Vous les attendiez ces 13 disques que je place au-dessus des autres, mes lauréats de 2018. Vous retrouverez dans ce palmarès des musiciens qui ont l’habitude d’y être. Fred Hersch, Brad Mehldau, Enrico Pieranunzi font régulièrement de grands disques. Bruno Angelini aussi. Déjà Choc de l’année en 2017, le batteur danois Snorre Kirk récidive avec un album encore plus enthousiasmant. Tous ont fait l’objet de chroniques dans ce blog ou dans Jazz Magazine. Comme à mon habitude, je n’écris que sur ceux qui m’éblouissent, préférant passer les autres sous silence. Ce choix subjectif correspond à mes goûts. Ceux qui me lisent régulièrement connaissent mon intérêt pour le piano mais Jacques Vidal est un contrebassiste, Eddie Daniels un clarinettiste et Snorre Kirk un batteur.
Des regrets, j’en ai bien sûr. Sélectionner 13 disques n’est pas facile. J’aurai pu tout aussi bien choisir “Wine & Waltzes” ou “Blue Waltz” d’Enrico Pieranunzi, mais “Monsieur Claude” garde ma préférence. Thomas Bramerie, Stephan Oliva, Stéphane Kerecki, Kenny Werner, John Surman et Andy Sheppard ont également sorti de bons albums cette année. Ces deux derniers sont des artistes ECM, un catalogue riche en merveilles. Présents dans ce palmarès, les CD(s) de Tord Gustavson, Bobo Stenson et Keith Jarrett (un de mes deux inédits) sont aussi des disques ECM. Ils confirment la bonne santé du jazz européen qui représente plus de 50% d’une sélection que je vous invite à découvrir et bien sûr à écouter.
11 nouveautés…
Bruno ANGELINI : “Open Land”
(La Buissonne / Pias)
Chronique dans le blog de Choc le 16 avril
“Open Land”, fait entendre un univers musical onirique d’une grande richesse, un jazz de chambre mélodique et largement ouvert à l’improvisation. Les timbres sont traités avec une grande douceur par les musiciens, Bruno Angelini (piano), Régis Huby (violons), Claude Tchamitchian (contrebasse) et Edward Perraud (batterie). Contrairement à “Instant Sharings”, son premier opus, la formation s’est rendue au studio la Buissonne avec un répertoire original apporté par son pianiste et rôdé en concert. Des compositions pensées pour les couleurs, les timbres des instruments qui, entremêlés, donnent au groupe sa sonorité particulière, sa signature qui le distingue de tous les autres.
Marc COPLAND : “Gary”
(Illusions / www.illusions-music.fr)
Chronique dans le blog de Choc le 15 novembre
Presque entièrement consacré à des compositions de Gary Peacock, produit par Philippe Ghielmetti et enregistré en avril à La Buissonne par Gérard de Haro, “Gary” est l’un des grands opus de Marc Copland, un disque en solo dans lequel le pianiste donne à ce répertoire qu’il connaît bien une grande dimension onirique. Mises en valeur, habillées d’harmonies flottantes et rêveuses que favorisent un jeu de pédales très élaboré et une grande finesse de toucher, les mélodies deviennent prétextes à d’inépuisables variations de couleurs harmoniques et acquièrent un aspect grandiose et introspectif que les propres enregistrements du bassiste sont loin de toujours posséder.
Eddie DANIELS : “Heart of Brazil”
(Resonance / Bertus)
Chronique dans le blog de Choc le 13 juillet
De son propre aveu, Eddie Daniels ne connaissait pas la musique du compositeur brésilien Egberto Gismonti avant que George Klabin, le producteur de cet album, ne la lui fasse entendre. Éblouissant à la clarinette dont il est un virtuose incontesté, mais également très convaincant au saxophone ténor, Daniels habille ici de nouveaux arrangements la musique du compositeur brésilien, un mélange équilibré et savoureux de musique savante et populaire dépassant le cadre de la samba, du choro ou de la bossa nova. Un quartette comprenant le pianiste Josh Nelson (l’un des arrangeurs de cet album), le batteur brésilien Maurizio Zottarelli, et un quatuor à cordes qui dialogue souvent avec les solistes (le Harlem Quartet), en assure l’instrumentation.
Tord GUSTAVSEN Trio : “The Other Side”
(ECM / Universal)
Chronique dans Jazz Magazine n°709 - septembre (Choc)
Après plusieurs albums en quartette, et un disque en trio avec la chanteuse germano-afghane Simin Tander, Tord Gustavsen a choisi de revenir au trio piano, contrebasse, batterie. Enregistré avec Jarle Vespestad, son batteur habituel, et Sigurd Hole, un nouveau bassiste, “The Other Side” son huitième opus pour ECM est plus que jamais inspiré par la musique sacrée, hymnes religieux norvégiens et chorals de Jean-Sébastien Bach constituant une part importante du répertoire. L’épure, l’ascétisme musical que recherche le pianiste s’exprime dans son jeu qui ornemente a minima pour mieux dire l’essentiel. Les notes se font ici légères comme si l’Esprit Saint soufflait sur elles, la musique, lente, contemplative et d’une grande simplicité mélodique, acquérant une profondeur spirituelle à laquelle on n’est plus habitué.
