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5 mars 2018 1 05 /03 /mars /2018 09:40

Mars. Nous n’étions pas très nombreux à remplir le Sunside le 22 février : une cinquantaine de personnes et seulement deux journalistes, curieux de découvrir sur une scène parisienne la musique de Michel Bisceglia qui fit bien davantage que tenir ses promesses. Il y avait certes d’autres concerts à Paris ce soir-là, Lucky Dog au Sunset, le quartette de Pierrick Pédron au Bal Blomet, les clubs parisiens peinant souvent à attirer du monde. Les musiciens qui déplacent les foules, le jazz n’en possède plus beaucoup. Le temps a avalé la plupart de ceux qui étaient parvenus à se faire connaître, faisant passer de l’autre côté ceux dont les noms figurent dans les livres.

 

Dans son récent “Dictionnaire amoureux du Jazz” publié chez Plon, Patrice Blanc-Francard nous relate avec talent et compétence l’histoire souvent tragique de certains d’entre eux. Quarante-neuf musiciens de la saga du jazz, presque tous décédés, ont droit à des entrées. Les rares survivants sont plutôt âgés. Quincy Jones est né en 1933, Sonny Rollins en 1930, Herbie Hancock en 1940 et Monty Alexander en 1944. À la lettre S, entre Savoy Ballroom et Bessie Smith, le saxophoniste guadeloupéen Jacques Schwarz-Bart, né en 1962, fait vraiment figure de jeunot.

 

Ce “Dictionnaire amoureux du Jazz” n’est bien sûr pas exhaustif. Impossible d’en faire tenir tous les acteurs dans un peu plus de 600 pages. Patrice Blanc-Francard a choisi de nous parler des musiciens qu’il apprécie le plus. Il le fait bien, nous détaille maintes anecdotes sur leur vie, nous confie dans quelles circonstances il les a découverts et s’est passionné pour leurs œuvres. Le jazz, Patrice a longtemps baigné dedans. Avant de devenir l’homme de radio et de télévision que l’on connaît, il s’est occupé chez Pathé-Marconi des labels Blue Note et Impulse abritant quelques-uns des plus beaux disques de son histoire.

 

Son livre nous la raconte, une aventure qui nous conduit de la musique néo-orléanaise au free jazz qu’il défendit avec Michel Le Bris dans Jazz Hot à la fin des années 60, en passant par le jazz électrique apparu à la même époque (“Bitches Brew” de Miles Davis enregistré en 1969). Le swing, le bop et le hard-bop ne sont pas oubliés mais on s’étonne du peu de lignes que l’auteur consacre à des musiciens aussi importants que Jim Hall, Bud Powell, Paul Bley, Ahmad Jamal et Keith Jarrett.  Quant aux jazzmen européens, ils brillent par leur absence. Django Reinhardt et Joe Zawinul sauvent l’honneur mais l’omission de Martial Solal, d’André Hodeir, de René Urtreger et de Michel Petrucciani, pour ne citer que des français, est un peu embarrassante.

 

Ce dernier n’enregistra ses premiers disques qu’au début des années 80, une décennie qui imposa le saxophone de Michael Brecker. La suivante révéla le piano de Brad Mehldau dont l’influence est aujourd’hui prépondérante, et celui de Fred Hersch, l’un de ses professeurs. Ces musiciens apparus ces trente dernières années en Amérique mais aussi en Europe où le jazz est désormais solidement implanté, Patrice Blanc-Francard n’en dit rien.* Comme si le jazz était resté confiné outre Atlantique et qu’il n’avait pas navigué jusqu’à nous, ou que l’amour qu’il lui porte, l’auteur le réservait presque exclusivement au jazz afro-américain de sa jeunesse. S’il a eu la bonne idée de rédiger des entrées sur les labels Atlantic et Blue Note, il n’a pas pensé en écrire une sur ECM, aujourd’hui le premier label de la planète jazz. Cela lui aurait permis d’évoquer l’universalité d’une musique qui n’a plus de frontières, ECM enregistrant des artistes du monde entier.

 

Un “Dictionnaire amoureux du Jazz d’aujourd’hui” reste à écrire. Celui de Patrice Blanc-Francard se lit avec plaisir, voire avec gourmandise, mais s’arrête bien trop tôt. Les livres, la plupart des grands musiciens de jazz en activité ne sont pas encore dedans. Si l’économie restreinte du jazz les maintient confinés dans les clubs des grandes villes, c’est grâce à eux que cette musique continue de vivre. Ils en écrivent tous les jours l’histoire et elle ne fait que commencer.

 

* Intitulée Into Something…, un court chapitre passe toutefois en revue quelques jazzmen d’aujourd’hui.

