Septembre. Il y a plusieurs vies en nous. L’une des miennes s’étale sur 10 ans. Elle a débuté en 2008 avec ce blog consacré au jazz, proche reflet de mes goûts en la matière, le manque de temps et une actualité trop riche m’ayant cependant contraint à faire des choix, à aller, non sans regrets, à l’essentiel. Consacrer plus de temps à ce blog aurait certes été possible, mais vivre le jazz n’est pas ma seule passion. J’ai d’autres vies, d’autres plaisirs, d’autres ivresses. Livres, films, musées, voyages nourrissent aussi mon imaginaire, la vie des autres restant une source d’intérêt inépuisable pour quelqu’un de curieux.
Les jazzmen, leurs œuvres, leurs concerts m’ont donc permis de faire vivre ce blog pendant dix ans, la musique me fournissant les mots, les phrases de mes chroniques, de mes papiers d’humeur, de cet éditorial de septembre que vous lisez présentement. J’avoue avoir failli plusieurs fois abandonner, découragé par l’ingratitude de certains musiciens ne supportant pas que l’on émette la moindre réserve sur leur travail. Conséquence du politiquement correct qui bâillonne aujourd’hui toute critique, sujet traité l’an dernier dans l’un de mes éditos, j’ai donc rapidement décidé de ne parler que des disques qui me tiennent à cœur et d’ignorer les autres.
En effet, pourquoi perdre son temps à rédiger des chroniques sur des enregistrements dont le contenu musical est de peu d'intérêt à mes oreilles? Je préfère défendre ceux que je crois meilleurs que les autres, aussi bien des albums de musiciens inconnus que d’artistes confirmés. L’espace de liberté qu’offre un blog permet de traiter plus à fond un sujet, de décrire plus précisément la musique d’un disque pour vous donner envie de la découvrir.
Je n’aime guère rédiger des rubriques nécrologiques, mais il ne m’a pas été possible d’ignorer les disparus, de ne pas rendre hommage à des musiciens qui m’ont beaucoup apporté, à des amis chers qui sont partis trop tôt. Je pense surtout à Philippe Adler, à Christian Bonnet et à Heidi, l’amie américaine qui m’accompagna à tant de concerts. J'aurais aimé qu'ils assistent à cet anniversaire.
Inauguré le 8 septembre 2008 par la chronique de “A Stomach is Burning”, le premier disque de Mélanie De Biasio, ce blog a donc dix ans. Je n’envisage pas le fermer mais réduire sa voilure ne semble pas exclu. La fatigue, la lassitude, l’envie de passer à autre chose, de vivre autre chose… Rassurez-vous amis lecteurs, je ne vous laisserai pas tomber. Tant qu’il reste des jazzmen qui font de la bonne musique, ce blog a encore de beaux jours devant lui. Merci de lui être resté fidèle.
QUELQUES CONCERTS ET QUELQUES DISQUES QUI INTERPELLENT
-Excellent bassiste, Gilles Naturel séduit par l’intelligence de ses compositions et la finesse de ses arrangements. Le 15 septembre au Duc des Lombards (19h30 et 21h30), en compagnie de la chanteuse et pianiste new-yorkaise Champian Fulton, il revisite “Porgy and Bess” de George Gershwin au sein d’un nonet à l’instrumentation originale : trompettes (Martin Declercq et Ronald Baker, ce dernier assurant également certaines parties vocales), trombone (Michael Joussein), cor (Armand Dubois), saxophone ténor (Balthazar Naturel), violon (Philippe Chardon), violoncelle (Jérémy Garbag), et batterie (Stéphane Chandelier). L’opéra de Gershwin reste un réservoir inépuisable de mélodies pour les jazzmen : My Man’s Gone Now, It Ain’t Necessarily So, I Loves You Porgy et le célébrissime Summertime ne peuvent qu’interpeller.
-Relire autrement la musique de Thelonious Monk, jazzman le plus joué aujourd’hui, n’est pas donné à tout le monde. Avec son New Monk Trio, Laurent de Wilde y parvient. Les étranges mélodies de Thelonious, le pianiste les met à plat pour les reconstruire à sa manière, les respecte tout en les jouant différemment. L’album “New Monk Trio” (Gazebo) qu’il a enregistré l’an dernier, Prix du Disque Français de l’Académie du Jazz, en témoigne. Laurent sera au Sunside les 20 et 21 septembre (à 19h30 et 21h30) avec ses musiciens, Jérôme Regard à la contrebasse et Donald Kontomanou à la batterie, et Arnaud Dolmen remplaçera ce dernier le 22 (concerts à 19h00 et 21h30).
-Thomas Bramerie en trio au Duc des Lombards les 20, 21 et 22 septembre avec le pianiste Carl-Henri Morisset au piano et Elie Martin-Charrière à la batterie. Tous les deux l’accompagnent dans “Side Stories” (Jazz Eleven), le premier album que Thomas a enregistré sous son nom. Bassiste très demandé, ce dernier rythme la musique mais en est aussi l’une des voix mélodiques. Avec lui, un pianiste dont la maîtrise des rythmes afro-cubain est parfaitement naturelle (Morisset est d’origine haïtienne) ose des harmonies insolites. Quelques invités sont attendus à ces soirées : les pianistes Eric Legnini (le 20) et Jacky Terrasson (le 21) et le trompettiste Stéphane Belmondo (le 22).
