S’il ne nous rend pas souvent visite, Michael Wollny, co-récipiendaire du Prix du Jazz Européen 2014 de l’Académie du Jazz, n’a pas chômé depuis l’enregistrement en 2015 de “Nachtfahrten”, son disque précédent. Vingt sept nouveaux morceaux ont été ajoutés au répertoire de son trio après trois jours de répétitions intenses au printemps 2017. Certains d’entre eux ont été enregistrés à Oslo en septembre dernier, la capitale norvégienne donnant son nom au premier des deux nouveaux albums du pianiste paraissant simultanément. Le Norwegian Wind Ensemble (22 musiciens) rejoint sa formation dans quelques titres. Le second disque est un concert donné le 15 septembre 2017 au château de Wartburg, monument exceptionnel de la période féodale situé sur une colline au sud-ouest d’Eisenach en Thuringe. Émile Parisien y participe au saxophone soprano.
“Oslo” (ACT / Pias) permet à Michael Wollny d’explorer de nouvelles pistes musicales avec son trio habituel. Eric Schaefer joue depuis longtemps avec lui et cette complicité profite à une musique largement interactive. Christian Weber les a rejoint en 2015, peu avant l’enregistrement de “Nachtfahrten”. Sa contrebasse marque les temps avec assurance mais assure aussi de nombreux contrechants mélodiques. Dans Make a Wish, le Norwegian Wind Ensemble assure un contrepoint cuivré au piano, sa masse orchestrale donnant un surplus de couleurs au morceau. Whiteness of the Whale, le mini concerto qui referme l’album, est plus ambitieux. Les longues notes que tiennent les vents ajoutent non sans grandiloquence, un certain mystère à la musique. À un percutant solo de batterie succède le chant d’un piano en apesanteur. Le piano de Michael Wollny ne peut que me plaire. Joachim Kühn excepté, aucun pianiste allemand ne m’a autant séduit. Son jeu n’est pas aussi dur que celui de Kühn qui plaque souvent des accords agressifs sur son clavier et tire une grande dynamique de l’instrument. Son toucher est ferme, mais privilégiant les couleurs, les atmosphères rêveuses, il sait rendre ses notes légères et évite le tumulte. Nul doute que Walter Norris et John Taylor, ses professeurs, ne sont pas étrangers à ses choix esthétiques.
Éclectique, Michael Wollny reprend souvent des pièces du répertoire classique et les trempe dans des harmonies élégantes. Farbenlehre, Roses are Black du saxophoniste Heinz Sauer, le Trio pour piano, violon et violoncelle Opus 120 de Gabriel Fauré et le Cantus Arcticus de Einojuhani Rautavaara sont des pièces lentes que le pianiste s’attache à rendre expressives. Son adaptation de Nuits blanches de Claude Debussy l’est aussi. Batteur à la frappe lourde, Eric Schaefer le pousse à muscler son jeu tendre et romantique, à le rendre plus vif. Sa batterie est très présente dans le funky Hello Dave et dans les deux morceaux puissamment rythmés aux notes tourbillonnantes qui portent sa signature : Zweidrei et Perpetuum Mobile. Un intense martellement rythmique accompagne Interludium, un des onze interludes des Ludus Tonalis que Paul Hindemith composa en 1942 aux Etats-Unis.
“Wartburg” (ACT / Pias) a été enregistré quelques mois plus tard. C’est un concert et le trio reprend plusieurs thèmes que contient “Oslo”, non sans quelque peu en modifier les musiques. Sa version du tonique Perpetuum Mobile est plus agressive. Make a Wish, la dernière plage de l’album, bénéficie du saxophone soprano d’Émile Parisien, la contrebasse de Christian Weber s’y montrant très présente. Synonym, une habile improvisation collective partiellement construite sur un rythme ternaire, précède une adaptation moins heurtée d’Interludium. Composé par Eric Schaefer, Atavus fait entendre une agréable petite mélodie. Ré-harmonisée, celle de Big Louise, une chanson que Scott Walker (des Walker Brothers qui n’ont jamais été frères) écrivit en 1969, a l'étoffe d'un standard. Pièce abstraite au sein de laquelle la contrebasse jouée à l’archet tient une place importante, Antonym introduit Gravité, pièce à la forte tension rythmique. Autre reprise, une version lumineuse de White Blues, une composition que Bob Brookmeyer enregistra pour ACT en 1990 avec John Abercrombie à la guitare et quelques cuivres de WDR Big Band. Le soprano de Parisien lui apporte de chaudes et magnifiques couleurs. Teknonik permet à ce dernier, non sans talent, de tordre le cou à ses notes. La pièce est vive, enlevée, pleine de surprises, à l’image de ce concert pour le moins convaincant.
Photo Michael Wollny © Jörg Steinmetz