 

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT

-Le 6, avec Or Bareket (contrebasse) et Leon Parker (batterie), Fred Nardin retrouve le Duc des Lombards pour jouer sa musique. Publié sur le label Jazz Family, “Opening”, son dernier album, existe également en double vinyle, un tirage limité d’une étonnante qualité sonore. Vous pouvez le trouvez chez Crocojazz, rue de la Montagne Sainte-Geneviève. Gilles Coquempot en a encore quelques exemplaires. Ceux d’entre vous qui n’ont jamais entendu Fred Nardin découvriront un jeune et talentueux pianiste dont le jazz moderne s’enracine dans la tradition. Il a obtenu en 2016 le Prix Django Reinhardt de l’Académie du Jazz, un prix doté par la Fondation BNP Paribas ce qui explique les logos de ces deux institutions sur la pochette de son disque, son premier en trio. En venant l’écouter, il vous le dédicacera.

-Le 10, Henri Texier présentera au Café de la Danse la musique de “Sand Woman” (Label Bleu), un disque enregistré avec Sébastien Texier (saxophone alto et clarinettes) et Manu Codjia (guitare) depuis longtemps membres de sa formation. Les nouveaux venus sont Vincent Lê Quang (saxophones ténor et soprano) et Gautier Garrigue (batterie). Avec eux, Henri reprend des anciens morceaux de son répertoire, Amir, Les Là-bas, Quand tout s’arrête naguère enregistrés en solo. Il nous offre aussi une nouvelle version d’Indians et deux compositions récentes. Ronronnant comme un gros chat satisfait, sa basse pneumatique assure les tempos impeccables sur lesquelles viennent se greffer les improvisations des solistes. Les deux saxes mêlent harmonieusement leurs timbres et se complètent. La guitare chante des chorus électriques et les vieilles mélodies de ce musicien incontournable du jazz français retrouvent leur jeunesse.

-Réunissant de jeunes et talentueux musiciens, le Gil Evans Paris Workshop que dirige Laurent Cugny s’installe au Sunside le 13. Sa musique, vous pouvez la découvrir en vous procurant “Spoonful” (Jazz&People), un des grands disques de 2017. Un achat qui ne vous dispense pas de venir écouter ses concerts. Reprenant des arrangements de Gil Evans, mais aussi des compositions de Laurent, nouvelles et anciennes, la formation s’en empare avec bonheur pour les enrichir de chorus inattendus, les moderniser brillamment. Elle s’est produite en janvier au Sunside et y est également attendu en mai. J’écris si souvent sur elle que je ne sais plus trop quoi vous en dire. Mon objectif reste bien sûr de vous convaincre d’aller l’écouter. Pour exister, un orchestre de cette taille (16 musiciens) a besoin de jouer, de trouver des concerts ce qui nécessite un public, donc votre présence. Vous serez nombreux j’espère à venir l’applaudir.

-Les occasions d’entendre à Paris les Clayton Brothers se font rares. Ils seront le 15 et le 16 mars au Duc des Lombards pour quatre concerts (19h30 et 21h30). Le club les a déjà accueilli en 2011 dans une configuration quelque peu différente. En effet, l’excellent pianiste Sullivan Fortner remplace Gerald Clayton, fils de John Clayton, contrebassiste et co-leader d’une formation qui existe depuis 1977. Son frère Jeff Clayton joue du saxophone alto et de la flûte, mais John en est l’élément central. Avec le batteur Jeff Hamilton, il a codirigé l’orchestre qui accompagna naguère Diana Krall et compose et arrange une grande partie du répertoire, une musique proche du blues et des racines du jazz. Le quintette comprend également Terell Stafford à la trompette et Obed Calvaire à la batterie. Vous possédez peut-être “Short Trip, le dernier disque du pianiste Vincent Bourgeyx. Il en est le batteur.

-Hervé Sellin au Sunside le 16 avec la même formation que rassemble “Always Too Soon (Cristal), son dernier album en quartette, à savoir Pierrick Pédron au saxophone alto, Thomas Bramerie à la contrebasse et Philippe Soirat à la batterie. J’ai précisé son dernier album en quartette car, après un long silence discographique, le pianiste a sorti deux disques avec deux formations différentes et en fait paraître un troisième en solo ces jours-ci. Dédié à Phil Woods qui fut l’un de ses amis, “Always Too Soon (Cristal) contient un pot-pourri de quelques œuvres de Thelonious Monk et rassemble des musiques que Woods appréciait. Pour les jouer, Pierrick Pédron, saxophoniste parkérien à la sonorité généreuse, souffle des notes brûlantes mâtinées de tendresse.

