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17 novembre 2017 5 17 /11 /novembre /2017 09:45
Fred HERSCH : “{Open Book}” (Palmetto / Bertus Distribution)

Écouter Fred Hersch, c’est se rendre compte de l’énorme différence qui existe entre un bon pianiste et un maître du piano. Ces derniers ne sont pas nombreux. Fred Hersch qui est l’un d’entre eux n’est pourtant presque jamais invité dans les festivals de Jazz. Il faut se rendre dans les clubs parisiens pour l’entendre, au Duc des Lombards ou au Sunside qui le fêtent régulièrement. Les nombreux disques qu’il a naguère enregistrés pour Nonesuch ne sont plus disponibles et Palmetto qui abrite depuis plusieurs années sa musique n’avait plus de distributeur français. Il semble en avoir retrouvé un, puisqu’une attachée de presse bien avisée m’a fait parvenir cet “{Open Book}”, un des sommets de sa discographie.     

Dès les premières notes de The Orb, morceau qui introduit l’album, on est saisi par la profonde musicalité de son piano. Magnifiée par la douceur d’un toucher sensible, une tapisserie de notes intelligemment tissée nous caresse au sein d’un flux musical aussi surprenant que varié. Improvisation sans mélodie apparente, The Orb parvient pourtant à captiver, par son cheminement harmonique, ses accords mystérieux. Il suffit de se laisser bercer par ces phrases subtilement amenées qui traduisent la délicatesse de sentiments de ce pianiste pas comme les autres. “{Open Book}” est un florilège des concerts en solo que Fred Hersch donna trois soirs de suite au JJC Art Center de Séoul en avril 2017. Longue improvisation enregistrée live le 1er novembre 2016, Through the Forest complète l’album. Partir à l’aventure sans thème préétabli pendant près de vingt minutes n’est pas donné à tout le monde et le pianiste ne sait pas plus que nous où son imagination va le conduire. Se laissant aller à une rêverie inhabituelle, il se laisse guider par elle, joue des impressions, des souvenirs, teinte de couleurs une toile sonore qu’il fait respirer, chaque note restant parfaitement audible au sein d’une polyphonie aérée. Dans la seconde partie plus tendue, des progressions d’accords labyrinthiques apparaissent. Fred Hersch joue avec l’ombre et la lumière, s’amuse sans jamais se perdre.

Le pianiste qui reprend toujours un thème de Thelonious Monk en concert nous offre ici une version fascinante d’Eronel, morceau coécrit par le saxophoniste Sahib Shihab (et non par Sadik Hakim crédité par erreur sur la pochette) témoignant de sa stupéfiante maîtrise rythmique. Sans jamais se tromper, ses deux mains installent simultanément plusieurs lignes mélodiques comme si deux pianistes inspirés dialoguaient entre eux. Monk n’est pas le seul musicien que Fred Hersch affectionne. Il a également consacré un disque entier aux compositions d’Antonio Carlos Jobim et nous livre ici une relecture admirable de Zingaro dont il masque longtemps le thème. Il a travaillé avec Gunther Schuller au New England Conservatory de Boston et pose de tendres nuances sur les harmonies rêveuses et poétiques de la composition. Méconnaissable, Whisper Not de Benny Golson est prétexte à une fugue. Très soucieux de la perfection formelle de ses interprétations, Hersch en organise en temps réel le flux contrapuntique. Grand technicien, il rend sa musique si fluide que l’on ne perçoit pas le travail qu’elle demande. And So It Goes, la ballade de Billy Joel qui referme ce magnifique album, lui inspire des harmonies si délicates que l’on se demande après son écoute si on ne les a pas rêvées.

 

-Fred Hersch qui vient de recevoir le Prix in Honorem de l’Académie Charles Cros pour l’ensemble de sa carrière se produira au Sunside le 21 et le 22 novembre (21h00) avec les musiciens de son trio habituel, John Herbert à la contrebasse et Eric Mc Pherson à la batterie.

 

Fred Hersch au piano © Jim Wilkie - Portrait de Fred Hersch © Photo X/D.R.

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