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2 novembre 2017 4 02 /11 /novembre /2017 08:49

Novembre. Deux mois avant les fêtes, les piles de CD(s) atteignent des hauteurs vertigineuses chez les journalistes qui les reçoivent. Les écouter tous est bien sûr impossible. Pourquoi tant de musiciens inconnus qui peinent à survivre s’obstinent-ils à faire des disques qui peinent à se vendre ?  

 

Le musicien les vend aux rares concerts qu’il parvient à donner. Pour ce faire, il lui faut avoir enregistré un album qui est davantage distribué à la presse que vendu dans les rares magasins qui existent. Car le système est pour le moins pervers : pas de disques, pas de concerts et réciproquement. Fabriquer un disque n’est pourtant pas gratuit. Le studio, la maquette du livret ou de la pochette, le pressage, les taxes nécessitent un budget. Certains trouvent un distributeur ce qui restreint d’hypothétiques bénéfices mais permet une meilleure visibilité de l’album. Pourtant, son disque noyé au sein de milliers de références, le musicien de jazz n’a guère de chance de récupérer sa mise, même avec une presse dithyrambique. Avoir des élèves lui permet à peu près de gagner sa vie, mais il est musicien et tient aussi à jouer et à faire connaître sa musique.

 

Pour y parvenir, il peut essayer de la vendre dématérialisée sur le net après l'avoir enregistrée mais dans ce cas comment la promouvoir et trouver des concerts ? Car s’il n'envoie pas son disque aux médias, il n'aura pas d’articles pour légitimer sa musique et la faire connaître. Quant à l’amateur de jazz, qu’il soit ou non journaliste, il n’est pas prêt d’accepter cette dématérialisation. Les bacs des disquaires se remplissent à nouveau de vinyles, ce qui témoigne de son attachement à un support qui n’est pas prêt de disparaître. Alors, on s’organise, on tâche d’obtenir des aides financières auprès des sociétés civiles (SACEM, SCPP, FCM, ADAMI, SPEDIDAM...). Il y a aussi le mécénat privé, la Fondation BNP Paribas qui a beaucoup aidé les jazzmen ces dernières années. On compte aussi sur ses amis, ses relations pour financer son disque. Le crowdfunding le permet. Financement participatif, il s’adresse à tous et permet au musicien de limiter la casse. « Vous aimez ma musique, participez à la hauteur de vos possibilités et vous pourrez l’écouter chez vous ». Une forme moderne de troc qui réunit des gens autour d’un projet, des journalistes qui croient au musicien, des musiciens amis. Quant elle le peut, la famille donne un coup de main, l’artiste établissant une relation directe avec ceux qui l’écoutent. Distribué par Pias, le label Jazz&People existe sur ce mode économique. L’argent récolté sert à payer le pressage, le graphiste, l’imprimeur et l’attaché de presse. Reste à vendre tous ces disques. Si vous avez une idée ?

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT

 

-Après le Duc des Lombards en février, c’est au Sunside qu’est attendu le 3 et le 4 novembre le trio réunissant Antonio Faraò (piano), Stéphane Kerecki (contrebasse) et Daniel Humair (batterie). S’il harmonise avec finesse et sensibilité une musique souvent modale, le pianiste peut à tout moment surprendre par des notes énergiques. Ralentir le rythme harmonique, c’est aussi laisser beaucoup d’espace aux musiciens. Sa section rythmique en bénéficie, la musique très ouverte leur laissant beaucoup d’initiative. Poser les bons tempos sur des harmonies raffinées n’exclut pas une prise de risque collective et des moments inattendus.

-Ambrose Akinmusire au New Morning le 6. La scène est pour lui et ses musiciens – Sam Harris (piano), Harish Raghavan (contrebasse) et Justin Brown (batterie) – un laboratoire qui lui permet d’inventer en temps réel sa musique. Portés par une section rythmique adoptant des tempos fluctuants, ses thèmes génèrent de longues improvisations souvent inventives, une musique labyrinthique et spontanée qui se développe naturellement, s’organise collectivement au fur et à mesure qu’elle se déroule. Les notes y coulent plus ou moins vite selon l’humeur du trompettiste qui occupe beaucoup l’espace sonore et joue des lignes mélodiques souvent inattendues.

-Dee Dee Bridgewater à la Cigale le 7 et le 8. Coproduit par le saxophoniste Kirk Whalum et intitulé “Memphis” (Okeh / Sony Music), son nouvel album relève de la soul. Dee Dee en écouta beaucoup dans cette ville du Tennessee. Une radio locale, WDIA y diffusait exclusivement de la musique afro-américaine et son père y travaillait comme D.J. sous le nom de Matt the Platter Cat. Sur scène : Curtis Pulliam (trompette), Bryant Lockhart (saxophones), Frarindell "Dell" Smith (orgue, piano et direction musicale), Charlton Johnson (guitare), Barry Campbell (basse) et Carlos Sargeent (batterie). Shontelle Norman-Beatty et Monet Owns assurent avec Dee Dee les parties vocales.

