De gauche à droite : Ambrose Akinmusire, Vincente Archer, Walter Smith III, Lionel Loueke, Robert Glasper & Eric Harland - Clermont-Ferrand 2006 - © Michel Vasset
Octobre. Les feuilles mortes s’amoncellent et se ramassent à la pelle, les érables prennent la couleur de l’aurore et, sous un cortège de nuages gris saturés de pluie, les champignons champignonnent. Les concerts aussi. Il y en a tant à Paris que mes « Concerts qui interpellent » ne portent que sur les quinze premiers jours du mois – vous patienterez jusqu’au 15 pour connaître ceux de la seconde quinzaine d’octobre que je vous recommande, un choix subjectif mais qui peut aussi être le vôtre. À l’initiative de l’association Paris Jazz Club, 25 clubs de la capitale et de l’île de France (Le Triton, le Carré Bellefeuille, l’Espace Carpeaux de Courbevoie) proposent la 6ème édition de leur festival Jazz Sur Seine, rendez-vous annuel désormais incontournable de notre automne culturel. Pour seulement 40€, un « pass » à utiliser dans trois lieux différents donne accès à trois concerts, une « offre découverte » étant également proposée aux étudiants, demandeurs d’emploi et élèves de conservatoires. Rassemblant 450 musiciens, 180 manifestations musicales vous sont ainsi proposées entre le 13 et le 28 octobre. Une soirée « showcases » en entrée libre est également prévue le 17 dans les clubs de la rue des Lombards. Ne manquez pas les concerts de Frédéric Nardin et d’Aaron Goldberg (mes « concerts qui interpellent » ne les ont pas oubliés) en attendant de découvrir à la mi-octobre la totalité de ma sélection du mois.
L’autre événement d’octobre, c’est le 30ème anniversaire de Jazz en Tête, le festival pas comme les autres, que la Maison de la Culture de Clermont-Ferrand abritera entre le 24 et le 28. Vous trouverez la programmation complète sur le site du festival en attendant que je vous la transmette. Son directeur artistique, Xavier « Big Ears » Felgeyrolles, le chef indien du massif central, en a, comme chaque année, préparé le programme. Tigran Hamasyan, Wallace Roney, Donald Brown et Roy Hargrove sont les têtes d’affiche de cette 30ème édition. Tigran mis à part, ce sont tous des afro-américains, « Big Ears » privilégiant un jazz en osmose avec ses racines, son canal historique. Il reste toutefois ouvert à un jazz européen de qualité. La liste impressionnante et incomplète des musiciens européens invités depuis trente ans que je vous communique ci-dessous en témoigne*. Car si « Big Ears » a bien sûr ses préférences (ce jazz ancré dans la tradition pour lequel il bataille depuis des années), il a aussi des oreilles, des grandes, l’aspect qualitatif de la musique ne leur échappant pas. On ne sait trop où il est allé les chercher, mais il nous a aussi fait découvrir de grands musiciens, et pas seulement de la grande Amérique. Robert Glasper (en 2003), Lionel Loueke (en 2004), Ambrose Akinmusire & Walter Smith III (en 2006), Gregory Porter (en 2011), Cory Henry (en 2014) ont tous donné leur premier concert français à Jazz en Tête. Bon anniversaire Monsieur Felgeyrolles.
* Franck Amsallem – Stéphane & Lionel Belmondo – Pierre de Bethmann – Pierre Boussaguet – André Ceccarelli – Laïka Fatien – Richard Galliano – Stéphane Guillaume – Baptiste Herbin – Daniel Humair – Alain Jean-Marie – Bireli Lagrène – Géraldine Laurent – Eric Legnini – Julien Lourau – Sylvain Luc – Grégoire Maret – Gilles Naturel – Pierrick Pédron – Vincent Peirani – Michel Petrucciani – Enrico Pieranunzi – Jean-Michel Pilc – Michel Portal – Manuel Rocheman – Aldo Romano – Hervé Sellin – Martial Solal – Jacky Terrasson – Toots Thielemans – André Villéger – Laurent De Wilde.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT (première quinzaine d’octobre)
-Le 3 au Sunside, André Villéger (saxophones), Philippe Milanta (piano) et Thomas Bramerie (contrebasse) fêtent la sortie de “Strictly Strayhorn” (Camille Productions), disque consacré comme son nom l’indique à la musique de Billy Strayhorn. Villéger et Milanta nous ont déjà régalé l’an dernier avec “For Duke and Paul” (Duke Ellington et Paul Gonsalves), un album également produit par Michel Stochitch que je salue ici. Nouveau Président de la Maison du Duke, Claude Carrière en a de nouveau rédigé les notes de pochette, donnant quantité d’informations sur les compositions de Strayhorn que contient ce nouvel opus. Lotus Blossom, Lush Life et Passion Flower en sont les plus célèbres. André Villéger qui utilise plusieurs saxophones les reprend successivement au soprano, ténor et baryton. Auteur d’une bonne partie des arrangements de l’album, il joue aussi de la clarinette basse et nous offre avec Cap Strayhorn, écrit pour cette séance qu’il aborde avec suavité au ténor, un joli portrait musical du compositeur. Philippe Milanta fait de même avec Exquise, une délicieuse ballade aux tendres couleurs harmoniques. Ce jazz certes classique et donc indémodable est à écouter sans modération.
