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1 décembre 2017 5 01 /12 /décembre /2017 10:00
Le jazz : une nouvelle musique contemporaine ?

Décembre. Pour le journaliste de jazz un moment de répit, les sorties d’albums se faisant plus rares jusqu’à la mi-janvier. Décembre, c’est aussi le temps des bilans et des récompenses. L’Académie du Jazz se réunira dans quelques jours pour voter ses prix qui seront décernés en janvier. Pas facile de choisir entre plusieurs centaines d’albums, même si les vraies réussites restent peu nombreuses. Mes Chocs de l’année qui vous seront dévoilés à la mi-décembre m’inspirent quelques réflexions que je vous soumets ici.

 

Naguère de tradition orale, le jazz est aujourd’hui enseigné dans des écoles à de jeunes musiciens qui débutent souvent par des études classiques. Le swing n’est plus leur préoccupation première. Jointes à une technique souvent phénoménale, leurs connaissances harmoniques leur permettent d’improviser autrement. Bien qu’ouverte à toute sortes de musiques, leur culture est d’abord européenne. Le rythme reste important mais les couleurs, les agencements de timbres, le sont pour eux bien davantage. Déjà l’auteur d’un disque autour de Domenico Scarlatti, le pianiste Enrico Pieranunzi enregistra il y a quelques mois un album avec Bruno Canino, un ardent défenseur de la musique contemporaine, naguère l’accompagnateur attitré de la cantatrice Cathy Berberian. Ensemble, ils reprennent des pièces de compositeurs des deux Amériques. Jazz, musique classique ? On peut aussi se le demander à l’écoute du dernier album de Fred Hersch, un opus en solo que la musique classique imprègne fortement. Quant au “Re-Focus” du saxophoniste Sylvain Rifflet enregistré avec un orchestre de cordes, ou au disque récent d’Hervé Sellin judicieusement intitulé “Passerelles” et consacré à des relectures d’œuvres de Robert SchumannClaude Debussy, Erik Satie et Henri Dutilleux, ils mêlent habilement les deux genres.

 

Ce rapprochement du jazz et de la musique classique est également perceptible dans les derniers disques de Michel Portal et de Jean-Philippe Viret. Le premier, un merveilleux interprète de Mozart, l’a enregistré avec un quatuor à cordes. Le second aussi, remplaçant le second violon par sa contrebasse. Son hommage à François Couperin dont il emprunte un morceau, La muse plantine, et qui s’inspire de ses pièces pour clavecin, réunit jazz et musique de chambre. D’autres albums enregistrés avec des cordes témoignent d’un certain rapprochement du jazz et de la musique contemporaine. C’est ce que propose le trio réunissant Louis Scavis, Dominique Pifarély et Vincent Courtois, le violoncelle de ce dernier, associé à deux saxophonistes – Daniel Erdmann et Robin Fincker – parvenant à rendre profondément neuve et à donner des couleurs inédites à des musiques de films.

 

« Il faut agrandir le jazz pour ne pas avoir à en sortir. » écrivait André Hodeir dans “Hommes et problèmes du jazz”. Compositeur français, il fut le premier à intégrer le vocabulaire sériel à une partition de jazz et le premier à réaliser un morceau de jazz pour bande magnétique, piano et section rythmique. Ce jazz que l’on n’a jamais très bien pu définir, les musiciens européens l’agrandissent par leurs libres improvisations, en sautent les barrières ou en ouvrent les claies, barres de mesure souvent incompatibles avec la riche polyrythmie qu'ils proposent. Alors que la musique contemporaine officielle, très sèche, très aride et très peu mélodique, cherche désespérément un public, le jazz européen dont les réussites furent particulièrement nombreuses en 2017, en particulier dans le jazz français, dévoile une musicalité autrement plus séduisante. Et si le jazz était la musique contemporaine d’aujourd’hui ? On peut se poser la question.