Fred HERSCH Trio : “Live in Europe”
(Palmetto / Bertus)
Chronique dans Jazz Magazine n°705 - mai (Choc)
Enregistré dans un studio de Bruxelles lors d’une récente tournée européenne effectuée avec John Hébert (contrebasse) et Eric McPherson (batterie), ses musiciens habituels, ce “Live in Europe” est encore plus enthousiasmant que “Sunday Night at the Vanguard”, un disque que Fred Hersch considère comme étant le meilleur de ses nombreux albums en trio. C’est dire l’excellence du programme musical qui nous est ici proposé. Dédiant comme à son habitude ses compositions à des amis, des artistes qu’il affectionne, Hersh joue à cache-cache avec des notes que ses deux mains autonomes font sortir de son piano. Jouant simultanément plusieurs lignes mélodiques, recourant au contrepoint, il aborde blues et calypso, reprend deux thèmes de Wayne Shorter et termine sa prestation par un Blue Monk qui ensorcelle.
Snorre KIRK : “Beat”
(Stunt / Una Volta Music)
Chronique dans Jazz Magazine n°712 - décembre (Choc)
Le procédé est connu : on frappe dans ses mains pour se réchauffer. Le batteur Snorre Kirk vient du froid, du Danemark, non pour espionner mais pour battre d’autres tambours, rythmer une musique chaude comme de la braise. Count Basie, Duke Ellington et Wynton Marsalis se font entendre dans ses compositions, ses arrangements très soignés. Dans la même veine musicale que “Drummer & Composer” publié l’an dernier, l’un des treize Chocs 2017 de ce blog, “Beat” est encore plus enthousiasmant. Cocktail détonnant à base de swing, de blues et de rythmes afro-cubains, il réunit un sextette comprenant cornet, saxophone alto (ou clarinette) saxophone ténor, piano, contrebasse et batterie. Jan Harbeck, le ténor de la formation, a enregistré un album très réussi avec le saxophoniste Walter Smith III et son pianiste, Magnus Hjorth, est l’un des grands de l’instrument.
Brad MEHLDAU Trio : “Seymour Reads the Constitution !”
(Nonesuch / Warner)
Chronique dans Jazz Magazine n°706 - juin (Choc)
On peut lui préférer, “Blues and Ballads” publié il y a deux ans, l’un des treize Chocs 2016 de ce blog, un album aux tempos lents au sein duquel la mélodie est constamment privilégiée. D’une grande unité stylistique et lourd d’improvisations audacieuses “Seymour Reads the Constitution!” reste toutefois un grand disque de Brad Mehldau. Mêlant compositions nouvelles et standards – Beatrice de Sam Rivers et De-Dah de Elmo Hope, mais aussi Friends de Brian Wilson et Great Day de Paul McCartney –, le pianiste envoûte par son flot de notes, son univers harmonique aux longues phrases en constante expansion. Étroitement associés à sa musique Larry Grenadier et Jeff Ballard canalisent cette énergie qui le pousse à questionner sans relâche et jusqu’au vertige les thèmes qu’il aborde pour nous offrir la plus belle des musiques.
Enrico PIERANUNZI / Diego IMBERT / André CECCARELLI :
“Monsieur Claude {A Travel with Claude Debussy}”
(Bonsaï Music / Sony Music)
Chronique dans le blog de Choc le 26 mars
Multipliant les enregistrements, Enrico Pieranunzi a fait paraître quatre albums en 2018. Je les aime tous, mais ma préférence va à ce “Monsieur Claude” consacré à des relectures de quelques pages de Claude Debussy, un disque publié en début d’année qui, du fait de la présence dans quatre morceaux de la chanteuse Simona Severini, fait polémique. C’est pourtant elle qui ajoute à ce enregistrement un supplément d’âme, le rend si attachant. Composé par le Maestro, L’adieu, un poème de Guillaume Apollinaire confié à sa voix, rencontre l’interprète idéale pour en chanter les notes. Dans quatre autres plages, David El Malek rejoint le trio du pianiste. Diego Imbert et André Ceccarelli – l’album sort sous leurs trois noms – en constituent la section rythmique et font merveille en trio.
