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5 février 2019 2 05 /02 /février /2019 09:02
Michel, tout simplement

À la tête du Studio Recall dont il est aussi l’ingénieur du son, Philippe Gaillot, un bon ami, m’en parla le premier. Se rendant à un concert de jazz à Montpellier dans les années 70 – un trio inconnu occupait la scène –, il avait été frappé par l’énergie et la maturité du pianiste, un petit bonhomme haut comme trois pommes qui, doté de mains immenses, ne jouait pas comme les autres. Plusieurs années s’écoulèrent avant que je ne fasse sa connaissance en 1981. Après un premier disque pour EPM, un label confidentiel, Michel Petrucciani venait d’enregistrer en trio le premier des six albums que Jean-Jacques Pussiau allait bientôt produire pour OWL, son label. Certains d’entre eux comptent parmi les plus belles réussites de Michel.  

 

Chef de publicité du mensuel Jazz Hot, je m’étais lié d’amitié avec Jean-Jacques et me rendais fréquemment à son bureau, rue Liancourt, bureau qu’il partageait avec Geneviève Peyregne. J’y croisais des musiciens, Aldo Romano et Eric Watson, le plus souvent, Ran Blake lorsqu’il se rendait à Paris. Quand cela lui était possible, Jean-Jacques me faisait écouter le test pressing du prochain disque qu’il allait sortir et attendait mes commentaires. La vingt-cinquième référence de son catalogue, le OWL 025, était celui de Michel dont le visage poupin, photographié par Gilles Ehrmann et mis en valeur par la maquette de Bernard Amiard, intriguait. Quant à la musique, elle fut pour moi un véritable choc. Entre force et délicatesse, vélocité et romantisme, ce piano ne pouvait que me plaire.

 

Rue Liancourt, Jean-Jacques me fit donc entendre la plupart des disques de Michel, mais jamais en sa présence. “Toot Sweet”, son duo avec Lee Konitz, fut une source d’émerveillement ainsi que “Oracle’s Destiny”, son opus en solo que je préfère. Jean-Jacques m’avait bien sûr présenté Michel et avant qu’il ne s’installe en Californie, à Big Sur, il nous arrivait parfois de déjeuner ensemble. Aldo qui le portait lors de ses déplacements était souvent là lui-aussi ainsi que Geneviève qui s’occupait de ses concerts. J’ai oublié la plupart de nos conversations pleines de musique, mais je garde en mémoire le timbre de sa voix juvénile. Michel avait son franc parler, était direct dans ses propos. Il avait ses têtes et n’était pas toujours commode. Les journalistes incompétents en prenaient pour leur grade.

 

Ces deux photos prises par Jean-Marc Birraux lors d’un Grand Échiquier sont un peu plus tardives. Elles datent d’octobre 1985. Michel avait signé avec le légendaire label Blue Note et sa notoriété de pianiste s’était répandue partout. Sur la première, Jacques Chancel et Jean-Jacques Pussiau à gauche, Eugenia Morrison, son amie du moment (un morceau de “Note’n Notes” s’intitule Eugenia), Geneviève Peyregne et BHL à droite n’ont d’yeux que pour lui. Je l’ai peu fréquenté à cette époque. Michel voyageait, passait beaucoup de temps en Amérique. Le vaste monde serait bientôt son terrain de jeu.

 

C’est en me rendant au festival de jazz de Montréal, en juillet 1989, que l’occasion de le revoir se présenta. Michel venait de sortir “Music”, un disque plus commercial dans lequel il intègre des instruments électriques dans sa musique. Je pris le temps de le saluer après son concert, lui confiant que son album me plaisait. Comment ne pas aimer Looking Up, le morceau plein de fraîcheur par lequel il débute ? La même année, en septembre, Michel se produisit près de Rouen au festival de Blainville-Crevon. Jérôme Bénet, son maître d’œuvre, me demanda de présenter le concert. Je ne me souviens pas de la musique, mais garde en mémoire cette journée, celle de ma rencontre avec Bénédicte que j’allais épouser quelques mois plus tard. D’autres concerts de Michel nous réunirent dont celui, remarquable, qu’il donna en solo au Théâtre des Champs-Elysées en 1994. Il avait alors signé avec Francis Dreyfus, un homme d’affaires habile qui ne lui fera pas faire que de bons disques, mais le fit connaître auprès d’un vaste public ignorant tout du jazz. Michel s’éteindra célèbre à New York le 6 janvier 1999 à l’âge de trente-sept ans. 

