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1 juin 2017 4 01 /06 /juin /2017 08:32
La bonne musique fait-elle encore recette ?

Lundi 29 mai : je découvre émerveillé l’auditorium de la nouvelle Seine Musicale située sur l’île Seguin qui, je vous rassure, n'est pas celui de la photo. Au programme, Menahem Pressler, 93 ans, une légende qui marche difficilement mais joue encore un magnifique piano. La communauté jazzistique s’est déplacée. Les pianistes Pierre Christophe, Olivier Hutman, Fred Nardin, la chanteuse Elise Caron et de nombreux membres de l’Académie du Jazz sont venus applaudir le maestro. La salle est pourtant loin d’être pleine. Peu de jeunes au sein d’un public averti comme si Mozart, Debussy et Chopin n’intéressait que les vieux. Même constatation une semaine plus tôt au Sunside. Faute de réservations suffisantes, l’un des trois concerts que devait y donner Fred Hersch fut annulé. Un pianiste de cette envergure ne parvenant pas à remplir une salle de 200 places à Paris, on se pose bien des questions.

 

Proie facile pour les radios et les télévisions commerciales, le Français qui n’a jamais été éduqué à la musique et ignore tout de son histoire s’est précipité sur l’événement musical de l’année, l’Eurovision, mascarade télévisuelle, triomphe de la vulgarité et du mauvais goût. Représentant la France, la jolie Alma y poussa une bien médiocre chansonnette pour trébucher, juste retour des choses, devant un concurrent inattendu, Salvador Sobral, 27 ans, représentant le Portugal, le seul qui avait quelque chose à chanter, pas grand chose, juste une petite mélodie, denrée rare aujourd’hui, la seule de ce show planétaire ridicule célébrant le niveau zéro de la musique.

 

Car il est plus facile de la vendre insipide que de proposer du jazz, de la musique classique ou contemporaine, musiques qui demandent un effort, une écoute attentive. On préfère niveler par le bas, médiatiser celles, jetables et vides, que le public réclame. Si Herbie Hancock, Ahmad Jamal, Chick Corea ou Keith Jarrett, têtes d’affiche de grands festivals, débutaient aujourd’hui leur carrière, arriveraient-ils à sortir du circuit des petits clubs dans lesquels tant de musiciens restent aujourd’hui confinés ? Apparu dans les années 90, Brad Mehldau y est parvenu mais que Fred Hersch, Enrico Pieranunzi ou Marc Copland, eux aussi de grands pianistes, restent prioritairement abonnés au Sunside, au Duc des Lombards ou au New Morning (pour ne citer que des clubs parisiens) relève du scandale. Les « majors » ne signent plus que les artistes que plébiscite un public peu cultivé facilement piégé par ses émotions. Rarement inventifs, les nouvelles vedettes remplissent les grandes salles, les festivals. Rares sont ceux qui proposent encore du jazz au sein de programmations éclectiques qui privilégient la rentabilité. La bonne musique ne fait hélas plus guère recette. Aidée par Jean-Michel Blanquer, notre nouveau Ministre de l‘Éducation Nationale, Françoise Nyssen, notre nouvelle Ministre de la Culture, femme cultivée, parviendra t-elle à renverser la situation, à éduquer dès l‘école primaire les enfants à la musique ? Un vœu pieux je vous l‘accorde. On peut toujours rêver.  

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT

 

-Valeur sûre du saxophone, David Sauzay est attendu le 2 juin au Duc des Lombards avec un sextet comprenant Fabien Mary à la trompette, Vincent Bourgeyx au piano, Michael Joussein au trombone, Michel Rosciglionne à la contrebasse et Bernd Reiter à la batterie. Tous pratiquent un jazz moderne ancré dans la tradition. David Sauzay joue aussi avec Fabien Mary au sein de l’octet du pianiste Laurent Courthaliac, dans les Jazz Workers du batteur Mourad Benhammou et le nonet du pianiste Laurent Marode. Le saxophoniste qui a également enregistré un disque avec le pianiste Harold Mabern sait très bien s’entourer. La présence à ses cotés de Vincent Bourgeyx, un des meilleurs pianistes de l’hexagone, en témoigne.

-Ce n’est pas parce que l’on soupçonne l’ancien premier ministre d’avoir mis les doigts dans le pot de confiture que l’on doit bouder le petit frère, le vrai talent de la famille. Dominique Fillon s’est fait discret ces temps derniers ce qui est compréhensible. Son dernier disque “Born in 68 date de 2014, bien avant le brouhaha fait autour de son nom. Le pianiste prend donc son temps pour enregistrer et nous revient en trio pour quatre concerts hommages à Al Jarreau au Duc des Lombards le 3 et le 4 (deux concerts par soir, à 19h30 et 21h30). Avec lui, Laurent Vernerey le bassiste de l’électrique “Born in 68” et le batteur de Francis Arnaud présent dans “As It Comes”, un disque acoustique de 2011. Le trompettiste Sylvain Gontard le 3 et le saxophoniste Yannick Soccal le 4 se joindront à eux pour pimenter quelques morceaux.

