Rendez-vous médiatique et jazzistique incontournable que préside et orchestre François Lacharme depuis 2005, la traditionnelle remise des prix de l'Académie du Jazz* s’est tenue pour la première fois le 9 février dans l’auditorium de La Seine Musicale. Une cérémonie ouverte au public, l’Académie ayant choisi de la coupler à un concert hommage au pianiste Michel Petrucciani, décédé il y a vingt ans le 6 janvier 1999. Le palmarès 2018 vous a été dévoilé lors de cette soirée. Les médias en ont fait largement écho et il est visible sur le site de l’Académie depuis plusieurs jours. Vous le trouverez également bien complet à la fin de cet article privilégiant le visuel. Attardez-vous sur les photos de mon carrousel jazzistique, sur ces instantanés pris la veille pendant les répétitions et en coulisses avant et pendant le concert. Le compte-rendu de ce dernier sera très prochainement dans le blogdeChoc. Avec des photos de « l’after » qui se déroula au Nubia, le club de jazz de Richard Bona, sous le patronage du Conseil des Vins de Saint-Émilion. Vous y reconnaitrez sans doute des visages familiers, le vôtre peut-être. Le petit monde du jazz s'y montre dans sa diversité.
*Le collège électoral qui le décerne comprend une soixantaine d’académiciens, des journalistes essentiellement. Les membres des sociétés civiles et les gens du « métier » (producteurs, attaché(e)s de presse, éditeurs, agents artistiques) n’y sont pas admis, disques et musiciens étant ainsi récompensés en toute indépendance.
C’est dans un auditorium presque plein – quelques invités institutionnels avaient oublié de venir, laissant ainsi des places vides – que François Lacharme, incarnation de l'éclatante vitalité de l'Académie, prit la parole pour remercier La Seine Musicale, saluer le public, les personnalités et les musiciens présents.
Décerné à Youssef Daoudi pour “Monk !”, un épais roman graphique publié par Les Éditions Martin de Halleux, le Prix du livre de Jazz fut remis en mains propres à son auteur, grand amateur de jazz et du génial pianiste dont certains épisodes de la vie nous sont ici contés. Bénéficiant de savants cadrages, d’une mise en page subtile et aérée, les dessins de Daoudi font entendre comme par magie la musique de Thelonious Monk et de ses amis boppers, ses compagnons de route. En quelques traits de plume, Monk reprend vie devant nos yeux et fait chanter son inimitable piano. Ce bouquin en trois couleurs est une vraie réussite.
On est content pour Fabien Mary, souvent finaliste du Prix Django Reinhardt, mais heureux récipiendaire en 2018 du Prix du Disque Français pour son album “Left Arm Blues (And Other New York Stories)” un opus en octet du label participatif Jazz&People. Huit nouvelles compositions inspirées par les pérégrinations new-yorkaises du trompettiste qui les imagina puis les arrangea après une mauvaise chute. Un disque made in France aux couleurs du bop et du blues qui pourrait être américain. Avec Hugo Lippi (guitare), Sylvain Romano (contrebasse) et Mourad Benhamou (batterie), Fabien Mary interpréta La Mesha, une ballade célèbre de Kenny Dorham.
Le Prix du Musicien Européen échut au tromboniste Samuel Blaser. C’est la seconde année consécutive que la Suisse est à l’honneur avec ce prix, la chanteuse Susanne Abbuehl l’ayant obtenu l’an dernier. Un prix remis par Son Excellence Monsieur Bernardino Regazzoni, ambassadeur de Suisse en France (et prochainement en Chine). Installé à Berlin, Samuel Blaser est l’auteur d’un corpus d’œuvres au sein desquelles les noms d’Oliver Lake, de Wallace Roney, Paul Motian, Russ Lossing, Thomas Morgan, Drew Gress, Gerald Cleaver sont familiers aux amateurs de jazz. Sans mollir, il nous offrit en solo une version pour le moins singulière de Creole Love Call, le thème de Duke Ellington donnant lieu à une sorte conversation entre deux personnages, le trombone, parfois avec sourdine, assurant les deux voix, glissandos et effets de growl nourrissant une improvisation audacieuse.
L’attribution du Prix de la Meilleure Réédition à “The Savory Collection 1935-1940”, un coffret Mosaïc d'enregistrements radiophoniques de Bill Savory consacrés à Lionel Hampton, Count Basie, Coleman Hawkins, Herschel Evans et Lester Young fut une surprise. On attendait “Both Directions at Once, The Lost Album” de John Coltrane ou “Long Ago and Far Away” de Charlie Haden et Brad Mehldau sur la plus haute marche du podium – ce prix récompense également des inédits. La commission préféra saluer le travail de Michael Cuscuna, maître d’œuvre de cette réédition Mosaïc.
Je partage avec d’autres l’idée que 2018 n’a pas été une grande année pour le Jazz Vocal. En absence de grands enregistrements et bien que “Melodic Canvas” soit le meilleur disque de la chanteuse Robin McKelle, le chanteur Kurt Elling, déjà récompensé par l’Académie en 1997 pour son album “The Messenger” (Blue Note), obtint le prix pour “The Question”, un disque du label Okeh. En son absence, c’est un autre finaliste, Allan Harris, un artiste « indéfectiblement lié à la scène new-yorkaise » qui fit acte de présence. Avec Laurent Coulondre au piano, il interpréta Memphis, un blues, un extrait de son album hommage au chanteur Eddie Jefferson inventeur des « vocalese ».
