Novembre. Le ronronnement de ma chaudière me fait comprendre que le froid frappe à ma porte. On s’emmitoufle dans des habits plus chauds. On apprécie les bons potages, les noix, les champignons lorsqu’on en trouve. Le brouillard est plus fréquent, les feuilles délaissent les arbres et il fait nuit beaucoup plus tôt. Il fait bon rester chez soi avec un livre. C’est la saison des prix littéraires, la commission livres de l’Académie du Jazz que je préside se réunit à la fin du mois et les ouvrages consacrés au jazz monopolisent mes lectures.
Celle d’un gros bouquin épatant, un roman graphique dessiné par Youssef Daoudi, “Monk !”, m’a récemment mis en joie. Les Éditions Martin de Halleux le mettent en vente le 8 novembre. L’amitié qui unissait Thelonious Monk à la baronne Pannonica de Koenigswarter est au centre de ce livre de 352 pages à la reliure cousue et cartonnée. Née Rothschild, Kathleen Annie Pannonica, conductrice d’ambulances pendant la guerre, fut la bénédiction des jazzmen. L’histoire ne retient que le dernier de ses prénoms, celui d’un papillon de nuit, que son père, féru d’entomologie, lui donna. Monk fit sa connaissance en 1953 et passa dans sa maison de Weehawken (New Jersey) les dernières années de sa vie. Elle lui servait de chauffeur, d’ange gardien. Ses avocats aidèrent des jazzmen qui, comme Monk, ne savaient se défendre.
“Monk !” n’est pas une biographie classique et Youssef Daoudi n’a retenu que certains épisodes de la vie du pianiste. Il y a peu de textes dans ce roman graphique aux cadrages étonnants mais les indications que nous donne l’auteur suffisent à sa parfaite compréhension. Daoudi préfère laisser parler et rêver ses personnages. La musique est omniprésente dans ses dessins, dans ses onomatopées. En quelques traits, Monk vit, s’anime, danse, tourbillonne. Nica en papillon virevolte devant nos yeux. La mise en page aérée met en valeur leurs mouvements, nous fait entendre Sonny Rollins, Dizzy Gillespie, John Coltrane. Autre protégé de la baronne, Charlie Parker y fait chanter son instrument. Pour raconter en images et en sons cette histoire, Youssef Daoudi s’est inspiré de plusieurs ouvrages, le “Monk” de Laurent de Wilde, divers articles et revues. L’auteur cite ses sources. Il a mis trois ans à achever cet ouvrage en trois couleurs, une vraie réussite, un cadeau idéal pour les fêtes.
QUELQUES CONCERTS ET QUELQUES DISQUES QUI INTERPELLENT
-Organisé par le FICEP (Forum des Instituts Culturels Etrangers de Paris), et parrainé par le pianiste Bojan Z, la 16ème édition du festival Jazzycolors se déroulera du 30 octobre au 30 novembre. Vingt et un concerts sont prévus dans onze centres et instituts culturels étrangers de la capitale. Les musiciens viennent de nombreux pays et je suis loin de tous les connaître. Parmi ceux qui me sont familiers, je vous recommande le concert du batteur danois Snorre Kirk à la Maison du Danemark le 15 novembre. Ne manquez pas non plus celui de la pianiste Ramona Horvath à l’Ambassade de Roumanie le 2. Autre pianiste que j’affectionne, Giovanni Guidi sera le 16 à l’Institut Culturel Italien pour un duo avec le saxophoniste Francesco Bearzatti. On consultera sur le net le programme complet de cette manifestation.
-La pianiste roumaine Ramona Horvath en concert à l’ambassade de Roumanie (Hôtel de Béhague, 123 rue Saint-Dominique, 75007 Paris) le 2 novembre (20h00), dans le cadre du festival Jazzy Colors. Avec elle, les musiciens de son trio, les excellents Nicolas Rageau (contrebasse) et Philippe Soirat (batterie), mais aussi Ronald Baker (trompette et vocal) qui sert le jazz avec énergie et passion. Diplômée du Conservatoire de Bucarest et installée à Paris depuis 2009, Ramona Horvath joue avec brio un jazz moderne qui n’oublie pas ses racines. “XS Bird” et “Lotus Blossom”, les deux albums qu’elle a enregistrés pour le label Black & Blue, témoignent de la maîtrise de son piano. Invité sur quelques plages du second, un opus largement consacré à des standards, André Villéger y prend des chorus de ténor éblouissants.