 

Le 9 février, dans le cadre de sa traditionnelle remise de prix, l’Académie du Jazz lui rendra hommage à La Seine Musicale. Ses amis, mais aussi des musiciens qui jouèrent et enregistrèrent avec lui, tous témoins de ces années déjà lointaines au cours desquelles Michel était encore avec nous, s’y sont donnés rendez-vous. Vous en saurez davantage en parcourant la notice de mes « concerts qui interpellent » consacrée à un  événement qui, pour moi, réveille bien des souvenirs. Michel, ce drôle de petit homme qui faisait de si grands disques et jouait un si beau piano, méritait bien cet édito un peu long. 

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT

 

-Hailey Tuck au New Morning le 7 février. Enregistré à Los Angeles et produit par Larry Klein (Melody Gardot, Madeleine Peyroux), “Junk” (Silvertone / Sony Music), l'album que la chanteuse a publié l'an dernier, contient des chansons de Leonard Cohen, Ray Davis, Joni Mitchell, Paul McCartney, Last in Line, sa seule composition, s’intégrant parfaitement au répertoire d'un disque mêlant habilement le jazz et le folk. Née à Austin et installée à Paris, Hailey Tuck possède un grain de voix particulier. On pense à Madeleine Peyroux, mais aussi à Blossom Dearie à l'écoute de sa belle version de Some Other Time.

-Pierrick Pédron (saxophone alto) et le pianiste japonais Yutaka Shiina au Duc des Lombards le 7 et le 8 (deux concerts, 19h30 et 21h30). Sous la houlette de ce dernier, est né à Tokyo en mai 2018 le Yutaka Shiina Tokyo-Paris-Rome-New York Connection. Outre Pierrick, il comprend un autre poids lourd du saxophone, le ténor italien Max Ionata, Thomas Bramerie à la contrebasse et Junji Hirose à la batterie constituant la section rythmique de la formation. Né en 1964, pianiste du quartette de Roy Hargrove en 1990, Yutaka Shiina a enregistré plusieurs albums en trio sous son nom pour BMG. “United” (1998) réunit Christian McBride à la contrebasse et Clarence Penn à la batterie.

-“At Barloyd’s” (Jazz&People) est un coffret de neuf CD(s) réunissant neuf pianistes et quelques invités autour d’un Steinway D installé dans l’appartement parisien de Laurent Courthaliac, alias Barloyd. L’un des ingénieurs du son du studio de Meudon y posa ses micros, enregistrant nos musiciens qui n’eurent chacun qu’une seule journée pour jouer la musique de leur choix. Deux soirées leur sont réservées au Sunside pour fêter en public la sortie de ces neuf disques. Le 8, Vincent Bourgeyx, Pierre De Bethmann, Pierre Christophe et Laurent Coq se relaieront au piano. Franck Amsallem, Alain Jean-Marie, Fred Nardin et Manuel Rocheman prendront la relève le 9. En tant que maître de cérémonie, Laurent Courthaliac sera présent à ces deux concerts.

