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2 mai 2018 3 02 /05 /mai /2018 09:28
Festivals d'été : la ronde immuable des vedettes

Mai. Enrico Pieranunzi et Hervé Sellin sur la photo. C’était au Sunside le 25 avril. Enrico y donnait le concert de sortie de “Monsieur Claude” un disque hommage à Claude Debussy dont je dis grand bien dans ce blog. Je pensais écouter le maestro en trio avec Diego Imbert et André Ceccarelli qui l’accompagnent dans l’album. Ils étaient là mais avec David El Malek et Simona Severini également présents dans cet enregistrement. Entendre cette dernière chanter Nuit d’étoiles, Rêverie ou L’adieu, un poème de Guillaume Apollinaire magnifiquement mis en musique par Enrico fut un enchantement. Sa voix au grain si particulier apporte des teintes mélancoliques à ces morceaux qu’elle poétise. Hervé Sellin qui vient lui aussi de consacrer un disque à Claude Debussy, un opus en solo très réussi, écoutait attentivement la musique. Entre deux sets, les deux pianistes se sont salués et ont échangé leurs disques, le blogueur de Choc immortalisant leur rencontre.

 

Connaissez-vous Marie Mifsud ? Quelques jours plus tôt, la chanteuse et son groupe que je découvris l’an dernier aux Trophées du Sunside donnaient un concert au Jazz Café Montparnasse, un vendredi 13 pour faire mentir ceux qui le croient maléfique. Pour cette élève de la grande Sarah Lazarus, la scène est un théâtre, des planches sur lesquelles elle s’expose, donne de la voix. Une voix puissante escaladant les octaves avec une énergie qui étonne. Avec elle, quatre musiciens pour porter une musique mêlant chansons jazzifiées, standards de jazz dont certains adaptés en français avec un zeste de rock. Adrien Leconte, son batteur, en écrit les textes souvent humoristiques. Marie en fait swinguer les mots, les syllabes. Elle peut rugir comme Nina Hagen, ou chuchoter de délicieuses onomatopées.

 

Jazz à Juan, Jazz à Vienne, Marciac, le Nice Jazz Festival, Enrico Pieranunzi, Hervé Sellin et Marie Mifsud n’y sont pas annoncés. Les subventions que reçoivent ces festivals, les plus importants de l’hexagone, leur permettent de se payer des vedettes, souvent les mêmes à défaut de faire l’effort d’en trouver de nouvelles. Melodie Gardot sera présente dans les trois premiers, tout comme Marcus Miller et l’incontournable Ibrahim Maalouf que son public, qui croit entendre du jazz, plébiscite. Gregory Porter est invité dans les trois derniers. Bien que la rencontre Ibrahim Maalouf / Wynton Marsalis ne manque pas de questionner, Marciac fait très fort cet été avec le trio de Brad Mehldau, le quintette de Kenny Barron, l’Akoustic Band de Chick Corea reformé, et l'immense pianiste qu'est aujourd'hui Fred Hersch.

 

De grands musiciens vont s'y produire mais pas le Gil Evans Paris Workshop que dirige Laurent Cugny* ou le Tarkovsky Quartet de François Couturier. En octobre dernier, au Studio 104 de Radio France, Hervé Sellin fit magnifiquement revivre en tentet la musique de Thelonious Monk. Quel festival a pensé programmer cet orchestre ? Pourquoi ne pas faire jouer “Re-Focus” un disque que Sylvain Rifflet a enregistré l’an dernier avec les cordes de l’Ensemble Appassionato ? Est-il normal que le Contrapuntic Jazz Band que dirige Gilles Naturel ne trouve aucun engagement ? Qui pense demander à Patrice Caratini de jouer la belle musique qu’André Hodeir nous a laissée ? Car les musiciens qui ont le plus de succès ne sont pas forcément les meilleurs. Faire venir des vedettes ne doit pas faire oublier les autres, les grandes et moyennes formations qui nous enchantent et celles plus modestes lorsqu’elles sont talentueuses. Bien sûr cela coûte cher et demande un budget mais aussi des spectateurs. Ils existent. C’est aux grands festivals de les convaincre, de les fidéliser par une programmation de qualité. Puissions-nous les en persuader.

