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26 mai 2017 5 26 /05 /mai /2017 09:27
Michel PORTAL – Richard HERY – Xavier TRIBOLET – Quatuor EBENE :  “Eternal Stories” (Erato / Warner Classics)

Autant l’avouer dès à présent, je n’ai aucune œuvre de Michel Portal dans ma discothèque. Il apparaît toutefois dans quelques disques que je possède et apprécie, “Compass” de Susanne Abbuehl dans lequel il joue de la clarinette, “Il Piacere” d’Aldo Romano dans lequel il s’exprime également au bandonéon, des enregistrements pour lesquels il se met au service des autres. Je n’aime guère ses albums mais reconnais en lui le grand musicien, applaudis sa technique à défaut de partager sa sensibilité et d’aimer son caractère pour le moins ombrageux.

J’avais fait sa connaissance au début des années 80. Sa renommée dépassait largement le cadre du jazz. Michel Portal jouait tout aussi bien de la musique contemporaine que du classique, du Boulez que du Mozart dont il est un merveilleux interprète. Le jazz, il avait pris un malin plaisir à le déconstruire quelques années plus tôt lors de véhémentes improvisations libres, pleines de cris et d’étranges chuchotements. Se remettant constamment en cause, Portal avait quelque peu abandonné son langage libertaire pour entreprendre d’autres recherches, se lancer dans nouvelles aventures jazzistiques. Il avait vainement insisté auprès de moi pour obtenir la couverture de Jazz Hot. Je n’étais pas la bonne personne. Il m’arrivait bien de rédiger quelques chroniques, mais en tant que chef de publicité, je n’avais nullement le pouvoir de choisir les sommaires des numéros pas plus que de décider des couvertures du journal. Il dut se rendre compte que je n’aimais pas trop sa musique car je n’ai jamais cherché à le fréquenter, ni lui à me contacter. Ses disques me parvenaient, certains plus conséquents que d’autres, mais sans jamais totalement me convaincre.

 

Et puis cet album au delà du jazz enregistré avec le Quatuor Ébène reçu l’autre jour (merci Sophie Louvet), le premier disque de Michel Portal qui m’émeut, que j’aime et réécoute. Le Quatuor Ébène, c’est aujourd’hui Pierre Colombet et Gabriel Le Magadure (violons), Adrien Boisseau (alto) et Raphaël Merlin (violoncelle). Avec eux pour cet enregistrement Richard Héry (percussions, batterie) et Xavier Tribolet (claviers). Ensemble, ils ouvrent des portes, associent jazz et tango, électro et danse sans jamais tomber dans le piège que la musique classique tend souvent aux jazzmen. City Birds déploie sa mélodie envoûtante sur une boucle rythmique. Mixée en avant, la batterie ponctue un discours musical qui ne manque pas d’épaisseur. Clarinette basse et cordes apportent des nappes sonores rêveuses et frissonnantes de lyrisme. C’est encore à la clarinette basse que Portal se fait entendre dans L’Abandonite, une de ses compositions, un souvenir d’Astor Piazzolla, une sorte de tango sans bandonéon, la clarinette basse se faisant romantique et charmeuse avant d’assurer la cadence d’un morceau caméléon plein de surprises et de rebondissements. C’est aussi sur cet instrument qu’il nous livre une nouvelle version de Judy Garland, morceau que lui inspira à Minneapolis une grande photo de l’actrice et chanteuse. Dans cette version bien supérieure à la première, le piano électrique qui répond à son chant, apporte une sonorité cristalline qui allège le thème et lui permet de décoller.

 

Le bandonéon, Michel Portal se le réserve pour trois des Five Tango SensationsAsleep, Loving, Anxiety – que Piazzolla écrivit en 1989 et qu’il enregistra la même année avec le Kronos Quartet. Ces pièces mélancoliques qui me sont depuis longtemps familières, héritent ici d'une interprétation sensible aussi poignante que celle que nous offre la version originale. Mais c’est d'abord à la clarinette basse que Michel choisit de s’exprimer, de faire vibrer les notes qui touchent le sentiment. Des notes chagrines dans Elucubration, lamento que rythment un riff et de grands coups d’archets. Après un début onirique, Eternal Story s’achève en tumulte sonore et, porté par un pizzicato de cordes, Solitudes se veut « une pensée, un regard vers l’orchestre de Duke Ellington pour s’évader, pour rêver ». Car c’est bien au pays des songes que nous conduit ce disque. Au delà du réel, It Was Nice Living Here qui le referme nous emporte ailleurs, dans un monde sonore encore à explorer.

 

Photo © Julien Mignot / Erato  

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