 

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT

-Sheila Jordan au Sunside le 1er et le 2 décembre. Née en 1928, la chanteuse n’est plus toute jeune et sa voix fragile qui tend vers l’épure n’est plus tout à fait la même que celle de ses débuts. “Portrait of Sheila”, son premier disque pour Blue Note en 1962 avec Steve Swallow, inaugura une série d‘albums enregistrés avec des bassistes, Arild Andersen, Harvie Swartz et Cameron Brown magnifiant et révélant sa voix dans plusieurs de ses disques. Enregistré pour ECM en 1979, “Playground” reste le meilleur disque du quartette qu’elle codirigea avec le pianiste Steve Kuhn de 1979 à 1982. Patrick Cabon (piano), Frédéric Loiseau (guitare), Gary Brunton (contrebasse) et Karl Jannuska (batterie) accompagneront au Sunside cette grande Dame du jazz vocal.

-François Couturier et son Tarkovsky Quartet au Bal Blomet le 2. Le violoncelle d’Anja Lechner, l’accordéon de Jean-Louis Matinier, le saxophone soprano de Jean-Marc Larché et le piano de François déploient les somptueuses couleurs d’une musique acoustique reflétant l’âme slave et inquiète d’Andreï Tarkovsky, le cinéaste préféré de Couturier. Véritable méditation poétique, “Nuit Blanche” (ECM), le troisième album de la formation publié au printemps dernier, nous fait passer de l’autre côté du miroir, dans le monde du rêve dont il rapporte des images.

-Si vous avez manqué le New Monk Trio de Laurent de Wilde au Bal Blomet en octobre, le Duc des Lombards lui ouvre ses portes trois soirs de suite, du 4 au 6 décembre. Avec Jérôme Regard à la contrebasse et Donald Kontomanou à la batterie, Laurent vient de publier un album entièrement consacré à Thelonious Monk dont vous trouverez la chronique dans ce blog. Relecture très personnelle de la musique du compositeur dont on fête ces jours-ci le 100ème anniversaire de sa naissance, “New Monk Trio” (Gazebo / L’Autre Distribution) donne d’autres couleurs, d’autres rythmes à des thèmes qui nous sont familiers. Auteur d’un livre incontournable sur Monk en 1996, Laurent ose enfin jouer sa musique et il le fait magnifiquement.

-Airelle Besson (trompette), Édouard Ferlet (piano) et Stéphane Kerecki (contrebasse) au Café de la Danse le 4. Un label de musique classique, les réunit dans un programme mêlant des œuvres classiques – la Pavane pour une infante défunte de Maurice Ravel, la Pavane Opus 50 de Gabriel Fauré – à des compositions originales. Ils sont tous les trois sensibles au répertoire classique, à l’harmonie et à la manière dont le son circule dans leurs morceaux. Ils improvisent avec toujours la mélodie en point de mire sans qu’un instrument domine les autres. Bénéficiant d’une prise de son très soigné, “Aïrés” (Alpha / Outhere) est un très beau disque de jazz de chambre. Soon de Kerecki, L’Histoire d’un enfant de Saint-Agil de Ferlet et la Valse Sentimentale Opus. 51 de Piotr Ilitch Tchaïkovsky sont des pièces très réussies.

-Le 5 au Studio de l’Ermitage (20h30), concert de sortie des deux albums que vient de faire paraître Hervé Sellin. Ce dernier s’est récemment produit à la tête d’un All Stars dans le Studio 104 de Radio France pour fêter le centième anniversaire de la naissance de Thelonious Monk. Très occupé par ses élèves – professeur au CNSM de Paris, il dirige aussi les ateliers jazz de Science-Po Paris –, le pianiste s’est fait discret ces dernières années. Aucun disque publié depuis “Marciac New-York Express” enregistré en tentet en 2008 jusqu’à ces deux nouveaux opus édités ces jours-ci. Hommage à Phil Woods, “Always Too Soon” réunit Pierrick Pédron (saxophone alto), Thomas Bramerie (contrebasse) et Philippe Soirat (batterie). Rencontre réussie du jazz et de la musique classique, “Passerelles” fait appel à une seconde pianiste, Fanny Azzuro, dans Les Scènes d’enfants de Robert Schumann, les autres musiciens étant trois de ses élèves du CNSM : Rémi Fox (saxophone soprano), Emmanuel Forster (contrebasse) et Kevin Lucchetti (batterie).