 

*La “Tectonique des Nuages” fut présenté pour la première fois à Vienne en 2006, l’opéra de Laurent Cugny trouvant un soutien indéfectible en la personne de Jean-Paul Boutellier qui présidait le festival. La récente formation de Laurent, le Gil Evans Paris Workshop, a joué à Vienne en 2015 et également à Marciac. C'est trop peu au regard de la valeur de cet orchestre.

 

CONCERTS ET DISQUES QUI INTERPELLENT

-Lorsque Stéphane Belmondo n’était encore qu’un jeune trompettiste prometteur, Chet Baker l’invita à venir jouer à ses côtés sur la scène du New Morning. Stéphane a rendu hommage à ce père spirituel en 2015 en publiant chez Naïve “Love for Chet”, un album principalement consacré à la période SteepleChase de Chet, lorsque le guitariste Doug Raney et le contrebassiste Niels-Henning Ørsted Pedersen étaient alors ses partenaires. C’est ce répertoire fort bien choisi que Stéphane Belmondo interprétera au Sunside les 4 et 5 mai en compagnie de Jesse Van Ruller à la guitare et de Sylvain Romano à la contrebasse.

-Outre le saxophoniste Joe Lovano et le trompettiste Dave Douglas qui en assurent le leadership, Sound Prints réunit Lawrence Fields au piano, Linda May Han Oh à la contrebasse et Joey Baron à la batterie. La formation est attendue au New Morning le 7 à 21h00. “Scandal, son nouvel album publié sur le label Greenleaf Music, contient deux compositions de Wayne Shorter. Le nom du groupe est un démarquage de Footprints, un thème que Shorter écrivit à la demande de Miles Davis. “Miles Smiles” (1966) en contient la première version. Figures emblématiques de la scène jazz, Lovano et Douglas ont tous deux été membres du SF Jazz Collective. En 2008 la formation jouait sur scène un répertoire entièrement consacré aux œuvres du saxophoniste. Arrangé par sa pianiste, Renee Rosnes, le morceau Footprints était au programme de tous ses concerts.

-Dan Tepfer et Leon Parker au Sunside le 9 (21h30). Pianiste très demandé, le premier jouera sans difficultés les métriques parfois complexes que lui proposera le second. Les deux hommes s’amuseront certainement à se tendre des pièges, à rendre fluide et séduisante une musique aventureuse qui se nourrit également de belles lignes mélodiques. Dan Tepfer aime le risque et excelle dans l'art de l'improvisation comme en témoigne “Eleven Cages” un disque en trio publié l’an dernier sur le label Sunnyside. Quant à Leon Parker, il est davantage percussionniste que batteur. Une seule cymbale, une caisse claire, une grosse caisse, un seul tom lorsqu’il le juge nécessaire, son instrument réduit à l’essentiel n’en assure pas moins une large palette de rythmes dont profitera cette rencontre inédite.

-Emmanuel Borghi au Triton le 11 (21h00) pour le concert de sortie de “Secret Beauty” (Assai Records) un disque de jazz acoustique particulièrement réussi enregistré avec Jean-Philippe Viret à la contrebasse et Philippe Soirat à la batterie qui seront bien sûr présents. Loin de la fusion ou de électro-jazz, l’ex-pianiste de Magma nous invite dans les terres harmoniques de son jardin secret. Nourri par les dialogues que le piano entretient avec la contrebasse, un jazz élégant s’y fait entendre, Jean-Philippe Viret, un fin mélodiste lui aussi, signant deux compositions. Changed, la dernière plage de l’album, soulève l’enthousiasme et fait battre le cœur.