On regretta l'indisponibilité du pianiste Kenny Barron récipiendaire du Grand Prix de l’Académie pour son album “Concentric Circles” sur Blue Note. Un prix saluant la carrière exemplaire d’un musicien qui, outre des disques très réussis sous son nom, fut le dernier accompagnateur de Stan Getz et l’un des co-leaders de Sphere, l’un des groupes phares des années 80. François Lacharme en profita pour saluer Jean-Philippe Allard, qui produisit les derniers enregistrements de Getz avec le pianiste – le coffret “People Time” sur Verve, récompensé par l’Académie du Jazz en 2009 –, et quelques grands albums de Barron sur Impulse !
Confié à une commission, le Prix du Jazz Classique, fut attribué au groupe Les Rois du Fox-Trot pour leur “Hommage à Duke Ellington” (Ahead) devant “Beat” (Stunt Records), un album éblouissant du batteur danois Snorre Kirk, également finaliste du Grand Prix de l’Académie. En duo avec Sylvain Romano à la contrebasse, le saxophoniste Nicolas Montier, l’un de nos rois couronnés du fox-trot, nous offrit une version lyrique de Gone With the Wind, un standard de 1937 qu'il qualifia avec humour de « morceau normalement très joli ».
Pour remettre le prix phare de cette soirée, le très convoité Prix Django Reinhardt doté de 3000 euros grâce à la générosité de la Fondation BNP Paribas, premier sponsor de l’Académie, François Lacharme appela sur scène Jean-Jacques Goron, Délégué Général de la Fondation. Le prix fut attribué au saxophoniste Baptiste Herbin, 31 ans, un musicien originaire de Chartres, un habitué des jam-sessions parisiennes dont le premier disque “Brother Stoon” (Just Looking Productions) date de 2012. Baptiste est souvent au Brésil dont il adore les musiques. Il compte y enregistrer son prochain album en juin. À l’occasion de la remise de son prix, accompagné par le pianiste brésilien Leonardo Montana, Sylvain Romano à la contrebasse et Aldo Romano à la batterie, il interpréta Elsa M, une composition d’Aldo traité à la manière d’un choro brésilien.
Viendra-t-il ? C’est la question que se posaient les membres du Bureau de l’Académie du Jazz quelques jours avant cette remise de prix à propos de Martial Solal, Prix Django Reinhardt en 1955 et Président d’honneur de l’Académie. L’illustre pianiste qui avait donné un éblouissant concert en solo Salle Gaveau quelques jours plus tôt, un exercice pour le moins fatigant au regard de ses 91 ans, déclara forfait. Dommage, car lors de sa dernière assemblée générale, l’Académie avait décidé de l’honorer en lui offrant un trophée pour l’ensemble de son œuvre. Martial ayant beaucoup d’humour, le Prix du Jeune Talent s’imposait.
LE PALMARÈS 2018
Prix Django Reinhardt :
BAPTISTE HERBIN
Grand Prix de l’Académie du Jazz :
KENNY BARRON QUINTET « Concentric Circles »
(Blue Note / Universal)
Prix du Disque Français :
FABIEN MARY « Left Arm Blues (And Other New York Stories) »
(Jazz&People / Pias)
Prix du Musicien Européen :
SAMUEL BLASER
Prix de la Meilleure Réédition :
THE SAVORY COLLECTION 1935-1940
(Mosaïc Records)
Prix du Jazz Classique :
LES ROIS DU FOX-TROT « Hommage à Duke Ellington »
(Ahead / Socadisc)
Prix du Jazz Vocal :
KURT ELLING « The Question »
(Okeh / Sony Music)
Prix Soul :
THEO LAWRENCE & THE HEARTS « Homemade Lemonade »
(BMG / Warner)
Prix Blues :
WALTER “WOLFMAN” WASHINGTON « My Future Is My Past »
(Anti- / Pias)
Prix du Livre de Jazz :
YOUSSEF DAOUDI « Monk ! »
(Les Éditions Martin de Halleux)
Prix Spécial de l’Académie du Jazz :
MARTIAL SOLAL, pour l’ensemble de son œuvre
...............BEFORE & BACKSTAGE.............
Photos © Antoine Piéchaud, sauf Allan Harris, François Lacharme & les lauréats de l'Académie © Pierre de Chocqueuse.
Photos carrousel © Pierre de Chocqueuse, sauf :
Aldo Romano & Joe Lovano / Alexandre Petrucciani & Franck Avitabile / Pierre de Chocqueuse & Aldo Romano, © Francis Capeau
Laurent Coulondre & Allan Harris / François Lacharme avec brosse à dents / Flavio Boltro / Alexandre Petrucciani & François Lacharme / photo de groupe (Aldo Romano, Leonardo Montana, Alexandre Petrucciani...) / Joe Lovano & François Lacharme / Franck Avitabile au piano / Philippe Petrucciani / Aldo Romano lecteur © Antoine Piéchaud