-Le 7 (21h00), le New Morning accueille Stefano Bollani et les musiciens brésiliens de “Que Bom” (Alobar), un album qu’il a enregistré à Rio de Janeiro en décembre dernier. Jorge Helder (contrebasse), Jurim Moreira (batterie), Armando Marçal et Thiago Da Serrinha (percussions) en joueront la musique, des mélodies solaires aux harmonies colorées, certaines spécialement composées pour son disque, le premier qu’il sort sur son propre label. On regrettera l’absence sur la scène du New Morning de Caetano Veloso, João Bosco, Hamilton de Holanda, Jacques Morelenbaum les prestigieux invités de l'album. En forme, le pianiste virtuose peut se montrer éblouissant. Sa musique heureuse et séduisante possède un charme auquel il est tout à fait permis de succomber.
-Le San Francisco Jazz Collective à la Cité de la Musique le 8 et le 9 (20H30). Fondée en 2004, cette formation dont les albums ne sont disponibles que sur internet en quantité limitée rassemble chaque année pour des concerts huit musiciens de jazz autour du répertoire d’un musicien célèbre. Chaque membre du groupe arrange un thème de ce dernier et lui rend hommage en signant une composition en son honneur. Miguel Zenon (saxophone alto), Robin Eubanks (trombone) et Edward Simon étaient déjà présents au sein du groupe lorsque ce dernier se produisit au New Morning en mars 2010. David Sanchez (saxophone ténor), Etienne Charles (trompette), Warren Wolf (vibraphone), Matt Brewer (contrebasse) et Obed Calvaire complètent cet All Star. Au programme de ces deux concerts : Miles Davis (le 8) et Antônio Carlos Jobim (le 9).
-Dave Liebman (saxophone) et Marc Copland (piano) au Sunside le 11(18h30 et 20h30). Ils ne se produisent pas souvent ensemble à Paris. J’ai le souvenir d’un concert enthousiasmant dans ce même Sunside en décembre 2011. Le saxophoniste qui a beaucoup joué avec Richie Beirach n’a enregistré que deux albums avec Copland pour le label HatOLOGY, “Lunar” en quartette en 2001, et “Bookends” en 2002, un duo piano / saxophone d’anthologie. Soufflant de la lave en fusion, Dave Liebman met souvent le feu à la musique. Il peut aussi se montrer fin mélodiste. On peut compter sur Marc Copland pour tempérer son ardeur, entraîner le saxophoniste sur des chemins plus lyriques. Entre les doigts de Marc, une mélodie devient prétexte à d’inépuisables variations de couleurs harmoniques. “Gary”, le disque en solo qu’il vient de faire paraître sur le label Illusions en témoigne.
-Jeff « Tain » Watts au Duc des Lombards, le 12, 13 et 14 novembre (19H30 et 21h30) avec Antonio Faraò (piano) et Ira Coleman (contrebasse), Jeff Watts assurant bien sûr la batterie. Le saxophoniste cubain Irving Acao se joindra au trio le 14. À lui seul, le batteur mérite le déplacement. Il s’est fait connaître dans les formations de Wynton et de Branford Marsalis, interprète le batteur Rhythm Jones dans le film “Mo’Better Blues” de Spike Lee et a enregistré une dizaine d’albums sous son nom. Au Duc, il rendra hommage au pianiste Kenny Kirkland disparu il y a vingt ans, le 12 novembre 1998. Kirkland a également joué avec les frères Marsalis et bien sûr avec le batteur. Il laisse un unique album solo “Kenny Kirkland” (GRP) enregistré en 1991.
