Pianiste originaire de Boylston (Massachusetts), Glenn Zaleski, né en 1987 et demi-finaliste de la Thelonious Monk International Jazz Piano Competition en 2011, reste quasiment inconnu des amateurs de jazz de l’hexagone. Distribué en petite quantité, mais envoyé à la presse spécialisée, “My Ideal”, son premier enregistrement pour Sunnyside, m’avait interpellé. Presque exclusivement constitué de standards, il révélait un musicien influencé par Bill Evans (celui de “Everybody Digs Bill Evans” et de “Portrait in Jazz” notamment) qui outre son attachement à la grammaire et au vocabulaire du jazz, semblait en connaître l’histoire. En trio, Glenn Zaleski nous confiait des versions convaincantes de Nobody Else But Me et de Body and Soul, reprenait des compositions de Jule Styne, Freddie Hubbard et Jerome Kern, un thème de ce dernier, My Old Fashioned, bénéficiant du saxophone ténor de Ravi Coltrane avec lequel il joue parfois dans les clubs de New York. Certaines hésitations dans ses chorus, une version osée mais trop précipitée de Cheryl, des notes que l’on devine un peu trop avant qu’elles n’arrivent, m’avaient retenu de lui consacrer une chronique. C’était en 2015 et je lui préférai Nick Sanders, pianiste qui venait de sortir sur Sunnyside, “You Are A Creature”, un second disque aussi enthousiasmant que l’était son premier. Musicien prometteur mais encore un peu vert, Glenn Zaleski patienterait.
La récente parution de “Fellowship” ne me fait plus hésiter à vous le faire découvrir. On y entend un pianiste infiniment plus sûr de lui qui sait arranger ses thèmes et les mettre en valeur. Glenn Zaleski s’entoure des mêmes musiciens. Ayant l’habitude de jouer ensemble, ils se montrent beaucoup plus à l’aise et inventifs avec ces compositions originales qu’ils semblent bien connaître. C’est par l’intermédiaire de Ravi Coltrane que Glenn rencontra Dezron Douglas, son bassiste. Quant au batteur Craig Weintrib, Glenn a souvent joué avec lui lorsqu’il étudiait à la New School de New York City. Ce sont eux qui introduisent l’album avec les rythmes très fouillés de Table Talk sur lesquels Zaleski n’a plus qu’à poser les doigts. Cela semble facile, mais ce morceau rapide nécessite une mise en place au cordeau, les trois hommes devant anticiper les changements de rythme qu’il impose, être parfaitement en phase les uns avec les autres, le piano dialoguant constamment avec une contrebasse et une batterie réactives qui nourrissent avec lui la musique. Westinghouse, une ballade dédiée à Billy Strayhorn met en évidence le langage harmonique d’un pianiste qui détache ses notes, leur donne légèreté et mouvement, ses longues phrases tranquilles et élégantes n’excluant nullement l’inattendu.
Composé pour un concert donné avec les étudiants du Brubeck Institute de Stockton (Californie), école dont il suivit naguère le cursus universitaire, Out Front, une pièce lente et contemplative malgré sa structure complexe, valorise les belles couleurs de ses voicings, la contrebasse attentive de Dezron Douglas y tenant une place importante. Ce dernier introduit Homestead, morceau au développement surprenant que Zalesky écrivit lors d’un voyage interminable qui lui inspira ses lignes de basse répétitives. Confiée à son piano, la petite mélodie insinuante de Is That So, un thème de Duke Pearson, n’a rien perdu de son charme et de son efficacité. Glenn Zalesky prend son temps pour en faire respirer les notes. Il fait chanter celles de Lifetime que porte des rythmes très souples, des instruments en osmose. Il faut l’être pour reprendre Central Park West de John Coltrane, une ballade qui change fréquemment de tonalité et dont les quatre premières mesures contiennent une série de douze notes. Les difficultés techniques que pose ce standard disparaissent sous la richesse et la fluidité du flux harmonique, le thème, d’une apparente simplicité, se suffisant bien sûr à lui-même.
Photo © Christopher Drukker