-En trio avec Blake Meister (contrebasse) et Eric Kennedy (batterie), le pianiste Larry Willis revient jouer au Duc des Lombards le 13 et le 14. Sa présence au sein du sextet de Carla Bley dans la seconde moitié des années 80 le fit connaître à un large public, mais Willis, né en 1940, commença bien plus tôt sa carrière. Dès l’âge de dix-sept ans, il joue dans les clubs de New York avec Eddie Gomez et Al Foster. Engagé par le saxophoniste Jackie McLean, il tient le piano dans “Right Now !” (Blue Note 1965), sa première apparition sur un disque. Plus de 300 albums suivront. Apprécié pour ses voicings et ses combinaisons harmoniques, il peut tout jouer et a pratiqué bien des genres tout en n’oubliant jamais le swing.

-Ahmad Jamal au Palais des Congrès le 14 avec ses musiciens habituels, James Cammack à la contrebasse, Manolo Badrena aux percussions et Herlin Riley à la batterie. Ce n’est que récemment que m’est parvenu son dernier disque “Marseille”, publié en début d’année   (merci Pascal Bussy), trop tardivement pour que je puisse en faire la chronique. Pour chanter Marseille et rendre hommage ce grand port méditerranéen chargé d’histoire et tourné vers l’Afrique, Jamal a invité Mina Agossi et Abd Al Malik qui seront avec lui sur scène à cette occasion.

-Dave Liebman et Émile Parisien (saxophones soprano), Jean-Paul Celea (contrebasse) et Wolfgang Reisinger (batterie) au Sunside le 14 et le 15 (concerts à 19h30 et à 21h30). C’est en 2016, à Marciac que les quatre hommes donnèrent leur premier concert. En 2001, associé à Celea et à Reisinger, Liebman enregistrait “Ghosts” pour le défunt label Night Bird de Jean-Jacques Pussiau. En 2012, ce dernier produisait “Yes Ornette !” pour le label Out Note dont il assurait la direction artistique, un disque en trio avec la même section rythmique pour accompagner Parisien. Aujourd’hui un seul groupe les rassemble tous les quatre.

-Leïla Olivesi au Sunside le 16 (21h30) avec Jean-Charles Richard (saxophones), Yoni Zelnik (contrebasse) et Donald Kontomanou (batterie) pour un hommage à la pianiste Geri Allen décédée à l’âge de 60 ans le 27 juin dernier. Au programme, des compositions de cette dernière qui enregistra de grands disques en trio avec Charlie Haden et Paul Motian, Ron Carter et Tony Williams. Enregistré en solo et inspiré par Cecil Taylor, McCoy Tyner et Herbie Hancock, “Flying Toward The Sound” (Motema) fut un de mes 13 Chocs de l’année 2010.

 

-Lew Tabakin en trio au Sunside le 18 (21h30) avec Philippe Aerts (contrebasse) et Mourad Benhammou (batterie). Connu pour son association avec la pianiste japonaise Toshiko Akiyoshi, son épouse avec laquelle il codirigea un grand orchestre, cette légende du saxophone, 77 ans depuis le 26 mai, travaille souvent sans filet, sans pianiste pour asseoir la tonalité des morceaux qu’il reprend. Il excelle au saxophone ténor mais est aussi un flûtiste hors pair, un des seuls jazzmen qui improvise réellement sur l’instrument.

-Stacey Kent à la Salle Pleyel le 19 (20h00) dans le cadre du Blue Note Jazz Festival. Son répertoire relève en partie de la variété, mais elle chante toujours juste et très bien en français. En vente depuis le 20 octobre, son nouvel album “I Know I Dream” (Okeh / Sony Music) a été enregistré à Londres avec un orchestre réunissant une trentaine de musiciens. Un écrin qui habille somptueusement les chansons qu’elle reprend, des standards, des classiques de la musique brésilienne, Avec le temps du grand Léo Ferré et quelques compositions de son mari, le saxophoniste Jim Tomlinson. Elle sera rejointe sur scène par l'Orchestre Symphonique Confluences dirigé par Philippe Fournier.

-Comprenant Dave Douglas à la trompette, Chet Doxas aux saxophones, Steve Swallow à la guitare basse et Jim Doxas, le frère de Chet, à la batterie, The Riverside Quartet dont le nouvel album, “The New National Anthem”, est paru en juillet dernier sur le label Greenleaf, se produira au New Morning le 20 avec Carla Bley au piano. Normal, car ce sont les compositions de cette dernière qui sont à l’honneur dans cet enregistrement évoquant l’époque au cours de laquelle Ornette Coleman et Don Cherry jouaient ensemble. On peut se laisser tenter.