-Do Montebello à bord de la péniche Le Marcounet (Pont des Célestins, quai de l’Hôtel de Ville) le 8 juin à 20h00 avec comme équipage Hervé Morisot et Serge Merlaud (guitares) et Ricardo Feijão (baixolão). Après “Adamah”, un disque à la musique très brésilienne qui la voit chanter les arbres, le vent, la pluie, les océans d’une terre malmenée, elle a enregistré un nouvel album à l’instrumentation sobre et dépouillée. On y découvre Jacques Morelenbaum, arrangeur de plusieurs opus de Caetano Veloso au violoncelle et un duo avec le guitariste Toninho Horta. Do passe aisément d’une langue à une autre, chante en portugais, en français et en anglais et nous tient sous le charme d’une voix très pure et très belle.

-Toujours dirigé par l’infatigable Laurent Mignard, Le Duke Orchesta sera à l’Entrepôt le 8 juin à partir de 20h30 (7/9 rue Francis de Pressensé 75014 Paris) pour jouer Duke Ellington. Avec Didier Desbois, Aurélie Tropez, Fred Couderc, Hugo Afettouche, Philippe Chagne (saxophones & clarinettes), Claude Egéa, Gilles Relisieux, François Biensan, Richard Blanchet (trompettes), Nicolas Grimonprez, Michael Joussein, Jean-Claude Onesta (trombones), Philippe Milanta (piano), Bruno Rousselet (contrebasse), Julie Saury (batterie) et un invité : Patrick Bacqueville.

-On retourne au Duc des Lombards le 13 juin pour un concert très attendu du pianiste Pierre Christophe dont le nouvel album “Tribute to Erroll Garner” (Camille Productions) est en vente depuis le 15 mai. Avec lui les musiciens de son disque, Raphaël Dever à la contrebasse, Stan Laferriere à la batterie et Laurent Bataille aux congas, instrumentation que l’elfe Garner appréciait. Au programme, des compositions de ce dernier, 7-11 Jump, Dreamy, Dancing Tambourine et l’incontournable Misty, le morceau le plus célèbre d’un enchanteur du piano dont la principal inspirateur fut le grand Fats Waller. Remercions Pierre Christophe, Prix Django Reinhardt 2007 de l’Académie du Jazz, de nous faire revivre sa musique.

-Le 15 à 21h00, le Studio de l’Ermitage accueille l’Orchestre de la Lune, grande formation dirigée par le saxophoniste et compositeur Jon Handelsmann réunissant chanteurs et chanteuses (Kania Allard, Brad Scott et Rosa Grace) et instrumentistes de talent. Point de contrebasse ni de claviers, Didier Havet au tuba assure les basses de cet orchestre festif et funky qui mêle jazz et reggae et joue des compositions aux arrangements très soignés. Il réunit de bons musiciens dont Daniel Zimmermann au trombone, Bobby Rangell au saxophone alto, Michael Felberbaum à la guitare et Xavier Desandre-Navarre aux percussions. Disponible depuis le 5 mai, leur disque s’intitule “Dancing Bob” (Cristal Records) et mérite une écoute attentive.

-Eric Le Lann au Sunside le 16 avec les musiciens de “Life on Mars”, un album de 2015, un des meilleurs de sa discographie. Cette réussite, on la doit également à Paul Lay qui joue un merveilleux piano, à Sylvain Romano dont la solide contrebasse porte la musique et au drumming subtil de Donald Kontomanou. Avec eux, Le Lann exprime ses sentiments, son lyrisme. En quelques notes, le mélodiste installe l’émotion. On pense à Chet Baker auquel il a rendu hommage dans un disque récent. Attendons-nous à un répertoire varié. Dans “Life on Mars”, la Danse Profane de Claude Debussy rencontre Life on Mars de David Bowie et Everytime We Say Goodbye de Cole Porter. Laissons nous donc surprendre.

-Franck Avitabile que l’on a un peu perdu de vue ces dernières années et qui n’a pas fait de disques sous son nom depuis 2009 (“Paris Sketches” consacré à ses propres compositions) est attendu au Duc des Lombards le 16 et le 17 avec Diego Imbert à la contrebasse et André Ceccarelli à la batterie. Le premier album que Franck fit paraître chez Dreyfus Jazz en 1998 (“In Tradition”) fut parrainé par Michel Petrucciani. “Right Time” qui lui succéda en 2000 fut enregistré en trio avec Niels-Henning Ørsted Pedersen à la contrebasse. On se réjouit de revoir sur une scène parisienne ce pianiste sensible et exigeant qui possède une technique éprouvée.