-Fondé par le batteur Daniel Humair et comprenant Stéphane Kerecki à la contrebasse et Vincent Lê Quang aux saxophones, le trio Modern Art, attendu le 22 à 20h30 au Bal Blomet, invite le pianiste Emil Spanyi à le rejoindre pour improviser une musique aventureuse faisant écho aux formes, aux couleurs d’œuvres de peintres du XXème siècle qui ont été en relation avec le jazz. Reproduites dans le luxueux livret grand format accompagnant “Modern Art” (Incises), le premier opus du trio, des œuvres de Jackson Pollock, Bram Van Velde, Pierre Alechinsky, Cy Twombly et quelques autres (Sam Szafran que j’apprécie beaucoup) invitent à un passionnant voyage musical.
-Avec tambours (ceux du batteur Cédrick Bec) mais sans trompette et toujours au piano, Alexis Tcholakian fêtera le 25 au Sunside la sortie de son nouvel album, “Inner Voice Vol.1”, un opus en trio autoproduit (Lilian Bencini en est le bassiste) enregistré en décembre 2017. Admirateur de Bill Evans et ancien élève du regretté Bernard Maury, Alexis Tcholakian joue toujours un piano élégant aux harmonies rêveuses, compose de jolies mélodies dont il fait chanter les notes. Il les cajole, les poétise et nous les rend précieuses. Un second volume est prévu en mars 2019. Alexis en jouera quelques thèmes, pour notre joie à tous.
-Membre des Jazz Messengers d’Art Blakey dans les années 80 et familier du festival Jazz en Tête de Clermont-Ferrand depuis de longues années, Jean Toussaint (saxophones ténor et soprano) est attendu au Duc des Lombards les 25 et 26 septembre. Avec lui un quartette comprenant Daniel Casimir à la contrebasse, Ben Brown à la batterie et le pianiste espagnol Alberto Palau. Plusieurs disques de cet excellent saxophoniste sont disponibles sur Space Time Records, le label de Xavier Felgeyrolles que les amateurs de bon jazz connaissent bien. Son onzième album, “Brother Raymond”, est paru en juin dernier aux Etats-Unis sur le label Lyte Records.
-Antonio Faraò en trio au Duc des Lombards les 27, 28 et 29 septembre. Habitué du lieu, il s’y est souvent produit en trio avec des musiciens qu’il affectionne, les bassistes Thomas Bramerie et Stéphane Kerecki, les batteurs Daniel Humair et André Ceccarelli. Avec ce dernier, il a enregistré un excellent disque pour Cristal Records, “Domi”, en 2011, Darryl Hall complétant la formation à la contrebasse. Pour ces concerts, cette dernière se verra confier à Thomas Bramerie, le pianiste italien retrouvant André Ceccarelli à la batterie. Au service de la ligne mélodique des compositions qu’il harmonise avec finesse et sensibilité, Antonio Faraò peut tout aussi bien se montrer énergique que peindre des paysages aux couleurs élégantes. Son jazz raffiné et fluide possède un grand pouvoir de séduction.
-Ne manquez pas le quintette de Jacques Vidal au Sunside les 28 et 29 septembre. Le bassiste y fête la sortie d’un nouveau disque enthousiasmant, “Hymn” (Soupir Editions). Prolixes de chorus flamboyants, Daniel Zimmermann (trombone) et Pierrick Pédron (saxophone alto) travaillent depuis longtemps avec lui et apportent à sa musique les chaudes couleurs de leurs instruments. Car après plusieurs albums consacrés à Charles Mingus, son mentor, Jacques Vidal nous offre un disque de ses propres compositions, une musique généreuse et sensuelle sur laquelle plane toujours l’ombre tutélaire de Mingus (Charles Mingus’s Sound of Love). Ronde, boisée et asseyant parfaitement l’orchestre, la contrebasse du leader fait merveille, notamment dans Alice, sa poignante mélodie inspirant à Jacques Vidal un long solo à l’archet (Variation sur le thème d’Alice). Richard Turegano au piano (une découverte), et Philippe Soirat à la batterie complètent une formation à découvrir au grand complet sur la scène du Sunside.
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com
-Bal Blomet : www.balblomet.fr
Crédits Photos : Champian Fulton & Gilles Naturel, New Monk Trio, Antonio Faraò © Philippe Marchin – Thomas Bramerie avec Carl-Henri Morisset & Stéphane Belmondo, Jean Toussaint © Pierre de Chocqueuse – Jacques Vidal © Jean-Baptiste Millot – Bougies anniversaire, Modern Art (Daniel Humair, Stéphane Kerecki & Vincent Lê Quang) © photo X/D.R.