-C’est également le 16 mars que s’ouvre la 35ème édition du festival Banlieues Bleues. Du jazz, il y en a peu et celui qui y est programmé n’est pas vraiment pour moi. Pour ne rien vous cacher, j’ignore tout de ces groupes qui proposent des musiques aussi étranges que leurs noms. On peut toutefois se laisser tenter le 16 par le concert que donnera à l’espace 1789 de Saint-Ouen (20h30) le pianiste Abdullah Ibrahim et son groupe EkayaAndrae Murchison (trombone et trompette), Cleave Guyton Jr. (saxophone alto, flûte et clarinette), Lance Bryant (saxophone ténor), Marshall McDonald (saxophone baryton), Noah Jackson (contrebasse et violoncelle), et Will Terrill (batterie). Je trouve l’homme peu sympathique, mais sa musique sud-africaine, colorée et chantante, met du baume au cœur.

-Les 16 et 17 mars, le saxophoniste Gaël Horellou fêtera à La Gare Jazz, un nouveau club du 19ème arrondissement, la sortie de “Coup de vent”, son nouvel album pour le label Fresh Sound. Le saxophoniste l’a enregistré avec le trompettiste Jeremy Pelt rencontré en 2013 au Duc des Lombards, club dans lequel, toujours avec Etienne Déconfin (piano), Viktor Nyberg (contrebasse) et Antoine Paganotti (batterie), il enregistra “Legacy”, invitant le saxophoniste Abraham Burton à le rejoindre. Deux disques dans lesquels, loin de l’électro jazz qu’il affectionne, Gaël Horellou, altiste dont la sonorité quelque peu nasillarde évoque parfois celle de Jackie McLean, joue avec lyrisme de belles phrases bien trempées dans le bop. Constitué de compositions originales d’Horellou, le répertoire offre des thèmes attachants – GK, Blame it on my Youth –, sans oublier Melody, un morceau du pianiste Etienne Déconfin très à l’aise dans ce contexte musical. On pourra également écouter Jeremy Pelt au Duc des Lombards les 30 et 31 mars. A la tête de sa propre formation, il présentera “Noir en Rouge” (HighNote), son nouvel album.

-Le 19, Clovis Nicolas présentera au Sunside la musique de “Freedom Suite Ensuite”, un disque Sunnyside enregistré en quintette, mais sans pianiste ni guitariste. Excellent musicien, le bassiste assume ainsi plus librement la direction d’une musique dont il pose lui-même les fondations harmoniques. Il y reprend la Freedom Suite de Sonny Rollins. Ce dernier l’enregistra en trio avec Oscar Pettiford à la contrebasse et Max Roach à la batterie en février 1958. Le batteur Kenny Washington offre un poids de swing conséquent à cette nouvelle version. Grant Stewart lui concède la sonorité chaleureuse de son saxophone. S’y ajoute la trompette introvertie de Brandon Lee qui étoffe la palette sonore de la musique et lui apporte des couleurs appréciables. Bruce Harris, un autre trompettiste, le remplace dans le thème qui ouvre l’album et dans une version acrobatique de Fine and Dandy. Quant à Clovis Nicolas, il réserve à son instrument Little Girl Blue, dernier thème d’un album très réussi.

-Le 23, au théâtre 71 de Malakoff, Bruno Angelini interprétera la musique de son nouvel album. “Open Land” est aussi le nom de son groupe, un quartette comprenant Régis Huby au violon, Claude Tchamitchian à la contrebasse et Edward Perraud à la batterie. Avec eux, le pianiste enregistra en 2014 “Instant Sharings, un disque dont le répertoire comprenait des morceaux et des arrangements existants. Ayant eu envie d’aller plus loin avec ce groupe, il s’est mis à écrire pour lui de nouvelles compositions dont certaines furent jouées au Sunside en mai 2017. Enregistrées à La Buissonne le mois suivant, elles paraissent aujourd’hui sur le label du studio. Fruit d’un travail collectif, de moments intenses et partagés, ces sept plages (la dernière est en trois parties) traduisent parfaitement l’univers poétique du pianiste, un créateur de climats oniriques, de pièces lentes et modales qui semblent ralentir l’inexorable marche du temps.