-Géraud Portal au Duc des Lombards les 14 et 15 mai (concerts à 19h30 et 21h30) pour fêter la sortie de “Let My Children Hear Mingus”, double album édité sur le label Jazz Family et enregistré au Duc en décembre dernier, le contrebassiste ayant longtemps assuré la direction artistique des jam-sessions du club le vendredi. Son disque reprend partiellement le nom d’un enregistrement Columbia de Charles Mingus – “Let My Children Hear Music” publié en 1972 –, les compositions du grand contrebassiste parmi lesquelles Orange Was the Color of Her Dress, Fables of Faubus et Haitian Fight Song étant bien sûr à son programme. Jouer avec Géraud Portal, c’est d’être assuré d‘avoir à ses côtés une basse solide, puissante et régulière. Mingus est bien sûr le modèle incontournable de cet amoureux du jazz, du blues et de l’improvisation. Les musiciens qui improvisent avec lui dans ce double CD hautement recommandable sont Quentin Ghomari à la trompette, César Poirier au saxophone alto, Luigi Grasso au saxophone baryton, Vahagn Hayrapetyan au piano et Kush Abadey à la batterie. Ils seront sur la scène du Duc et ne manqueront pas d’y briller.

-Toujours dans le cadre de l’hommage « Chet Baker Forever », Riccardo Del Fra se produira au Sunside les 19 et 20 mai (concerts à 21h30). Au programme : le répertoire de “My Chet My Song” (Cristal Records), le disque qu’il consacra au trompettiste en 2014, un recueil de ses compositions originales et de standards que Chet appréciait et interprétait. Pour mémoire, Riccardo fut l’un de ses bassistes. Pour ce concert, Airelle Besson cèdera sa place à Matthieu Michel (trompette et bugle), le jeune et talentueux Carl-Henri Morisset remplacera Bruno Ruder au piano et Ariel Tessier en sera le batteur et non pas Billy Hart. Déjà présent au saxophone alto lors de l’enregistrement de l’album, Pierrick Pédron complètera cette nouvelle formation.

-L’association à but humanitaire « Partage dans le monde » nous convie le 22 à 20h30 Salle Gaveau à un concert dont l’objectif est de financer ses missions et actions au Népal dont les populations démunies ont été lourdement pénalisées par des tremblements de terre en avril et mai 2015. Le quartette du pianiste Nicola SergioJean-Charles Richard (saxophones), Stéphane Kerecki (contrebasse), Fabrice Moreau (batterie) assurera la première partie de cette soirée avec des compositions extraites des quatre albums enregistrés par Nicola. Le pianiste Jean-François Zygel en animera la seconde, invitant Jean-Charles Richard pour des duos et Nicola Sergio pour improviser avec lui un quatre mains au piano.    

-Coup d’envoi de la dix-huitième édition du Festival Jazz à Saint-Germain-des-Prés le 24 avec un concert du pianiste cubain Roberto Fonseca dans le grand amphithéâtre de l’Université Panthéon-Assas. Le quintette du saxophoniste Émile Parisien, le trio du pianiste Thomas Enhco et l’Ensemble Appassionato, les chanteuses Indra Rios-Moore, Julie Erikssen, Camille Bertault et Melanie De Biasio, le New Monk Trio du pianiste Laurent de Wilde en duo le même soir avec le pianiste Ray Lema, et le Lars Danielsson Group sont les autres têtes d’affiche de ce festival que soutient la Fondation BNP Paribas et qui se poursuivra jusqu’au 4 juin. Rendez-vous dans ce blogdeChoc autour du 10 mai pour en apprendre davantage.      

-Du 24 au 26 mai, le pianiste Randy Weston sera l'invité du Duc des Lombards pour six concerts (deux par soir, 19h30 et 21h30). Né le 6 avril 1926 et âgé de 92 ans, cette légende du jazz vient se produire en duo avec Alex Blake, le bassiste de son quintette. Ce dernier a souvent enregistré avec lui et est déjà présent dans “The Spirits of the Ancestors”, magnifique double album du pianiste arrangé par Melba Liston que Verve publia en 1992. Musicien singulier, Randy Weston plaque des basses et des accords puissants sur un piano qu'il n'oublie pas de rendre percussif, ses harmonies chatoyantes étant celles de l'Afrique qu'il a souvent visité, s'installant à Tanger, y ouvrant un centre culturel et y organisant un festival. Le continent africain lui inspire ses rythmes et sa musique généreuse, son jeu dynamique mêlant blues, gospel et be-bop. Ses compositions Little Niles et Hi-Fly sont devenues des standards du jazz. 

