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14 janvier 2019 1 14 /01 /janvier /2019 09:37
Les ermites aussi partent à la retraite !

Janvier. Celui de la Montagne Sainte-Geneviève vient de prendre la sienne, au grand dam des amateurs de jazz et de blues fort contrariés par cette nouvelle. Cela faisait presque trente-trois ans que Gilles Coquempot s’était installé là-haut, à l’ombre du clocher de l’église Saint-Étienne-du-Mont qui chaque samedi soir à dix-huit heures trente, fait carillonner ses cloches, étourdissant vacarme rendant l’écoute de toute autre musique impossible. Dans son antre, Crocojazz, un ermitage d’une propreté exemplaire malgré l’usure du temps, le Père Gilles était l’un des derniers vendeurs de jazz à connaître parfaitement son métier. Ses clients venaient parfois de lointains pays pour acquérir telle ou telle pièce manquante de leur discothèque, “Gone With the Woodwinds! de Lyle Murphy que l’oncle Galip, grand amateur de jazz West Coast, avait fait entendre à Istanbul à ce client turc, alors qu’il n’était encore qu’un gamin en culottes courtes, ou la musique d’“Odds Against Tomorrow” – un album United Artists, l’UAL 4061 précisait l’ermite dont le savoir jazzistique impressionnait ses visiteurs – qui avait tant marqué cet australien de passage, une partition de John Lewis qui apporte beaucoup au film de Robert Wise qu’il avait vu adolescent dans un cinéma de Brisbane.

 

Des disques de jazz et de blues, le Père Gilles leur en avait vendu beaucoup, surtout des vinyles, des éditions originales aujourd’hui recherchées. Les pèlerins criaient miracle lorsqu’ils dénichaient l’album depuis si longtemps désiré. L’ermite exauçant souvent leurs prières, leurs cris de joie s’entendaient jusque dans la rue escarpée qu’ils avaient eu tant de mal à gravir. Oubliés les souffrances de la montée, les cœurs trop palpitants, les jambes lourdes et flageolantes. Ils repartaient aussi joyeux que s’ils avaient découvert le Saint Graal ou l’Arche d’Alliance.

 

De tels ermitages, il n’en existe presque plus à Paris. Les vinyles aujourd’hui fabriqués qui remplissent les bacs des FNAC et des grandes surfaces sont le plus souvent des copies numériques. Des rééditions analogiques, il n’y en a pas beaucoup. Le Père Maxime qui vend toujours d’anciennes et précieuses reliques au pied des arènes de Lutèce prend lui aussi de l’âge. Également fréquentée par beaucoup d’étrangers, la petite boutique de la rue de Navarre déborde de trésors. Les prix sont raisonnables. Les pièces rares coûtent beaucoup plus cher, mais personne ne vous oblige à les acheter. Paris Jazz Corner reste l’un des derniers magasins de disques qui vend encore du jazz dans une capitale qui naguère en comptait beaucoup. Aujourd’hui le clic remplace la claque d’une heureuse découverte. Quel plaisir peut-on éprouver à acheter sur internet ? Il faut se rendre à l’évidence, le disquaire parisien, hélas!, appartient au passé.

 

QUELQUES CONCERTS ET QUELQUES DISQUES QUI INTERPELLENT

-Melanie De Biaso à la Seine Musicale (auditorium, 20h30) le 17 janvier. Ceux qui comme moi ont assisté au concert qu’elle donna au théâtre de l’Odéon en juin dernier ne l’ont pas oubliée. Sur scène la chanteuse se donne entièrement à son art, envoûte par sa voix expressive et grave, sa gestuelle, les fascinantes ambiances nocturnes d’une musique modale que traversent les troublantes improvisations qu’elle s’autorise à la flûte. Pour cette prestation très attendue, Matthieu Van (piano, vintage synthétiseurs), Axel Gilain (contrebasse, basse électrique, guitare) et Aarich Jespers (batterie, percussions) remplaceront les fidèles Pascal Mohy et Pascal Paulus aux claviers qui l’accompagnent depuis ses débuts discographiques. Publié en 2007 “A Stomach is Burning” relève encore du jazz. “No Deal” qui paraît six ans plus tard et contient 33 minutes de musique est une plongée dans un univers beaucoup plus personnel, une musique onirique au fort pouvoir de séduction. Un large public est au rendez-vous lorsque Melanie De Biaso fait paraître “Lilies” en 2017, un recueil de chansons qui étonnent et ouvrent davantage encore les portes du rêve.

Les ermites aussi partent à la retraite !