-Le 9, l’Académie du Jazz remettra ses prix pour l’année 2018 dans l’auditorium de La Seine Musicale. Cette soirée qui débutera à 20h00 sera aussi un concert-hommage au pianiste Michel Petrucciani disparu il y a vingt ans en janvier 1999. Je vous en ai communiqué le programme début décembre, vous annonçant que Franck Avitabile, Flavio Boltro, Laurent Coulondre, Géraldine Laurent, Joe Lovano, Philippe Petrucciani, Géraud Portal, Lucienne Renaudin Vary, Aldo Romano, Jacky Terrasson et Lenny White participeront à l'évènement. Les lauréats de l’Académie du jazz qui se produiront en première partie de programme ne vous seront révélés que ce soir-là. Prévoyant, vous avez déjà acheté votre place, car ce concert, d’ores et déjà historique, affiche bien sûr complet.

-Accompagné par les musiciens de son trio – Yoni Zelnick à la contrebasse et Donald Kontomanou à la batterie – le pianiste Yonathan Avishai présentera son nouveau disque au studio de l’Ermitage le 20 février. “Joys and Solitudes” dont vous pourrez lire ma chronique dans le nouveau numéro de Jazz Magazine (Choc) est le premier qu’il enregistre sous son nom pour ECM après deux albums pour le label Jazz & People, “The Parade”, un de mes treize Chocs de l’année 2016, révélant aussi un compositeur habile et un brillant orchestrateur. “Joys and Solitudes” est tout aussi enthousiasmant. Membre du quartette du trompettiste Avishai Cohen avec lequel il prépare un album en duo, Yonathan Avishai confirme sa place au sein du peloton de tête des pianistes de jazz.

-Le 25 à 20h30, la salle Pierre Boulez de la Philharmonie accueille Brad Meldhau et le ténor anglais Ian Bostridge, grand interprète des lieder de Franz Schubert. Appréciant beaucoup la musique allemande et vouant lui aussi un culte à Schubert, le pianiste a consacré l’an dernier un disque à Bach et joue parfois en concert des intermezzi de Brahms. “Dichterliebe” (Les amours du poète), cycle de 16 lieder que Robert Schumann composa en 1840 sur des poèmes de l’écrivain Heinrich Heine, et un cycle de mélodies pour voix et piano composées par Brad Mehldau qui en a choisi tous les textes, seront au programme de ce concert, première date d’une tournée qui passera par Barcelone, Hambourg, Londres, Luxembourg et Berlin.

-Geoffrey Keezer au Duc des Lombards les 26 et 27 (deux concerts par soir, à 19h30 et 21h30). Génial mais imprévisible, le pianiste déconcerte ses admirateurs par l’originalité et la variété de ses projets. Il se passionne pour toutes sortes de musiques et ses disques peu nombreux et mal distribués, témoignent de son éclectisme culturel. Une composition de Duke Ellington peut y rencontrer un prélude de Bach, un des thèmes du film “Le Seigneur des Anneaux”, des musiques d’Hawaii, d’Okinawa, de Java et du Japon, Keezer jouant tout aussi bien du vibraphone, du marimba que du piano. C’est sur ce dernier instrument qu’il a enregistré en 2011 à San Diego “Heart of the Piano” (Motéma)  son plus bel opus en solo. Richie Goods (contrebasse), Jon Wikan (batterie) et la chanteuse Gillian Margot seront avec lui sur la scène du Duc pour interpréter le répertoire éclectique de “On My Way To You” (MarKeez Records), un album de 2018, son plus récent enregistrement.

-New Morning : www.newmorning.com

-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com

-La Seine Musicale : www.laseinemusicale.com

-Studio de l’Ermitage : www.studio-ermitage.com

-Cité de la Musique / Philharmonie de Paris : www.philharmoniedeparis.fr

 

Crédits Photos : Michel Petrucciani au Grand Échiquier © Jean-Marc Birraux – Hailey Tuck © Rocky Schenck – Pierrick Pédron © Philippe Marchin – Donald Kontomanou, Yoni Zelnik & Jonathan Avishai © Caterina di Perri / ECM – Ian Bostridge © Sim Canetty-Clark – Brad Mehldau © Michael Wilson – Geoffrey Keezer & Gillian Margot © Photo X/D.R.

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