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24 janvier 2019 4 24 /01 /janvier /2019 09:46
THE BARLOYD’S SESSIONS

“At Barloyd’s” (Jazz&People / Pias)

Coffret de 9 CD(s) réunissant 9 pianistes et quelques invités.

 

Le dénominateur commun de ces neuf enregistrements est le piano de concert à partir duquel ils ont été réalisés, un magnifique Steinway D longtemps abandonné à son sort au fond d’un hangar. Accordeur réputé, Bastien Herbin, le frère de Baptiste, le saxophoniste, l’acquit et le restaura patiemment, redonnant vie à l'instrument maltraité. Une fois réglé, ce piano avait besoin d’être joué pour à nouveau chanter, gronder, crier, pleurer faire pleinement battre son cœur remis à neuf.

 

L’instrument fut donc déposé dans le salon de l’appartement que Laurent Courthaliac alias Barloyd habite près de la République. Outre l’assurance que l’occupant des lieux allait beaucoup en jouer, Bastien Herbin savait aussi que d’autres pianistes parisiens allaient être tentés d’y poser leurs doigts, de faire fonctionner ses mécaniques. Partant de là, pourquoi ne pas en profiter pour les enregistrer ? Un studio mobile fut donc installé chez Barloyd par Julien Bassères, l’un des ingénieurs du son du studio de Meudon, chaque pianiste ne disposant que d’une seule journée pour jouer la musique de son choix, seul ou accompagné par un complice, un saxophoniste ou un bassiste dialoguant parfois avec lui. Neuf d’entre eux sont donc aujourd’hui réunis dans cet élégant coffret. Olivier Linden en a réalisé la maquette et Laurent Castanet les photos, des images en couleur de la capitale.

Tous reprennent des standards, des thèmes empruntés à des comédies musicales de Broadway et des compositions de jazzmen devenues fameuses. Thelonious Monk est ici le musicien le plus joué. Cinq de nos neuf pianistes jouent ses morceaux, Ask Me Know faisant l’objet de deux versions. Bien que diversifié, ce matériel thématique atteste leur attachement à un genre musical qui outre une grammaire et un vocabulaire spécifique, possède aussi une longue histoire. Le jazz, Franck Amsallem, Vincent Bourgeyx, Pierre Christophe, Laurent Coq l’ont d’ailleurs étudié et vécu en Amérique. Féru de be-bop, Laurent Courthaliac a été l’élève de Barry Harris et Pierre Christophe celui de Jaki Byard. Alain Jean-Marie, le vétéran de ces pianistes, a accompagné et enregistré avec de grands musiciens américains et le trio de Fred Nardin, le benjamin, comprend le contrebassiste israélien Or Barket et le batteur américain Leon Parker.

 

Plus de la moitié du CD de Laurent Coq et la presque totalité de celui de Pierre De Bethmann sont des compositions originales. La seule reprise de ce dernier, Ambleside est un morceau que John Taylor jouait souvent et qu’il a plusieurs fois enregistré. Tous les autres sont de Pierre. Leur complexité ne les empêche nullement d’être accessibles. Attends et son balancement, son thème étrange et insaisissable, est même très séduisant. S’y ajoutent trois Barloydesque(s), trois courtes improvisations. Pour être savante, la musique de Pierre est moins imprégnée de blues, des racines de la musique afro-américaine. On est plus proche de la musique classique européenne, mais le savoir-faire est évident et la technique considérable. Contrairement aux standards qui apportent des repères, une base mélodique sur laquelle l’auditeur peut s’appuyer, cette musique, fort intrigante au demeurant, demande une écoute attentive.

 

Pierre Christophe n'a pas la même démarche. Il n’est pas ici le compositeur inspiré de “Valparaiso” un disque Black & Blue entièrement consacré à ses compositions, mais l’humble et talentueux serviteur d’un répertoire dont il conserve et transmet la mémoire. Parfois accompagné par Olivier Zanot au saxophone alto, il est le seul pianiste de ce coffret qui délaisse ses œuvres au profil de celles des autres. Avec une seule composition personnelle, Laurent Courthaliac fait de même. Homme de culture, il apprécie les chansons inusables du « Great American Song Book », nombreuses dans un album qu’il partage avec Clovis Nicolas, présent à la contrebasse sur trois plages. Alain Jean-Marie aussi ne joue que des standards. Enfin, presque, car il reprend un morceau de Baptiste Herbin qui joue abondamment du saxophone alto dans son disque. Alain s’est toutefois réservé Lament (J.J. Johnson) et Drop Me Off in Harlem (Duke Ellington), deux thèmes dans lesquels il n’est plus l’accompagnateur dévoué du saxophoniste, mais un maître du piano.

 

Franck Amsallem et Fred Nardin jouent également peu leurs compositions. Franck chante sur Young and Foolish et Young at Heart mais c’est ici le pianiste qui impressionne. Son Bud Will Be Back Shortly, l’un des deux thèmes qu’il a écrit, est d’une rare élégance harmonique. Plus jeune, Fred Nardin a moins d’expérience mais est tout aussi talentueux. Ses reprises, il va les chercher chez des musiciens de jazz reconnus, John Coltrane, Thelonious Monk, Ornette Coleman, Duke Pearson et plus près de nous Eric Reed. “Opening” (Jazz Family) le premier disque qu’il a publié sous son seul nom, abrite Hope et Travel to, deux morceaux qu’il a écrits. Sa nouvelle version de Hope, en solo, est très réussie. Pour l'accompagner, Fred fait parfois appel à un bassiste, Samuel Hubert.  

 

Vincent Bourgeyx procède pareillement dans l’album qui lui est consacré. Son interlocuteur à la contrebasse est Pierre Boussaguet avec lequel il a enregistré “Hip”, l’un de mes treize Choc de 2012. “Short Trip”, son disque le plus récent pour Fresh Sound New Talent, contient Abbey et When She Sleeps, deux des trois thèmes qu’il a composés et qu’il reprend ici. Associant Kurt Weill et Ira Gershwin, This is New y figure aussi. Sa nouvelle version de When She Sleeps est beaucoup plus développée, plus lyrique que la précédente. Contrairement à ce qu'indique la pochette, Vincent l’interprète en solo.

 

Grand technicien du piano, Manuel Rocheman joue avec autant de bonheur des standards du bop, des classiques de Broadway que ses propres compositions – Promenade et Heart to Heart que contient “MisTeRIO” (Bonsaï), son plus récent album. Depuis sa découverte tardive de Bill Evans, Manuel tempère toutefois sa virtuosité et laisse davantage respirer les belles lignes mélodiques de sa musique. Le disque qu’il lui a consacré en trio en 2010, “The Touch of your Lips” (Naïve), contient d’ailleurs La valse des chipirons. Autre reprises, You Must Believe in Spring de Michel Legrand qui donne son titre à un album posthume de Bill Evans et B Minor Waltz, une des célèbres compositions de ce dernier.

 

Ils seront tous au Sunside en février, Pierre De Bethmann, Vincent Bourgeyx, Pierre Christophe et Laurent Coq le 8, Franck Amsallem, Alain Jean-Marie, Fred Nardin, et Manuel Rocheman le 9. Maître de cérémonie, Laurent Courthaliac sera présent aux deux concerts. 

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