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12 mars 2018 1 12 /03 /mars /2018 09:39
Stephan OLIVA + Stéphane OSKERITZIAN : “Cinéma invisible”  (Illusions / www.illusionsmusic.fr)

D’emblée, la pochette étonne. Une diagonale la coupe en deux. Elle sépare des lettres noires et blanches. Le fond uniformément jaune clair rend ces dernières peu lisibles. Dans ce disque, seul le piano de Stephan Oliva se fait entendre. Le nom de Stéphane Oskeritzian apparaît également sur la pochette mais il ne joue aucun instrument. Sans lui, la musique de ce “Cinéma invisible” serait pourtant bien différente. Il en est l’un des producteurs, le monteur et le metteur en scène. Carte blanche lui a été donnée pour imaginer une histoire à partir des libres improvisations de Stephan Oliva, l’unique acteur-musicien de cette bande-son destinée à un film que chacun pourra visionner dans sa tête.

Philippe Ghielmetti et Stéphane Oskeritzian lui ont très peu parlé du contenu de cet album avant son enregistrement. Ce n’est qu’une fois rendus au studio La Buissonne et juste avant chaque prise, qu’ils lui révèlent les termes de technique cinématographique à partir desquels il va improviser – Arrêt sur image, travelling, hors-champ, flashback –, des indications qui deviendront les titres des morceaux de l’album. Stephan Oliva se met au piano mais ignore quelles scènes, quelles séquences musicales, seront conservées au montage par Stéphane Oskeritzian qui possède le final cut de l’album. Ses doigts feront naître des images, la musique d’un film invisible qu’il nous appartient d’imaginer.

Puisant dans sa mémoire de cinéphile, des scènes de films défilent sous ses yeux. Je l’imagine les projeter dans sa tête, sur un écran blanc de cinéma. On lui demande d'improviser sur Plongée. Se remémorant les images d'un film noir en noir et blanc, il adopte de sombres accords. Pour une contre-plongée, il pense au ciel, adopte la couleur pour en montrer le bleu. Nous sommes au cinéma et le piano caméra de Stephan Oliva joue et filme parfois la même scène sous un angle différent. Un piano qui évoque souvent des péripéties dramatiques, installe des accords obsédants, des climats ténébreux. Un piano dont les notes, Hors-Champ, se font espiègles, champêtres et mutines. Dans l’ombre, à l’arrière-plan (5 plages portent ce titre), la musique devient floue, d’une imprécision dissonante. Défiant l’obscurité, écartant son voile noir, surgissent ça et là quelques mélodies lumineuses, celles des deux musique de film de l’album et son ralenti de notes heureuses plongées dans un presque silence.

Stephan OLIVA + Stéphane OSKERITZIAN : “Cinéma invisible”  (Illusions / www.illusionsmusic.fr)

Fascinés, nos yeux écoutent, nous font voir des images, le gros-plan d’un visage, des yeux. Ceux de Laura Mars peut-être, ou ceux, sans visage, d’Édith Scob dans le film inquiétant du grand Georges Franju. Quel Travelling inspire Stephan Oliva ? Grandes ouvertes, nos oreilles imaginent des personnages qui se déplacent, se rapprochent ou s’éloignent. Consistant à montrer simultanément sur l’écran plusieurs scènes, le Split Screen est abondamment utilisé dans “Thomas Crown Affair” (“L’Affaire Thomas Crown”) de Norman Jewison. Le long flashback onirique qui referme l’album permet de remonter le temps, de revenir en arrière. “A Letter to Three Wives” (“Chaînes conjugales”) un film de Joseph Leo Mankiewicz, est entièrement construit sur ce procédé narratif. “The Bad and the Beautiful” (“Les ensorcelés”) de Vincente Minnelli avec Kirk Douglas et Barry Sullivan (ensemble sur la photo) également. Le chef monteur du film est Conrad A. Nervig (A. pour Albinus). Né en 1889, il a 63 ans et une longue carrière derrière lui lorsqu’en 1952 Minnelli lui en confie les rushes. Il a obtenu un oscar deux ans plus tôt pour “King Solomon’s Mines” (“Les Mines du roi Salomon” de Compton Bennett) et connaît son métier.

 

Stéphane Oskeritzian aussi. Il n’a jamais monté de films, mais c’est un couturier du son, un virtuose de la coupe et de l’assemblage. Il n’est pas au piano, mais s’empare de la musique, la retravaille, lui donne un rythme et un sens comme si elle était sa propre partition. 45 minutes patiemment extraites de 5 heures d’enregistrement, 24 morceaux aux noms des mots du cinéma. Une seule note passant à l’envers (c’est ce que croit deviner mon oreille, mais je peux me tromper) introduit le premier, un Générique sur fond rouge. Car son travail n’a pas seulement consisté à choisir et à ordonner certains moments de cette séance. Un passage de Plongée, contre plongée, la cinquième plage, superpose 5 séquences musicales issues de trois sources différentes. Split Screen, la quatorzième, réunit 15 points de montage. Le sur mesure, Stéphane Oskeritzian connaît et pratique. Ce disque étonnant et complice en témoigne.

 

“Cinéma invisible” 1 CD digipack disponible uniquement contre 15 euros port payé

sur www.illusionsmusic.fr

 

Photos : Stephan Oliva & Stéphane Oskeritzian © Nathalie Rocher – Stephan Oliva au piano © Pierre de Chocqueuse – Kirk Douglas & Barry Sullivan, photo extraite du film de Vincente Minnelli “The Bad and the Beautiful” © MGM 1952.

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