Bruno RUDER & Rémi DUMOULIN : “Gravitational Waves”
(Association du Hajeton / Absilone)
Chronique dans le blog de Choc le 23 février
Enregistré en public en janvier 2016 avec le batteur Billy Hart, qui trouve ici un répertoire sur mesure lui permettant d’exprimer pleinement son art, “Gravitational Waves” contient une musique généreuse, ouverte et étonnamment vivante. Le batteur apporte beaucoup à ces morceaux composés par le pianiste Bruno Ruder et le saxophoniste Rémi Dumoulin, leaders d’une formation que complète le trompettiste Aymeric Avice et le bassiste Guido Zorn. Adoptant une ponctuation rythmique inhabituelle, Hart suggère le tempo sans le jouer, profite des simples riffs, des courts motifs mélodiques qui structurent la musique pour inventer avec ses partenaires de jeu un jazz moderne parfois abstrait, souvent lyrique dont la trame musicale, riche en surprises, offre tous les possibles.
Bobo STENSON Trio : “Contra la indecisión”
(ECM / Universal)
Chronique dans Jazz Magazine n°702 - février (Choc)
Aucune note inutile chez ce grand Monsieur du piano dont le jeu délicatement introspectif est d’une telle finesse harmonique qu’il faut plusieurs écoutes pour pleinement la goûter. Avec le contrebassiste Anders Jormin qui signe ici la moitié du répertoire, Bobo Stenson a longtemps été le pianiste de Charles Lloyd, les deux complices se retrouvant également sur deux albums ECM du regretté Tomasz Stanko, le label munichois publiant aussi ceux de son trio. Jon Fält, son batteur, l’a rejoint en 2007 et “Contra la indecisión” est le troisième album qu’ils font ensemble. Une esthétique européenne du jazz s’affirme dans leur musique souvent modale. Leurs relectures décalées d’œuvres composées par Erik Satie, Béla Bartók et Federico Mompou comptent parmi les grands moments de cet opus d’une rare élégance.
Jacques VIDAL Quintet : “Hymn”
(Soupir Editions / Socadisc)
Chronique dans le blog de Choc le 24 octobre
Publié en 2007, “Mingus Spirit” aurait certainement été un de mes 13 Chocs de l’année 2007 si ce blog crée l’année suivante, avait alors existé. Comme lui, “Hymn” rassemble des compositions personnelles de Jacques Vidal sur lesquelles souffle l’esprit de Mingus. Une épaule démise l’empêchant de jouer de la contrebasse, Jacques s’est remis à l’écriture et réintroduit le piano dans sa musique. Arrangée par ses soins, elle reflète l’attention qu’il porte aux timbres, aux couleurs, aux volumes, un travail sur la forme, une mise en espace laissant beaucoup de liberté aux solistes, à Pierrick Pédron et Daniel Zimmermann déjà présents dans “Mingus Spirit”. Retrouvant son instrument un temps délaissé, Jacques donne une assise rythmique et livre des commentaires mélodiques à sa musique lyrique et inspirée.
…Et deux inédits
Charlie HADEN & Brad MEHLDAU : “Long Ago and Far Away”
(Impulse / Universal)
Chronique dans le blog de Choc le 24 novembre
Charlie Haden a toujours aimé rencontrer d’autres musiciens. Plusieurs de ses disques sont des duos qui ont parfois été publiés après sa mort. Enregistré en public avec Brad Mehldau en novembre 2007, “Long Ago and Far Away” est presque du même niveau que trois autres albums dans lesquels il est associé à des pianistes, le sublime “Tokyo Adagio” avec Gonzalo Rubalcaba et les non moins enthousiasmant “Night and the City” avec Kenny Barron et “Nightfall” avec John Taylor. Les six standards qu’il contient permettent à Mehldau de jouer souvent son meilleur piano. Une contrebasse aussi mélodique que rythmique et au son volumineux l’accompagne sans jamais chercher à s’imposer. My Love and I de David Raskin, un morceau qu’Haden interprète souvent, et la somptueuse version de Everything Happens to Me qui conclut cette rencontre en sont les deux sommets.
Keith JARRETT Trio : “After the Fall”
(ECM / Universal)
Chronique dans le blog de Choc le 19 mars
Enregistré en novembre 1998, après la maladie qu’il l’a contraint d’arrêter tous ses concerts, “After The Fall” (après la chute) est le disque de la résurrection de Keith Jarrett, de son retour sur scène après presque deux ans d’absence. Il doute encore de lui, mais avec Gary Peacock et Jack DeJohnette, il sait qu’il peut donner le meilleur de lui-même et retrouver sa confiance. Bouncing With Bud de Bud Powell qui lui permet d’éprouver la mobilité de ses doigts, Doxy de Sonny Rollins, One For Majid de Pete La Roca, Scrapple from the Apple de Charlie Parker, le bebop est la musique idéale pour constater l’état de sa technique. When I Fall in Love, une ballade, révèle la délicatesse de son toucher et une version excitante d’Autumn Leaves, dans laquelle Jarrett dialogue avec son batteur et laisse parler une contrebasse inventive, témoignent de son piano retrouvé.