Ils se connaissent depuis 25 ans, s’admirent, se respectent et ont toujours souhaité faire un disque ensemble. Né au Congo en 1946, installé en France depuis 1982, Ray Lema apprit très jeune le piano et l’orgue, joua un temps de la guitare, et initié par les anciens est aussi Maître Tambour. Ses recherches sur les musiques traditionnelles africaines l’ont amené à collecter des rythmes, à découvrir la magie des roues rythmiques traditionnelles des tribus d’un Congo rebaptisé Zaïre. A la recherche de maîtres musiciens, il l’a parcouru du Nord au Sud et d’Est en Ouest pour inventorier leur musique et préserver leur savoir. Pianiste émérite, auteur d’ouvrages remarqués et remarquables sur “Monk” (L'Arpenteur / Gallimard) et plus récemment sur “Les fous du son” (Grasset), producteur de “At Work”, album de Géraldine Laurent récompensé l’an dernier par l’Académie du Jazz, Laurent de Wilde est un familier des lecteurs de ce blog. Le jazz qu’il joue et le fit connaître conserve intact ses racines africaines. L’Afrique est d’ailleurs bien présente dans “Over the Clouds”, disque qu’il enregistra en trio en 2012. Les cordes de son piano enduites de Patafix, l’instrument sonne comme un balafon dans le morceau qui donne son nom à l’album.
Ce procédé, Laurent le reprend avec bonheur dans Fantani, une des plages de “Riddles”, disque qu’il partage avec Ray Lema et objet de la présente chronique. Une séance qu’ils ont soigneusement préparée. Réunir deux pianistes est un exercice périlleux. Un déluge de notes peut noyer la musique, la rendre irrespirable. Il faut donc faire simple, en jouer peu mais bien les choisir, éviter tout bavardage. Ray à gauche, Laurent à droite, les basses des instruments se rejoignant au centre du spectre sonore. Liane et Banian et sa mélodie richement harmonisée est de Laurent. Hommage à Jean-Sébastien Bach dont il étudia les sonates au petit séminaire des pères blancs, Matongué est une pièce de Ray. Les autres morceaux sont écrits par les deux hommes. Tous ont été longuement pensés et travaillés avant d’être enregistrés. A l’exception d’une intro onirique, la musique, toujours dansante, associe avec bonheur rythmes et mélodies colorées. Le blues rencontre une mélodie traditionnelle du Sahel, une comptine se superpose à un ragtime de la Nouvelle Orléans. Riddles, un tango dont on admire la cadence, les notes lyriques qui le font respirer et The Wizzard associé à un rythme de reggae jamaïcain sont aussi au rendez-vous dans cette invitation au voyage qui avec Too Many Keys nous mène au plus profond de la forêt congolaise, monde magique dans lequel voix et tambours chantent de concert. Les musiciens / danseurs sont bien trop habiles pour se marcher sur les pieds. Les notes heureuses qu’ils tricotent nous donnent du baume au cœur.
En concert le 14 novembre à la Fondation Cartier, 261 boulevard Raspail 75014 Paris (20h00).
Photo © Alex Jonas