-Rémi Toulon au Sunside le 22 avec sa section rythmique habituelle – Jean-Luc Aramy (contrebasse) et Vincent Frade (batterie) –, mais aussi avec Sébastien Charlier à l’harmonica diatonique qui est l’invité de “Adagiorinho”, son nouvel album, « rencontre imaginaire entre un adagio européen et un chorinho du Brésil », dont ils fêtent la sortie. Je ne l’ai pas reçu mais le pianiste nous invite « à un voyage festif et mélodique où la samba côtoie le blues, Gainsbourg croise Djavan et Musset danse le Boogaloo » indique l’argumentaire de presse. Naguère élève de Samy Abenhaïm et de Bernard Maury à la Bill Evans Piano Academy, le pianiste nous a habitué à des compositions originales traduisant un réel savoir harmonique et à des reprises très personnelles. Il a précédemment enregistré deux albums sous son nom, “Novembre” en 2011 et “Quietly” en 2014.

-Herbie Hancock à la Seine Musicale le 29 juin (20h30), un concert événement bien sûr. Légende vivante du jazz, le pianiste américain né en 1940 a beaucoup apporté à son histoire. Membre du second quintet de Miles Davis, fondateur d’un sextette qui donna ses lettres de noblesse au jazz fusion, puis des Headhunters, l’auteur de Watermelon Man, Cantaloupe Island, Maiden Voyage s’intéressa aussi à la danse, à la musique électronique. Aimant s’amuser avec de nouveaux instruments, il s’impliqua aussi dans des projets commerciaux. Il n’a plus rien publié depuis “The Imagine Projecten 2010, superproduction plutôt réussie enregistrée avec des musiciens du monde entier. La Seine Musicale accueillera Herbie Hancock en quintet. Lionel Loueke (guitare, voix), James Genus (basse) et Vinnie Colaiuta (batterie) nous sont familiers. Producteur de disques de soul et de funk, le multi-instrumentiste Terrace Jamahl Martin (saxophone, claviers) sera pour beaucoup une découverte. Puissent-ils nous offrir un bon concert de jazz.

-Le Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-Péniche Le Marcounet : www.peniche-marcounet.fr

-Studio de l’Ermitage : www.studio-ermitage.com

-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com

-La Seine Musicale : www.laseinemusicale.com

 

Crédits Photos : "Salle désespérément vide" © Photo X/D.R. – David Sauzay, Dominique Fillon, Pierre Christophe, Eric Le Lann, Franck Avitabile © Philippe Marchin – Do Montebello © Pierre de Chocqueuse – Duke Orchestra © Pascal Bouclier – L’Orchestre de la Lune © Jean-François Humbert – Rémi Toulon © Amélie Gamet.

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commentaires

Y
Bonjour,<br /> Merci pour ce blog très intéressant.<br /> Je viens de lire votre article du 1 Juin « La bonne musique fait-elle encore recette ? » et je me permets quelques commentaires.<br /> Nous sommes d’accord sur le constat, la « soupe » se vend mieux qu’une musique plus travaillée et éduquée. Mais je trouve la justification que vous apportez un peu simpliste et teintée de frustration. Ce n’est pas qu’au public de se remettre en cause et faire l’effort du chemin vers des artistes à la musique « savante ». La balle et aussi dans le camp des artistes, qui doivent savoir se rendre accessible, parfois vulgarisateur, sans pour autant se trahir qualitativement. Comparativement aux USA ou le Jazz est un milieu ouvert aux racines populaires, avec des musiciens qui casse les frontières (Brad Mehldau et ses arrangements de tubes pop rock, Robert Glalsper, D’Angelo et leur racine soul-pop, ou même Jacob Collier qui par Youtube a pu toucher un nouveau public), le Jazz en France est un milieu beaucoup plus élitiste avec des scènes Jazz essentiellement situées dans les beaux quartiers et entretenant des liens fort avec les conservatoires. Et ne voyez pas là une critique ou une dénonciation, simplement un constat qui pourrait expliquer la relative impopularité (au sens étymologique) du Jazz, au moins en France. <br /> Le Jazz et les musiques improvisées ne vont pas si mal je trouve, de nombreux artistes, comme ceux cités précédemment, ou encore Cory Henry, Yaron Herman, Richard Bona, Avisay Cohen, remplissent des salles et touchent un large public, et de nombreux vulgarisateurs (Rick Beato, Amee Note, Adam Neely) font carton pleins sur Youtube. Le Jazz évolue, ses médias également, si les clubs historique de Jazz parisien ne se remplisse pas suffisamment, c’est peut être aussi par-ce qu’ils n’ont pas su se renouveler et garder le lien originel du Jazz, comme musique populaire intégrative et ouverte à partager avec le plus grand nombre. C’est l’entre soit qui tue généralement les courants artistiques et leur créativité.
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