Musicien discret, voire ombrageux, le trompettiste Bill Mobley s’est fait connaître à nous grâce à l’opiniâtreté de Xavier « Big Ears » Felgeyrolles, directeur artistique de Jazz En Tête, le seul festival de jazz de l’hexagone qui ne programme que du jazz, et producteur de cet album. Mobley fait partie de la « Memphis Connection », une ville célèbre pour ses pianistes. Le grand Phineas Newborn naquit non loin de là, à Whiteville précisément. Natifs du Mississippi, Mulgrew Miller et Donald Brown y travaillèrent avant de poursuivre leur carrière ailleurs. Auprès d’eux à Memphis, le jeune Bill découvrit la richesse d’un jazz ancré dans la tradition du Sud et du blues. Installé à New York en 1987, il acquit une solide expérience du grand orchestre dans les rangs du Mingus Dynasty, du Maria Schneider Orchestra et du big band de la pianiste Toshiko Akiyoshi avant de former le sien, l’éphémère Bill Mobley Jazz Orchestra. Le trompettiste s‘était produit à Jazz en Tête, à Clermont-Ferrand en 1989 au sein de l’orchestre de Donald Brown dont il était le trompettiste. Xavier Felgeyrolles qui produisait alors les disques de Donald, accepta de publier son premier album, un enregistrement de 1996 de son Jazz Orchestra effectué au Small, club new-yorkais aujourd’hui célèbre, qui réunit les pianistes de Memphis Harold Mabern et James Williams, mais aussi Donald Brown, Mulgrew Miller et le saxophoniste Billy Pierce que Bill connaissait depuis son adolescence.
Plusieurs disques plus tard, devenu un des musiciens incontournables de Space Time Records, le label de Xavier dont les « Ears » sont plus « Big » que jamais, Bill Mobley sort “Hittin’ Home”, un disque réunissant des musiciens au sein de petits ensembles à géométrie variable, des duos, trios, quartettes dans lesquels le trompettiste se révèle au sommet de son art. Point d’esbroufe, de notes inutiles, mais une rare précision dans le phrasé, dans les attaques, la musique bénéficiant de sa sonorité claire et timbrée. Deux morceaux réunissent Mobley et Kenny Barron. Dans The Very Thought of You, une des plus belles pages de cet album, un des nombreux standards dont Mobley défend la mémoire, les harmonies colorées du piano enveloppent avec finesse et douceur le chant de la trompette. Plus enlevé, My Romance génère un dialogue élégant qui capte l’attention. En duo avec Phil Palombi, l’un des deux bassistes de ce disque, Mobley nous donne une version en apesanteur de Old Milestones, première version de Milestones enregistré par Miles Davis en 1947. Portée par une contrebasse pneumatique, la trompette semble librement flotter dans un éther sonore.
Les trios restent toutefois les plus nombreux. Peace (Horace Silver) et Jewel (une composition moins célèbre de Bobby Watson), associent la trompette de Mobley à la guitare de Russell Malone. Ce dernier assure les accords, mais se fait aussi entendre en solo. À la contrebasse, Essiet Okon Essiet assure sobrement l’assise rythmique de ces morceaux lyriques et voluptueux. Très présent dans l’album, Steve Nelson y apporte son vibraphone cristallin et sa science harmonique. En trio, soutenu par la walking bass puissante d’Essiet, Walkin’ (de Miles Davis que Mobley apprécie beaucoup) lui permet (ainsi qu’à Bill) de faire sonner avec une précision d’orfèvre des notes acrobatiques. Deux autres morceaux se détachent de ce “Hittin’ Home” qui « fait mouche » comme son nom judicieusement choisi le suggère. Enregistré en quartette, composé par Heather Bennett, la femme de Bill qui tient elle-même le piano et en joue fort bien, Lil’Red délivre de tendres harmonies. Piano, trompette, contrebasse et piano sont rejoints dans la seconde partie du morceau par le vibraphone qui maille habilement ses notes à celles du piano. Apex, une composition de regretté Mulgrew Miller, présente une instrumentation quelque peu inhabituelle : trompette, marimba, contrebasse, ces deux derniers instruments mariant idéalement leurs timbres. Bien que dispersée, La « Memphis Connection » a encore de beaux jours devant elle.
Photo © Michel Vasset