-Orbit, un nouveau trio réunissant le pianiste Stéphan Oliva, le bassiste Sébastien Boisseau et le batteur Tom Rainey, donnera son premier concert parisien à Paris le samedi 9 décembre à 20h30 au 19 Paul Fort, 19 rue Paul Fort dans le 14ème arrondissement, une ancienne usine devenu un lieu d’expositions, de concerts et le domicile d’Hélène Aziza qui invite les artistes qu’elle apprécie et accompagne. Faisant constamment circuler une musique très libre évoquant des sensations, des images, Orbit qui donna son premier concert en mai 2016 à l’Abbaye de l’Épau dans le cadre de l’Europa Jazz Festival, reprend d’anciennes compositions d’Oliva (Intérieur Nuit, Portrait of Gene Tierney, Spirales, Stéréoscope) et des thèmes de Boisseau (Wavin, Lonyayutca). Réservation conseillée (helenaziza@19paulfort.com). Tarif unique: 15€.

-La 15ème édition de l’incontournable You & The Night & The Music qu’organise chaque année la radio TSF Jazz, se déroulera le 11 à la Salle Pleyel. Au programme : douze orchestres comme autant de mois qui défilent, soit 3 heures de musique. Les deux orchestres de cérémonie sont le Bigre Big Band et le Projeto Coisa Fina. Au programme : Miles Sanko, Deva Mahal, Mathias Levy, China Moses, Shabaka Hutchings & Sons of Kemet, Julie Saury Sextet, Tony Allen, Camille Bertault, les Doigts de l’Homme, Jowee Omicil, André Manoukian, Laurent de Wilde Monk Trio, Gaël Horellou, Fred Nardin Trio, Rémi Panossian Trio, Arnaud Dolmen et des invités surprise. 

-La pianiste roumaine Ramona Horvath vient également de faire paraître un album et est attendue au Sunside le 13 pour en fêter la sortie. Enregistré avec Nicolas Rageau (contrebasse) et Philippe Soirat (batterie), André Villéger s’y faisant entendre au saxophone ténor dans trois plages, “Lotus Blossom” (Black & Blue / Socadisc) est largement consacré à des standards, Ramona signant toutefois trois compositions originales. Le disque contient des duos, des trios, des morceaux en quartette et une magnifique version en solo de Lotus Blossom (Billy Strayhorn) qui lui donne son titre. Avec sensibilité, la concertiste classique (Ramona Horvath est diplômée du Conservatoire de Bucarest) trempe ses mains agiles dans le swing d’un jazz intemporel. L’élégante Micutul Valse de Nicolas Rageau mérite bien sa place ici. Superbe version de All the Things You Are. Longuement introduite en solo, André Villéger y prend un tendre et émouvant chorus.      

-Après “The Key” en 2014, le pianiste Jerry Léonide sort un nouvel enregistrement “Source of the Ocean” (Assai / Socadisc). En quartette, il en présentera la musique au Sunside le 16 décembre. Avec lui, deux des musiciens de l’album, Sylvain Gontard (bugle) et Gino Chantoiseau (contrebasse), Christophe Chrétien remplaçant à la batterie Jhonny Joseph qui apporte une grande variété de rythmes à ce nouvel opus. L'album entremêle avec bonheur le jazz et le séga, la musique traditionnelle de l’île Maurice. Excellent pianiste – il fut en 2013 le lauréat du concours international de piano solo du festival de Jazz de Montreux –, Jerry Léonide ornemente, assure la primauté de la ligne mélodique, et pose de belles couleurs sur la musique d'un disque très réussi.

-Occupé par ses nombreux projets musicaux, le bassiste Jean-Philippe Viret délaisse un peu le trio qu’il partage avec le pianiste Édouard Ferlet et le batteur Fabrice Moreau. Ne manquez donc pas leurs retrouvailles au Sunside le 22. Nos trois musiciens servent les mélodies chantantes qu’ils inventent – certaines pourraient constituer de bonnes musiques de films – y déposent des harmonies quelque peu irréelles pour décrire des paysages brumeux et mélancoliques. Ici l’art de la fugue voisine avec le blues, le vocabulaire du trio relevant autant de la musique classique européenne que du jazz. D’autres morceaux plus abstraits reposent sur l’habileté des musiciens à penser de longues improvisations oniriques. Le silence aère alors la musique, et la fait magnifiquement respirer.