-Bobo Stenson au studio 104 de Radio France le 19 à 20h30 dans le cadre de l’émission Jazz Sur le Vif animé par Arnaud Merlin. Méconnu en France et jouant très rarement à Paris, le pianiste suédois est pourtant l’un des meilleurs de la planète jazz. Son toucher délicat, ses harmonies élégantes et sophistiquées, son goût du détail et de la mélodie n’ont pas échappé à l’Académie du Jazz qui, toujours vigilante lui décerna son Prix du Jazz Européen en 2001. À cette date, outre plusieurs albums sous son nom pour ECM, Bobo Stenson a déjà enregistré des albums importants avec Charles Lloyd et Tomasz Stanko. Il se déplace à Paris avec les musiciens de son trio habituel. Anders Jormin, son bassiste depuis les années 80 est également l’auteur d’une partie non négligeable d’un répertoire éclectique. Créant un tissu percussif souple et distendu qui donne beaucoup de liberté au pianiste, Jon Fält, son batteur depuis l’enregistrement de “Cantando” en décembre 2007, complète la formation. Le groupe BwaLaurent Coq (Fender Rhodes), Ralph Lavital (guitare), Swaéli Mbappé (basse électrique), Laurent-Emmanuel Tilo Bertholo (batterie) – assurera la première partie du concert.

-Martial Solal en solo Salle Gaveau le 23 (20h30), un événement que ne peut difficilement ignorer un amateur de piano. Né en 1927 (il a eu 91 ans le 23 août), Martial le sorcier espiègle fait chanter son instrument mieux que tout autre avec l’humour dont il sait si bien saupoudrer sa musique. L’esprit vif, les doigts toujours agiles, Martial, enchanteur beaucoup plus facétieux que Merlin, étonne toujours. Les notes qu’il bouscule et renverse joyeusement, les citations drôles et inattendues dont il aime truffer ses morceaux témoignent de l’art pianistique de la joie que sa musique fait entendre.

 

-“Histoires improvisées” (JMS / Pias) son dernier disque est sorti beaucoup trop tardivement pour que je puisse en parler. Je vous recommande ici cet album entièrement créé en studio par Martial qui, tirant d’un chapeau des petits papiers, découvrit les sujets de ses improvisations : Lizt, Alger, À bout de souffle, Claudia, What is this Lee… soit 19 pièces assez courtes à inventer. Le pianiste les commente oralement, puis les illustrant avec des notes aussi brillantes qu'inattendues, fait délicieusement tourner nos têtes.

-“Bird with Strings” à la Philharmonie le 27 (grande salle Pierre Boulez, 20h30). Charlie Parker qui rêvait de faire un album avec des cordes l’enregistra en novembre 1949. Rassemblés dans un coffret comprenant trois 78 tours, ces six morceaux connurent un grand succès. Un hautbois, quelques violons, un alto, un violoncelle, une harpe, un piano (Stan Freeman), et une section rythmique (Ray Brown et Buddy Rich) offraient de nouvelles combinaisons sonores au saxophoniste qui réclamait depuis longtemps des cordes à Norman Granz, le producteur de ses disques Mercury. Christophe Dal Sasso leur apportant aujourd’hui de nouveaux arrangements, ces standards du jazz (Just Friends, Summertime, Everything Happens to Me, April in Paris, I Didn’t Know What Time It Was, If I Should Lose You) se verront confiés aux saxophonistes Géraldine Laurent, Pierrick Pédron, Thomas de Pourquery, Olivier Bogé et Logan Richardson, le chef Bastien Stil assurant la direction de l’orchestre.

-Un concert en hommage au pianiste et compositeur Thierry Lalo, fondateur et directeur musical des Voice Messengers, disparu le 16 novembre dernier, aura lieu le dimanche 27 de 18h00 à minuit au Sunside. Pour son disque “Lumières d’Automne” (Black & Blue), la formation avait obtenu en 2007 le Prix du Jazz Vocal de l’Académie du Jazz. Augmentée de ses anciens membres, elle interprétera les compositions et arrangements de Thierry. Michele Hendricks, Manuel Rocheman, Jean-Loup Longnon, François Laudet, Chloé Cailleton, Raphaël Dever, Philippe Soirat, Glenn Ferris, Jérôme Barde et plusieurs autres musiciens ont également confirmé leur présence à cette soirée. Les recettes serviront à financer le prochain album du groupe, son troisième. Je rappelle que la collecte mise en place pour y contribuer se poursuit pendant plusieurs semaines. Le lien pour y accéder est le suivant : www.helloasso.com/associations/les-voice-messengers-association-loi-1901

-La Seine Musicale : www.laseinemusicale.com

-Radio France – Jazz sur le vif : www.maisondelaradio.fr/concerts-jazz

-Salle Gaveau : www.sallegaveau.com

-Cité de la Musique / Philharmonie de Paris : www.philharmoniedeparis.fr

-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com

 

Crédits Photos : Gilles Coquempot © L’Anachorète du Grand Désert – Bobo Stenson Trio © Catarina Di Perri / ECM Records – Thierry Lalo © Jean-Louis Blérol.

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commentaires

B
Merci de souligner le départ à la retraite de Gilles Coquempot qui restera pour moi un ami et mon meilleur dictionnaire du jazz. J'ai tout découvert avec lui. Ma discothèque lui doit tout et elle est, aujourd'hui, impressionnante.<br /> Il m'a fait apprécier ces "seconds couteaux" qui font la véritable histoire du Jazz. De Booker Ervin à Elmo Hope, il m'a tout appris avec une humanité touchante. A bientôt Gilou autour d'un verre de Saint Véran !
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