-Enrico Pieranunzi au Sunside les 6 et 7 octobre. En trio avec toujours André Ceccarelli à la batterie (personne ne s’en plaindra) mais Diego Imbert laissant la contrebasse à Darryl Hall. Enrico est un peu chez lui au Sunside. Il y joue souvent, les nombreux admirateurs de son merveilleux piano (je suis l’un d’entre eux) s’y pressant pour l’entendre. Très demandé mais souvent oublié par les festivals de l’hexagone, le maestro enregistre beaucoup. Il tient le piano dans “Tribute to Charlie Haden”, un disque de Diego Imbert qui sort ces jours-ci. André Ceccarelli en est le batteur. Pierre Bertrand a arrangé la moitié du disque, des plages au sein desquelles des cordes et des bois s’ajoutent au trio. Enrico s’y montre éblouissant et apporte beaucoup à l’album. Ecoutez son piano dans In the Wee Small Hours of the Morning. De la grande musique tout simplement.
-Diana Krall à l’Olympia du 7 au 9 octobre. Après plusieurs albums dans lesquels elle aborde d’autres musiques, la chanteuse est revenue au jazz au début de cette année avec “Turn Up the Light”, un disque entre swing et glamour produit par Tommy LiPuma qui devait décéder peu de temps après son enregistrement. On y retrouve ses musiciens habituels, les guitaristes Russell Malone et Anthony Wilson, le pianiste Gerald Clayton, le batteur Jeff Hamilton. Le disque n’est toutefois pas aussi convaincant que ses grands opus, “When I Look in your Eyes”, “The Look of Love” et “The Girl in the Other Room”, le seul dans lequel elle s’essaye à la composition. En outre, le prix très élevé des places (de 79,50€ à 156,50€ !!!) est pour le moins dissuasif.
-Refait à neuf, le Bal Blomet (33 rue Blomet 75015 Paris) programme du jazz avec le 12 octobre à 20h30 le nonet du pianiste Laurent Marode, auteur d’un album très réussi publié en début d'année chez Black & Blue. Arrangé avec talent et plein de bonnes idées, “This Way Please” swingue avec élégance, la présence d’un vibraphone donnant une touche originale à une musique aux arrangements très soignés. Pour l'accompagner rue Blomet, la même fine équipe que celle du disque, Fabien Mary (trompette), Jerry Edwards (trombone), Luigi Grasso (saxophone alto), David Sauzay (saxophone ténor), Frank Basile (saxophone baryton), Nicholas Thomas (vibraphone), Fabien Marcoz (contrebasse) et Mourad Benhammou (batterie). On peut difficilement trouver mieux.
-Le 13, Daniel Humair (batterie) Stéphane Kerecki (contrebasse) et Vincent Lê Quang (saxophone) fêtent au cinéma Le Balzac (1, rue Balzac 75008 Paris), la sortie de “Modern Art” (Incises), album de moments musicaux composés au regard d’une sélection d’œuvres de peintres du XXème siècle, des amateurs de jazz pour la plupart. Jackson Pollock, Bram Van Velde, Pierre Alechinsky, Cy Twombly et quelques autres dont les travaux sont reproduits dans le livret grand format accompagnant le disque inspirent au trio une musique aventureuse en correspondance avec les formes, les couleurs, les paysages intérieurs de ces peintres visionnaires. Consacré à la peinture et à la musique de Daniel Humair, “En résonnance”, film de Thierry Le Nouvel (52 minutes), sera projeté à cette occasion.
-De grands pianistes sont attendus au Sunside ce mois-ci. Parmi eux, Aaron Goldberg s’y produit trois soirs de suite (le 13 et le 14 à 21h30 et le 15 à 20h00) avec Yasuchi Nakamura à la contrebasse et Leon Parker à la batterie. C’est avec lui qu’Aaron a donné ses derniers concerts parisiens au Duc des Lombards en octobre 2015. Il n’a pas enregistré sous son nom depuis “The Now” (Sunnyside) en 2014, un recueil de compositions personnelles qui voisinent avec des standards du bop, des pièces sud-américaines et un morceau traditionnel haïtien. On n’est jamais déçu par ses prestations souvent enthousiasmantes en trio, format qui lui permet de révéler pleinement ses harmonies raffinées et la richesse de son jeu pianistique.
-Le 13 et le 14 au Duc des Lombards, club dans lequel il se produit souvent, Fred Nardin jouera le répertoire de son premier disque en trio en vente depuis le 15 septembre. Avec lui, Or Bareket à la contrebasse et Rodney Green à la batterie, ce dernier remplaçant Leon Parker indisponible. “Opening” (Jazz Family) contient des compositions originales, deux reprises de Thelonious Monk et une remarquable version de You’d Be So Nice to Come Home to, un morceau de Cole Porter qui témoigne de la grande maturité de ce jeune pianiste (Prix Django Reinhardt de l’Académie du Jazz l’an dernier), de l’ancrage de son instrument dans la tradition. D’autres thèmes méritent également l’attention Lost in Your Eyes et Hope sont des ballades très réussies. Porté par un rythme irrésistible, Travel To… révèle une petite mélodie espiègle et chantante et raconte une histoire. C’est du très beau piano, même si Fred Nardin s’abandonne parfois à tricoter trop de notes, à exhiber une virtuosité qu’il n’a plus à prouver. On lui pardonne aisément ce péché de jeunesse.
-Jazz en Tête : www.jazzentete.com
-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com
-Olympia : www.olympiahall.com
-Le Bal Blomet : www.balblomet.fr
-Cinéma Le Balzac : www.cinemabalzac.com
-Le Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
Crédits Photos : Ambrose Akinmusire / Vincente Archer / Walter Smith III / Lionel Loueke / Robert Glasper & Eric Harland © Michel Vasset – Enrico Pieranunzi © Stefano Cioffi – Vincent Lê Quang / Daniel Humair / Stéphane Kerecki © Olivier-Charles Degen – Aaron Goldberg © Dominique Rimbault.