-Frank Woeste (piano) et Ryan Keberle (trombone) au Nubia, le nouveau club de jazz de l'île Seguin le 25 (19h30 et 22h30). Avec Vincent Courtois (violoncelle) et Jeff Ballard (batterie), ils ont enregistré l'an dernier “Reverso Suite Ravel” (PhonoArt), un album dont la musique s'inspire du “Tombeau de Couperin” que Maurice Ravel composa entre 1914 et 1917. Ce dernier l’écrivit en respectant les principes d’écriture d’une suite baroque en six mouvements : Prélude, Fugue, Forlane, Rigaudon, Menuet et Toccata. La formation dont l’instrumentation est pour le moins originale (trombone, piano, violoncelle et batterie) en propose une sorte de « miroir jazz » improvisé, l’œuvre de Ravel devenant la source d’inspiration d’un vrai disque de jazz.

-The Art of the Quartet les 30 et 31 mai au Duc des Lombards (19h30 et 21h30). La formation réunit Benjamin Koppel aux saxophones, Kenny Werner au piano, Johannes Weidenmueller à la contrebasse et Peter Erskine à la batterie. Enregistré avec Weidenmueller et le batteur Ari Hoenig, “Animal Crackers”, le disque le plus récent du pianiste, n’est pas son meilleur. Mais Werner est un grand musicien qui renouvelle brillamment les standards qu’il reprend. Avec Erskine pour rythmer la musique, on ne peut qu’aller applaudir cette dernière.   

-Le Studio de l’Ermitage accueille le 31 mai (21h00) La Diagonale du cube, formation rassemblant des musiciens des formations du pianiste Jean-Christophe Cholet et du saxophoniste Alban Darche. Associés au compositeur Mathias Ruëgg dont on connaît le travail avec le Vienna Art Orchestra, ils ont créé et enregistré une œuvre originale qui puise son inspiration et fait écho au “Concerto pour deux pianos et orchestre” de Francis Poulenc. Un « tombeau » est une composition rendant hommage à un musicien, ou à un homme célèbre et “Le Tombeau de Poulenc” (Yolk Music / L’autre distribution) s’ajoute aux quelques « tombeaux » composés au début du XXème siècle que sont “Le tombeau de Couperin” par Maurice Ravel et le “Tombeau de Claude Debussy” par Manuel de Falla. Construit sur le modèle d’un concerto grosso, ce “Tombeau de Poulenc” est joué par un orchestre de jazz privilégiant les anches et les cuivres, l'esprit de Poulenc se retrouvant dans une musique de forme libre imprégnée et respectueuse de son œuvre.

 

La Diagonale du Cube réunit pour ce concert autour de Jean-Christophe Cholet (piano) et Alban Darche (saxophones) : Nathalie Darche (piano), Olivier Laisney (trompette), Jean-Louis Pommier (trombone), Matthieu Donarier (saxophones, clarinettes), Pascal Vandenbulcke (flûtes), Marie-Violaine Cadoret (violon, alto), Mathias Quilbault (tuba), Stéphane Kerecki (contrebasse) et Christophe Lavergne (batterie).

-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com

-New Morning : www.newmorning.com

-Le Triton : www.letriton.com

-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-Salle Gaveau : www.sallegaveau.com

-Festival Jazz à Saint-Germain-des-Prés : www.festivaljazzsaintgermainparis.com

-Le Nubia : www.clubnubia.com

-Studio de l’Ermitage : www.studio-ermitage.com

 

Crédits Photos : Enrico Pieranunzi & Hervé Sellin © Pierre de Chocqueuse – Stéphane Belmondo, Dan Tepfer, Nicola Sergio © Philippe Marchin – Sound Prints © Merrick Winter – Emmanuel Borghi © David Mathias – Riccardo Del Fra © Christian Ducasse – Randy Weston © Ariane Smoldoren – Ryan Keberle / Frank Woeste Quartet © Pauline Pénicaud – “Le Tombeau de Poulenc” (musiciens) © Gildas Boclé – The Art of the Quartet © Photo X/DR.

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