-Mon concert du mois est celui du batteur Snorre Kirk le 15 (20h00) à la maison du Danemark (142 avenue des Champs-Élysées, 75008 Paris). Les musiciens qui l’accompagnent – Tobias Wiklund (cornet), Klas Lindquist (saxophone alto, clarinette), Jan Harbeck (saxophone ténor), Magnus Hjorth (piano), Lasse Mørck (contrebasse) – ont récemment enregistré avec lui un album enthousiasmant. “Beat” (Stunt Records, sortie française le 16 novembre)) est dans la même veine musicale que “Drummer & Composer” publié l’an dernier, l’un des treize Chocs 2017 de ce blog. Le batteur a réduit sa formation à un sextette mais la musique, un cocktail détonnant à base de swing, de blues et de rythmes afro-cubains est bien la même. Count Basie, Duke Ellington et Wynton Marsalis se font entendre dans les étonnantes compositions aux arrangements très soignés du batteur. Ses musiciens sont formidables, à commencer par Magnus Hjorth, pianiste subtil et économe qui, le blues dans les doigts, place toujours des notes inattendues. Méconnu des amateurs de jazz français, Snorre Kirk souhaite vous faire écouter sa musique. Ne manquez pas son premier concert parisien.
-Giovanni Guidi (piano) et Francesco Bearzatti à l’Institut Culturel Italien (50, rue de Varenne, 75007 Paris) le 16. Un premier album en 2006 sur le label Venus, quatre autres sur Cam Jazz et enfin deux disques sur ECM parmi lesquels le remarquable “This Is The Day” en trio, l’un des 12 Chocs 2015 de ce blogdeChoc, ont suffi à placer Giovanni Guidi dans le peloton de tête des meilleurs pianistes italiens. Souvent associé au Mo’Avast Band du bassiste Mauro Gargano et poids lourd du saxophone ténor, Francesco Bearzatti, Prix du Musicien Européen de l’Académie du Jazz en 2011, s’est imposé avec “Monk’N’Roll” une relecture décalée de quelques œuvres de Thelonious Monk, et “This Machine Kills Fascists”, un disque de 2015 dans lequel il s’attaque au répertoire de Woody Guthrie. Entre un saxophoniste qui aime tordre le cou à ses notes et un pianiste jouant avec finesse et sensibilité, mais qui peut tout aussi bien surprendre par des phrases abstraites et dissonantes, des harmonies inattendues, cette rencontre ne peut qu’être passionnante.
-The Aziza Quartet de Dave Holland au Studio 104 de Radio France le 17 à 20h30 dans le cadre de l’émission Jazz sur le Vif animée par Arnaud Merlin. Une rare occasion de découvrir une formation quelque peu fantôme, ses quatre musiciens Chris Potter au saxophone ténor, Lionel Loueke à la guitare et Eric Harland à la batterie et bien sûr Dave Holland à la contrebasse participant avec de nombreuses formations ce qui ne favorise pas leur réunion. Cet All Stars n'a fait paraître qu'un seul album sur Dare Records en 2016. Mal distribué, il est en outre loin de refléter la musique que le groupe est capable de jouer sur scène. Le Gaël Horellou / Ari Hoenig Quartet – Gaël Horellou (saxophone alto), Étienne Déconfin (piano), Victor Nyberg (contrebasse) et Ari Hoenig (batterie) assurera la première partie de ce concert.
-Chick Corea en solo à la Cité de la Musique le 20 et le 21 novembre (20H30). Le pianiste est depuis longtemps rompu à l’exercice, le pianiste entreprend actuellement une tournée mondiale (22 concerts entre le 10 octobre et le 29 novembre). Livré à lui même devant un public, il revient sur d’anciennes compositions, reprend les standards qui ont jalonné sa carrière, des œuvres de musiciens dont il apprécie la musique, Thelonious Monk, Bud Powell et Bill Evans, auxquels il a consacré des albums. Il joue aussi des pièces classiques, du Scriabin et du Bartók et ses Children’s Songs dont la composition s’étala sur une dizaine d'années. Son riche vocabulaire pianistique emprunte autant à la musique classique européenne qu’au jazz. Musicien romantique, Chick Corea affectionne une harmonie ample et délicate mais possède aussi touché percussif et apprécie les rythmes latins. Son magnifique piano ne laisse jamais indifférent.
