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27 mars 2017 1 27 /03 /mars /2017 09:33
Deux visions très fugitives

Associant Jean-Marc Foltz (clarinette et clarinette basse) et Stephan Oliva (piano), “Gershwin” devait paraître en mai dernier. Envoyé à la presse, il bénéficia de bonnes chroniques, obtint un Choc dans Jazz Magazine mais des problèmes de distribution empêchèrent sa sortie. Produit par Philippe Ghielmetti, œuvre collective également enregistré à La Buissonne, “Princess” rassemble autour de Stephan Oliva la chanteuse Susanne Abbueehl et le batteur / percussionniste norvégien Øyvind Hegg-Lunde. Deux disques magnifiques attendus le 31 mars et à écouter sans tarder.

Jean-Marc FOLTZ / Stephan OLIVA : “Gershwin(Vision Fugitive / L’Autre Distribution)

Les jazzmen n’ont jamais cessé de reprendre la musique de George Gershwin. La réinventer sans la trahir, l’aborder de façon personnelle, c’est ce que parviennent à faire Jean-Marc Foltz et Stephan Oliva qui, se rapprochant au plus près de ses mélodies, en jouent les notes essentielles. Une simplicité qui donne un autre éclairage à ces thèmes inoubliables, leur mise à nue les transfigurant, comme si leur essence même nous était dévoilée. Un piano et une clarinette, deux instruments mais surtout deux musiciens qui ont l’habitude de jouer ensemble, savent faire respirer la musique, installer le silence entre chacune de leurs notes.

 

Celles intimistes et émouvantes de Somehow, courte pièce que Stephan Oliva réserve à son piano, introduisent The Man I Love, mélodie que chante avec une grâce infinie la clarinette de Jean-Marc Foltz. Le son est pur, fluide. Le piano ajoute des couleurs délicates. D’emblée les deux instruments parviennent à une complicité miraculeuse, ce que confirme la plage suivante, réunion de deux morceaux aussi dissemblables que célèbres. Introduit par la clarinette basse, Fascinating Rhythm, chanson que Gershwin composa en 1924 pour la comédie musicale “Lady, Be Good !” (The Man I Love en est également issu) fait entendre sa mélodie en premier. Le piano flirte brièvement avec le stride dans Someone to Watch Over Me. Les deux thèmes vont alors se répondre, Oliva adoptant un tempo plus lent pour jouer Someone to Watch Over Me, morceau que Gershwin avait pensé rapide avant de le transformer en ballade.

 

Réduites à de simples clapotis de notes, les deux versions de S’Wonderful restent des épures. Évanescente et rêveuse, la clarinette basse se fait souffle, pneuma, pour en sculpter les sons. Elle fait de même dans le Prelude n°2, Blue Lullaby, la plus jazz des trois pièces pour piano que Gershwin composa, une andante con moto ramenée à presque rien, à une simple vibration de l’air, le piano égrenant les rares notes de cette berceuse teinte en bleue. Les deux reprises de la fameuse Rhapsody in Blue sont très différentes. La première met en valeur son thème admirable. Sous titrée Gershwin’s Dream, la seconde en est une relecture décalée et ancrée dans le blues. Trois pièces proviennent de l’opéra “Porgy and Bess”. Difficile de faire mieux que les versions qu’en donnèrent Miles Davis avec Gil Evans. Celles que nous proposent Jean-Marc Foltz et Stephan Oliva sont pourtant tout aussi belles. Leurs instruments rivalisent d’élégance dans un My Man’s Gone Know dépouillé et crépusculaire. Tout aussi sobre est la reprise de Summertime. La clarinette nimbe de tristesse le célèbre Summertime et dans I Love You Porgy qui referme l’album, les notes peu à peu s'estompent, deviennent murmures avant de disparaître, avalées par la brume.

Deux visions très fugitives

Stephan OLIVA / Susanne ABBUEHL /  Øyvind HEGG-LUNDE : “Princess (Vision Fugitive / L’Autre Distribution)

Chanteuse inclassable, Susanne Abbuehl fait peu de disques. Trois albums pour ECM depuis 2001, année de parution d’“April”, son premier. Reprenant des compositions de musiciens qui lui parlent, elle y ajoute ses propres paroles ou met en musique les poèmes qu’elle affectionne, révélant leur rythme intérieur, vibrations sonores d’un verbe imagé qui incite à rêver. Depuis une dizaine d’années, elle se produit sur scène avec Stephan Oliva dont le piano attentif et sensible apporte une douceur supplémentaire à son chant. S’ils ont enregistré quelques morceaux ensemble pour Philippe Ghielmetti Come Rain or Come Shine, My One and Only Love, Lonely Woman –, c’est la première fois qu’un album entier les réunit. Avec eux pour ce chant à trois voix, Øyvind Hegg-Lunde, un percussionniste norvégien choisi par Susanne. Une bonne partie du répertoire est consacré aux compositions de Jimmy Giuffre, auteur de quelques standards – The Train and the River –, mais dont les œuvres sont peu interprétées.

 

Stephan Oliva les apprécie depuis longtemps. Les disques qu'il enregistra avec Paul Bley et Steve Swallow sont même chers à son cœur. La musique de Giuffre, Susanne Abbuehl la découvrit plus tard, avec “Music for People, Birds, Butterflies & Mosquitoes” (1973) et “River Chant” (1975), deux albums que le saxophoniste / clarinettiste enregistra en trio pour Choice Records. Elle en reprend quelques morceaux, The Listening, River Chant, Tree People, Mosquito Dance, des thèmes sur lesquels elle a mis des paroles. Elle les chante depuis plusieurs années, allongeant ou contractant leurs syllabes pour donner du rythme à ses phrases. Elle ne « scatte » pas mais vocalise, un peu comme les chanteuses de l’Inde du Nord dont elle a étudié la musique après avoir travaillé le chant classique à La Haye et le jazz avec Jeanne Lee. Comme celle de cette dernière, sa voix est à part, une voix très douce et très pure. Sans en être un, son adaptation de Tree People de Giuffre relève du raga. Mosquito Dance, qu’elle partage avec les percussions d’ Øyvind, également.

 

Ces titres, elle les transforme et se les approprie comme si elle les avait composés. Elle fait de même avec les autres morceaux de l’album, avec Great Bird, un thème que Keith Jarrett enregistra pour Impulse, le piano de Stephan, souvent confiné dans les graves, tendant vers la lumière. Pour Susanne, il écrit des musiques douces et tendres, enveloppe sa voix de notes soyeuses, met constamment en valeur ses nuances, son timbre aérien. Elle la pose délicatement sur la mélodie de Winter Day que Stephan développe longuement au piano, attentif à son souffle dans On Your Skin, une pièce apaisante d’une grande subtilité harmonique. Jimmy, un court interlude contemplatif en solo, précède une version inattendue et minimaliste de What a Wonderful World. Juste une voix et un piano pour conclure en beauté un album qui ne sera pas oublié.

Ces deux disques Vision Fugitive possèdent chacun un livret conséquent. Illustré par Emmanuel Guibert, qui est également l’auteur des deux pochettes, celui de “Princess” reproduit les paroles des morceaux. Quant à celui de “Gershwin”, il bénéficie d’une riche iconographie – reproductions d’affiches et de photos d’époque.

 

Photo Oliva / Abbuehl / Hegg-Lunde © Maxim François

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