. Ferrante et Kennedy aussi. Le bassiste australien Dane Alderson complète la formation. Un nouvel album, “Cohearence”, sort prochainement sur le label Mack Avenue.
-Longtemps associé à la lutte contre l'apartheid et également connu sous le nom d'Abdullah Ibrahim, le compositeur et pianiste sud-africain Dollar Brand est attendu en quartette au New Morning le 22 avec Lance Bryant (clarinette, flûte, saxophone ténor), Noah Jackson (contrebasse, violoncelle) et Will Terrill (batterie). Découvert au début des années 60 par Duke Ellington qui après l’avoir fait enregistré à Paris l’encouragea à gagner les Etats-Unis où il se produisit notamment au Festival de Newport, il reste une figure emblématique de l’ « African Jazz », sa musique d’inspiration souvent religieuse, voire mystique, empruntant ses rythmes obsessionnels au Marabi et à la musique traditionnelle sud-africaine.
-Franck Amsallem étudia aux Etats-Unis (Berklee College, Manhattan School of Music) et fit ses classes dans les clubs de New-York, ville dans laquelle il réside aujourd’hui. Pianiste attaché à l’harmonie et aux standards de l’histoire du jazz, il avait enregistré de nombreux albums sous son nom avant d’oser en 2009 “Amsallem Sings”, puis en 2014 “Sings Vol. II”, un disque en trio dans lequel il phrase comme un instrumentiste et chante avec un naturel confondant les mélodies qu’il reprend au piano. Il revient au Duc des Lombards le 29, son nouveau quartette comprenant Irving Acao au saxophone ténor, Viktor Nyberg à la contrebasse et Gautier Garrigue à la batterie.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT EN AOÛT
-Concert de clôture de son Festival All Stars qui débuta le 27 juin, le quartette de John Abercrombie investit le New Morning le 3. Autour du guitariste, Marc Copland au piano, Drew Gress à la contrebasse et Joey Baron à la batterie. Pour vous faire une idée de la qualité de la musique du groupe, écoutez “39 Steps” un disque ECM enregistré en avril 2013 qui la restitue fidèlement.
-Au Duc des Lombards, le festival « Nous n’irons pas à New York » se poursuit jusqu’au 31 août. Parmi les nombreux concerts qui interpellent ne manquez pas le 2 et le 3 ceux du pianiste Cyrus Chestnut (découvert en 1991 au sein du groupe de Wynton Marsalis) en trio avec Darryl Hall (contrebasse) et Willie Jones III (batterie). – Les 10, 11 et 12 août, le club parisien accueille le saxophoniste Benny Golson, un des derniers vétérans de la saga du jazz. Avec lui, le pianiste italien Antonio Faraò grand pourvoyeur d’harmonies aussi subtiles que délicates, Gilles Naturel à la contrebasse et Doug Sides à la batterie. – Le 26 et le 27, Jean-Michel Pilc s’offre le Duc en trio avec François Moutin à la contrebasse, Lukmil Perez (le 26) et André Ceccarelli (le 27) à la batterie. Le pianiste excelle dans tous les registres : audaces harmoniques, cascades d’arpèges et de notes perlées, il s’autorise toutes les surprises.
-Chaque été depuis 11 ans, le Sunside organise son Festival Pianissimo et accueille quelques uns des meilleurs pianistes de l’hexagone. Parmi eux, René Urtreger invite les 4 et 5 août Géraldine Laurent (saxophone alto) à dialoguer avec lui et les musiciens de son trio (Cédric Caillaud à la contrebasse et Eric Dervieu à la batterie) . – Le 6, Édouard Bineau investit les lieux avec Sébastien Texier (saxophone, clarinette), Frédéric Chiffoleau (contrebasse) et Simon Bernier (batterie).
-Auteur l’an dernier d’un opus en trio très remarqué (“Essais / Volume 1”), Pierre de Bethmann fait de même le 11 avec Sylvain Romano (contrebasse) et Tony Rabeson (batterie) qui l’entourent dans son album. – Moins présent depuis quelques mois dans les clubs pour des raisons de santé, Pierre Christophe s'y rend le 25 avec Raphael Dever (contrebasse) et Mourad Benhammou (batterie), ses musiciens habituels pour un hommage à Erroll Garner, l’elfe du piano jazz. – Après un concert en avril dans ce même club, Olivier Hutman récidive le 26, toujours accompagné par Marc Bertaux à la contrebasse et Tony Rabeson à la batterie, musiciens qui enregistrèrent avec lui deux disques dans les années 80 et avec lesquels, au piano mais aussi au Fender Rhodes, Olivier joue un jazz plus électrique. – En trio avec Yoni Zelnik (contrebasse) et Donald Kontomanou (batterie), le pianiste Yonathan Avishai nous a offert l’an dernier avec “Modern Times un album très réussi. Il vient d’en enregistrer un second et en interprétera le répertoire le 30, César Poirier (saxophone alto et clarinette) et Inor Sotolongo (percussions) complétant sa nouvelle formation.
-Baiser Salé : www.lebaisersale.com
-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com
-New Morning : www.newmorning.com
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-Petit Journal Montparnasse : www.petitjournalmontparnasse.com
Crédits Photos : Musiciens de rue © Alain Lauga Jean Bardy & Emil Spányi © Marc Ulrich – Clovis Nicolas © Vincent Soyez – Pharoah Sanders © Quentin Leboucher – Lizz Wright © Jesse Kitt – Dan Tepfer © Pierre de Chocqueuse – Mark Turner, Franck Amsallem, René Urtreger & Géraldine Laurent, Pierre de Bethmann © Philippe Marchin – The Yellowjackets © Marc Vanocur – John Abercrombie Quartet © John Rogers / ECM Records – Cyrus Chestnut © HighNote Records – Toshiko Akiyoshi, Abdullah Ibrahim © Photo X /D.R.