-Monty Alexander en solo à la Seine Musicale le 23 (Auditorium, 20h30). Né en 1944 et originaire de la Jamaïque, il joue toujours avec la même aisance et le même bonheur son piano espiègle. Trempé dans le reggae et le calypso, son jazz possède des rythmes et des couleurs qui lui sont propres. Vif, coloré et souvent percussif, son jeu virtuose a souvent été comparé à celui d’Oscar Peterson. Les albums qu’il a enregistrés pour le label Motéma avec son Harlem-Kingston Express déménagent et contiennent d’étonnantes versions de The Harder They Come de Jimmy Cliff et de No Woman No Cry de Bob Marley, mais c’est en concert qu’il donne le meilleur de lui-même, s’amuse et soulève l’enthousiasme par son swing contagieux.
-Dominique Lemerle en quartette au Sunside le 27 (21h00) avec les musiciens de son album – Manuel Rocheman (piano), Michel Perez (guitare) et Tony Rabeson (batterie). Le contrebassiste s’est fait connaître dans les clubs de la capitale, auprès de Chet Baker, Michel Graillier, Tal Farlow, René Urtreger, Johnny Griffin et Jimmy Gourley pour ne pas citer tous les musiciens avec lesquels il a joué. “This is New” (Black & Blue) est le premier disque qu’il enregistre sous son nom. De facture classique, il ne renferme que des standards, certains forts célèbres – My Funny Valentine, My Foolish Heart, Manoir de mes rêves –, d’autres associés aux jazzmen qui les ont écrits – Miles Davis, Jim Hall, Bill Evans –, Lemerle nous en offrant des versions inspirées. Une réussite que l’on doit aussi aux deux principaux solistes de l’album Manuel Rocheman et Michel Perez, inventifs sur ce matériel thématique bien choisi.
-La bientôt célèbre Marie Mifsud retrouve le Jazz Café Montparnasse le 29. Son principal atout : une voix qui lui permet tout aussi bien de rugir comme une lionne que de murmurer des chansons douces et envoûter son public. L’orchestre qui l’accompagne en est l’écrin idéal. Quentin Coppale improvise à la flûte, Tom Georgel fournit les harmonies adéquates au piano, Victor Aubert à la contrebasse et Adrien Leconte complétant la section rythmique. Avec Marie, ce dernier écrit des textes malicieux et les met en musique, des chansons au sein desquelles le swing, le tango, le rock se donnent la main, quelques standards de jazz réinventés complétant le répertoire. Il faut absolument écouter la formation en concert. Intrépide, Marie Mifsud prend des risques, fait danser ses notes, plonge le verbe dans le swing. Une étonnante chanteuse à découvrir.
-Festival Jazzycolors : www.ficep.info/jazzycolors
-New Morning : www.newmorning.com
-Cité de la Musique / Philharmonie de Paris : www.philharmoniedeparis.fr
-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-Radio France - Jazz sur le Vif : www.maisondelaradio.fr/concerts-jazz
-La Seine Musicale : www.laseinemusicale.com
-Jazz Café Montparnasse : www.jazzcafe-montparnasse.com
Crédits Photos : Dessin de Thelonious Monk © Youssef Daoudi – Ramona Horvath, © Thierry Loisel – Stefano Bolani Que Bom Band © Vinicius Giffoni – San Francisco Jazz Collective © Jay Blakesberg – Giovanni Guidi & Francesco Bearzatti © Paolo Soriani – Aziza Quartet © Govert Driessen – Chick Corea © Toshi Sakurai – Marie Mifsud © Philippe Marchin – Marc Copland & Dave Liebman, Jeff « Tain » Watts, Snorre Kirk © Photos X/D.R.