Ce disque est la bonne surprise de ce début d’année. De la part de Bruno Ruder et de Rémi Dumoulin, je n’attendais pas une musique si réussie, un projet si cohérent. Malgré de bons passages, “Lisières”, le premier disque en solo de Ruder ne m’avait pas vraiment séduit. Manquant d’expérience, le pianiste aurait dû attendre avant se livrer à ce redoutable exercice de création sans filet. Sans section rythmique pour la structurer, sa musique semble se chercher, victime d’un discours parfois trop erratique. Son piano, je l’ai bien davantage goûté dans les miniatures du trio Yes is a Pleasant Country, lorsque, associé au saxophone de Vincent Lê Quang, il accompagne la voix singulière de Jeanne Added. Co-leader de la formation, Rémi Dumoulin fut l’un des saxophonistes de l’O.N.J. de Daniel Yvinec dont j’écoute toujours avec plaisir certains disques. Avec eux, le trompettiste Aymeric Avice, un élève de Fabrice Martinez et, de nationalité italienne, le bassiste Guido Zorn, deux musiciens dont je ne connais, en vérité, que peu de choses. J’en sais bien davantage sur Billy Hart que les amateurs de jazz et les admirateurs du groupe Quest connaissent bien.
Enregistrée en public au cours d’une résidence du pianiste à l’Amphi Opéra de Lyon en janvier 2016, la musique de ce disque convient à merveille au batteur. Composée par Ruder et Dumoulin, ces morceaux très ouverts lui permettent d’exprimer pleinement son art. Adoptant une ponctuation rythmique inhabituelle – cymbales et peaux de tambours librement caressées et fouettées –, Billy Hart suggère le tempo sans le jouer. Sa frappe sèche (sur une caisse claire qui accordée par ses soins possède une sonorité bien spécifique), ses roulements de toms épaississent à bon escient la masse orchestrale. Hart apporte beaucoup à la formation car la musique point trop écrite le lui permet. Sur de simples riffs ou de courts motifs mélodiques s’invente un jazz moderne plein de surprise ouvrant grandes les portes de l’inattendu, les musiciens tissant ensemble une trame musicale offrant tous les possibles. Sur une fanfare quelque peu dissonante (Step by Steppes) ou une brève ritournelle (Sagremor le Démesuré, morceau au sein duquel une walking bass accompagne le chabada d’un tempo swing) se greffent des improvisations tantôt lyriques, tantôt abstraites, les débordements – brefs cris convulsifs électrisant la musique –, peu nombreux, n’y étant pas exclus. Le piano percussif de Bruno Ruder chante souvent des chorus mélodiques. Même chose pour les vents, le saxophone de Rémi Dumoulin et la trompette d’Aymeric Avice soufflant le froid, mais surtout le chaud et sa large palette de couleurs harmoniques. Car les musiciens expérimentent, improvisent une musique généreuse qu’ils parviennent à rendre étonnamment vivante. Un grand disque assurément !
-Concerts de sortie (avec Billy Hart) les 23 et 24 mars au Sunside (21h00).
-Site de Bruno Ruder : www.brunoruder.com
-Photo © Christophe Charpenel