-Chucho Valdés et Gonzalo Rubalcaba à l’auditorium de la Seine Musicale le 20 (20h30) pour un duo de piano. L’exercice est périlleux car il est bien difficile de tenir une telle conversation sans se perdre dans un pathos de notes inutiles. Fondateur en 1973 du célèbre groupe Irakere avec lequel il rénova la musique afro-cubaine, Chucho Valdés a enregistré d’excellents albums ces dernières années sur le label World Village à la tête de ses Afro-Cuban Messengers. C’est aussi un des meilleurs pianistes cubains avec Gonzalo Rubalcaba. Né en 1963, ce dernier a également de grands disques à son actif sur les labels Messidor et Blue Note. Publié en 2015 et enregistré dix ans plus tôt au Blue Note de Tokyo avec Charlie Haden à la contrebasse,, “Tokyo Adagio” (Impulse !) reste un de ses plus beaux opus.

-Fred Hersch au Sunside le 21 et le 22 avec les musiciens de son trio habituel, John Herbert à la contrebasse et Eric Mc Pherson à la batterie. Né en 1955, Hersch est un des plus grands pianistes de la planète jazz. Il excelle sur tous les tempos, expose souvent plusieurs lignes mélodiques au sein d’un même morceau et parvient à rendre sa musique si fluide que l’on en oublie sa complexité. Il peut tout aussi bien reprendre un standard qu’un classique du bop dont il renouvelle les harmonies. Souvent dédiées à des familiers ou à des artistes qu’il admire, ses compositions aux progressions d’accords souvent labyrinthiques bénéficient de la douceur de son phrasé. Enregistré en solo, “Open Book” (Palmetto), son disque le plus récent, fera l’objet d’une prochaine chronique dans ce blog.  

-Légende du piano né à Memphis en 1936, Harold Mabern est attendu au Duc des Lombards avec le saxophoniste ténor Eric Alexander le 27 et le 28 (19h30 et 21h30). Ils se sont déjà produits au Duc avec Darryl Hall qui tiendra à nouveau la contrebasse, Bernd Reiter assurant la batterie. Influencé par Phineas Newborn son mentor auquel il dédia une de ses compositions Blues for Phineas, le pianiste joue un bop puissant et solidement rythmé. Une main gauche percussive assure les basses ; la droite plaque des accords et joue d’élégantes lignes mélodiques. Le jeu lyrique imprégné de blues d’Eric Alexander convient très bien à ce grand du piano.

-Le 29 à 21h00, Diego Imbert fêtera au Studio de l’Ermitage la sortie de son nouvel album “Tribute to Charlie Haden” (Trebim Music). Vous en lirez ma chronique dans le numéro de novembre de Jazz Magazine. Au cœur du disque, Enrico Pieranunzi (piano), André Ceccarelli (batterie) et Diego à la contrebasse. Arrangés par Pierre Bertrand, des cordes (violons et violoncelles), une flûte, une clarinette (Stéphane Chausse) et un hautbois complètent l'orchestration. Ils seront bien sûr sur scène pour jouer la musique de ce très bel opus.

-Aldo Romano au Triton le 30 avec les deux trios qui l’accompagnent sur deux albums de la collection Live au Triton. Publié en 2015, “Liberi Sumus” fait entendre Vincent Lê Quang aux saxophones et Henri Texier à la contrebasse dans un programme entièrement improvisé. Édité récemment, “Mélodies en noir & blanc”, un recueil de compositions du batteur, réunit le pianiste Dino Rubino, Michel Benita à la contrebasse et Aldo. Chanté par ce dernier, le dernier morceau du disque, une reprise de Gérard Manset Il voyage en solitaire, est particulièrement émouvant.

-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com

-New Morning : www.newmorning.com

-La Cigale : www.lacigale.fr

-Le Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-Palais des Congrès : www.viparis.com/fr/site/palais-des-congres-paris

-Salle Pleyel : www.sallepleyel.com

-La Seine Musicale : www.laseinemusicale.com

-Studio de l’Ermitage : www.studio-ermitage.com

-Le Triton : www.letriton.com

 

 

Crédits photos : Antonio Faraò / Stéphane Kerecki / Daniel Humair, Ambrose Akinmusire, Larry Willis, Fred Hersch, Harold Mabern & Eric Alexander © Philippe Marchin – Ahmad Jamal © Jean-Marc Lubrano – Leïla Olivesi © Solène Person – Lew Tabakin © Hans Speekenbrink.nl – Stacey Kent © Benoît Peverelli – Diego Imbert © C.C. Cordat – Jean-Paul Celea / Dave Liebman / Émile Parisien / Wolfgang ReisingerThe Riverside Quartet + Carla Bley © Photos X/D.R.

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