 

-Le 23 et le 24, Bruno Ruder (piano) et Rémi Dumoulin (saxophones soprano et ténor) investissent le Sunside avec les musiciens de “Gravitational Waves” (Absilone) – Aymeric Avice (trompette et bugle), Guido Zorn (contrebasse) et Billy Hart (batterie) – un disque dont les compositions très ouvertes semblent avoir été conçues pour ce dernier. J’ai récemment rédigé une chronique de l’album, un concert de janvier 2016 largement improvisé. Nul doute qu’au Sunside, les morceaux entendus ne seront pas les mêmes. Au sein du groupe, l’imagination est au pouvoir ce qui ouvre les portes de l’inattendu à une musique puissante et lyrique, généreuse et vivante. Une musique dont les notes, loin de rester sagement couchées sur partitions, se laissent aller à des vagabondages et nous invitent à les suivre.

-Au Sunset, les deux mêmes soirs – 23 et 24 mars –, le trompettiste Fabien Mary fête la sortie de “Left Arm Blues (and Other New York Stories)”, un disque du label Jazz&People largement financé par le crowdfunding (financement participatif). Un opus en octet réunissant Jerry Edwards (trombone), Pierrick Pédron (saxophone alto), David Sauzay (saxophone ténor et flûte), Thomas Savy (saxophone baryton et clarinette basse), Hugo Lippi (guitare), Fabien Marcoz (contrebasse) et Mourad Benhammou (batterie). En 2012, le trompettiste avait pareillement arrangé un de ses disques (“Four and Four”) et enregistré plus récemment à Brooklyn un album pour trois instruments à vents, une contrebasse et une batterie. Lors d’un séjour à New York, ville dans laquelle il s’est très souvent rendu – Fabien Mary fait une mauvaise chute. La clavicule droite cassée et immobilisé, il prend son mal en patience, se sert de sa main gauche pour écrire, imaginer et arranger huit nouvelles compositions inspirées par ses pérégrinations new-yorkaises. Quercus Robur sent bon la bossa nova, Song For Milie est une ballade largement confiée au trombone. Étonnant ce jazz made in France que l’on croirait fabriqué dans la grande Amérique, un jazz joué avec le cœur qui nous rend proche son glorieux passé. Un standard, All the Things You Are, complète ce disque très soigné aux couleurs du bop et du blues.

-Après le New Morning en octobre dernier, c’est le Sunside qui accueille Wallace Roney pour deux concerts (le 27 et le 28). Le trompettiste conserve la formation qui l’accompagna à Paris et à Clermont-Ferrand (également en octobre) lors du dernier festival Jazz en Tête. Le plus jeune de ses musiciens, le saxophoniste Emilio Modeste (18 ans) s’applique sous son regard attentif et bienveillant. Ses très longs doigts activent les clefs de son saxophone ténor dont il est un des espoirs. Curtis Lundy (le frère de la chanteuse Carmen Lundy) fait beaucoup plus vieux que son âge (il est né en 1955), mais a enregistré avec la chanteuse Betty Carter, le pianiste John Hicks et le saxophoniste Johnny Griffin. Confiez lui un tempo et il le tient et le fait vivre. La frappe puissante du batteur Eric Allen s’accorde bien à la finesse mélodique de son jeu de contrebasse. Le pianiste Oscar L. Williams Jr. complète la formation du trompettiste toujours très inspiré par Miles Davis dans ses ballades.

-Aldo Romano au Sunside le 31 mars et le 1er avril (21h00) avec Michel Benita à la contrebasse et Dino Rubino au piano. Les trois hommes ont donné plusieurs concerts au Triton y enregistrant “Mélodies en Noir & Blanc”, un album publié en septembre dernier. Le batteur y interprète d’anciens thèmes de son répertoire, Song for Elis qu’il écrivit à la mémoire d’Elis Regina, Inner Smile qui donne son nom à un de ses albums, Dreams and Water qu’il enregistra pour Owl Records. Il partage avec Michel Benita une longue amitié et Dino Rubino est pour lui le pianiste idéal, un pianiste dont « le lyrisme sans emphase le bouleverse ». Comme nous touche profondément le dernier morceau de son disque, une reprise émouvante d’une chanson de Gérard Manset Il voyage en solitaire.

-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-Café de la Danse : www.cafedeladanse.com

-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com

-Espace 1789 Saint-Ouen : www.espace-1789.com

-Théâtre 71 Malakoff : www.theatre71.com

-Festival Banlieues Bleues : www.banlieuesbleues.org

 

Illustration  © Anthony Armstrong – Crédits photos : Fred Nardin, Laurent Cugny, Aldo Romano © Philippe Marchin – Henri Texier Sand Quartet © Sylvain Gripoix – Hervé Sellin Quartet © Jean-Baptiste Millot – Open Land Quartet © Clément Puig – Bruno Ruder / Rémi Dumoulin Quintet feat. Billy Hart © Rémi Angeli – Wallace Roney © Pierre de Chocqueuse – John & Jeff Clayton © Photo X/D.R.

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