-Jacky Terrasson en trio au Sunside les 28, 29 et 30 décembre (deux concerts par soir, à 19h30 et à 21h30). Il habite New-York et joue moins souvent dans les clubs parisiens. Il y a un an, Jacky se produisait presqu’aux mêmes dates au Sunside avec Stéphane Belmondo pour y interpréter “Mother” (Impulse !), quatorze morceaux parmi lesquels des standards, des ballades mélancoliques à l’atmosphère feutrée. Pour ces trois soirs de concerts, il vient à Paris avec Ali Jackson, le batteur de Wynton Marsalis et du Lincoln Center Orchestra, l’excellent Thomas Bramerie complétant son trio. Possédant autant d’expérience que de technique, Jacky Terrasson peut difficilement donner un mauvais concert. En forme, il rejoint les plus grands. Rêveur ou énergique selon les besoins de son répertoire, son piano bénéficie de son jeu très physique. Ancré dans le blues et dans le rythme, il ne peut que s’accorder au groove de son batteur.

MAIS AUSSI EN JANVIER…

 

-Laurent Mignard et son Duke Orchestra au Pan Piper du 5 au 7 janvier (5 représentations) pour une adaptation scénique de “Mary Poppins. En 1964, Walt Disney adaptait le livre de Pamela Lyndon Travers. Quelques mois plus tard, Duke Ellington publiait un album d’arrangements des chansons du film. Richard et Robert Sherman en avaient écrit les musiques. Laurent Mignard en propose pour la première fois la mise en scène dans un spectacle musical participatif tout public avec, dans le rôle de Mary Poppins, la comédienne et chanteuse Sophie Kaufmann.

-Enrico Pieranunzi au Studio 104 de Radio France (20h00) le 13 janvier dans le cadre de l’émission Jazz sur le Vif. Avec lui, Diego Imbert (contrebasse) et André Ceccarelli (batterie), des musiciens qui l’accompagnent dans le formidable “Ménage à trois” (Bonsaï Music) publié l’an dernier. Un disque dans lequel le pianiste romain adapte des pièces du répertoire classique, des œuvres de Claude Debussy, Gabriel Fauré, Francis Poulenc, Erik Satie qu’il transforme en véritables morceaux de jazz. La chanteuse Claudia Solal et Benjamin Moussay (piano, Fender Rhodes, claviers), qui viennent de faire paraître “Butter in my Brain” chez Abalone, en assureront la première partie.

-Lauréate du Prix du Jazz Vocal de l’Académie du Jazz en 2013 et en 2015, Cécile McLorin Salvant se produira le 15 janvier dans l’auditorium de la Seine Musicale (20h30) avec Aaron Diehl (piano), Paul Sikivie (contrebasse) et Lawrence Leathers (batterie). Au programme : de larges extraits de “Dreams and Daggers” (Mack Avenue / Pias), un disque enregistré en public au Village Vanguard dont vous trouverez une excellente chronique dans ce blog. Lauréate de la prestigieuse Thelonious Monk Competition en 2010, Cécile possède une voix en or, chante magnifiquement le blues, et est considérée à juste titre comme la meilleure chanteuse de la planète jazz.

-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com

-Le Bal Blomet : www.balblomet.fr

-Le Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-Café de la Danse : www.cafedeladanse.com

-Studio de l’Ermitage : www.studio-ermitage.com

-19 Paul Fort : www.19paulfort.com

-Salle Pleyel : www.sallepleyel.com

-Pan Piper : www.pan-piper.com

-Radio France - Jazz sur le Vif : www.maisondelaradio.fr/concerts-jazz

-La Seine Musicale : www.laseinemusicale.com

 

-Crédits Photos : Sylvain Rifflet et cordes © Christian Rose – Sheila Jordan © Andrea Canter – Tarkovsky Quartet © Caterina Di Perri – Laurent de Wilde New Monk Trio © Pierre de Chocqueuse – Hervé Sellin © Jean-Baptiste Millot – Jerry Léonide © Sebastien “Pictange” Boisset – Trio Viret © Grégoire Alexandre – Jacky Terrasson, Enrico Pieranunzi © Photos X/D.R.   

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