Deux nouveautés NEUKLAND, label des Studios Bauer (Ludwigsburg) à ne pas laisser passer. J’émets quelques réserves sur l’opus de Jean-Christophe Cholet et de Matthieu Michel, le prolongement de “Whispers” publié en 2016, ne pouvant éviter de comparer les deux disques. Associés au batteur Arnaud Biscay, Rémi Dumoulin et Bruno Ruder ne commettent pas la même erreur. Leur “Das Rainer Trio” ne cherche nullement à reproduire en studio la musique de “Gravitational Waves”, leur album précédent enregistré en public, et c’est tant mieux.
Jean-Christophe CHOLET / Matthieu MICHEL : “Extended Whispers”
(Neuklang / Pias)
La sortie en 2016 de “Whispers”, l’un des plus beaux disques de jazz de chambre européen de ces dernières années, fut saluée dans ce blog par une chronique enthousiaste. J’attendais donc beaucoup de cet “Extended Whispers” qui réunit une nouvelle fois autour de Jean-Christophe Cholet (piano) et de Matthieu Michel (trompette et bugle), Didier Ithursarry à l’accordéon et Ramon Lopez à la batterie, Heiri Känzi les rejoignant dans cet album à la contrebasse. Une bonne idée ? Oui lorsque l’instrument se fait mélodique. Non lorsqu’il apporte des barres de mesures à une musique qui n’en a pas vraiment besoin. Car nantie de rythmes plus marqués que suggérés, cette dernière perd de sa magie, se fait moins intime et aérienne. Ramon Lopez n’est d’ailleurs pas un batteur comme les autres. Il la colore, la laisse respirer sans jamais l’enfermer. Yeong Gam, une conversation entre son instrument et le piano est à cet égard exemplaire.
Enregistré à Winterthur et mixé à Ludwigsburg par des ingénieurs du son différents, “Extended Whispers” souffre pourtant d’être comparé à “Whispers”, un disque coproduit et enregistré à La Buissonne par Gérard de Haro qui en a également assuré la direction artistique. Dans le nouvel album les instruments manquent parfois de relief et ne sonnent pas toujours aussi bien. Dommage que l’accordéon y occupe une fonction trop décorative et que Politics, une pièce agressive et brouillonne, très différente des autres, fasse partie de cet album. Malgré ces réserves, plusieurs plages gardent un fort pouvoir de séduction. Yeong Gam dont j’ai déjà parlé, Relax and Easy, un morceau dans lequel la contrebasse chante presque autant que le bugle, Mondstein et Choral 2 que Jean-Christophe Cholet et Matthieu Michel se partagent, en sont les moments féériques.
Rémi DUMOULIN / Bruno RUDER / Arnaud BISCAY : “Das Rainer Trio”
(Neuklang / Pias)
Après “Gravitational Waves” enregistré en quintette lors d’une résidence à l’Amphi Opéra de Lyon, Bruno Ruder et Rémi Dumoulin changent de musique et de formation. Aymeric Avice, Guido Zorn et Billy Hart lui ont dit adieu et c’est en trio, dans les studios Bauer de Ludwigsburg, Arnaud Biscay remplaçant Hart à la batterie, que se poursuit l’aventure. Le jazz ouvert et expérimental du disque précédent se voit ainsi remplacé par une musique plus écrite, par des morceaux lyriques bénéficiant d’une orchestration très fouillée. Les claviers électriques de Bruno Ruder créent un environnement sonore très riche, le pianiste parvenant à orchestrer à lui seul la musique, à l’envelopper de sonorités fascinantes. Sur cette trame harmonique onirique évolue le chant du saxophone de Rémi Dumoulin qui improvise sur de vraies mélodies, tient un discours fluide, Arnaud Biscay assurant les rythmes avec souplesse.
Déjà enregistré (“Gravitational Waves” en contient une version) et repris sur un tempo plus rapide, Rainer Werner Fassbinder, un thème de Rémi Dumoulin qui signe toutes les compositions originales de l’album, ne manque pas de tonus, le trio n’hésitant pas à hausser le ton lorsque la musique s’y prête. Deux standards et une pièce du répertoire classique qui, juste retour des choses, inspire aujourd’hui le jazz européen, complètent cet opus. Écrit par Michel Legrand, Will Someone Ever Look At Me That Way est l’une des chansons de “Yentl” un film que Barbra Streisand coproduisit et réalisa en 1983. Avec ses habits neufs, Chelsea Bridge, l’une des plus célèbres compositions de Billy Strayhorn, rajeunit de plusieurs années. La reprise de l’un des thèmes de la 6ème symphonie de Sergueï Prokofiev est plus inhabituelle. Écrite entre 1945 et 1947, l’œuvre comprend trois mouvements. Adaptée par Rémi Dumoulin, l’une de ses mélodies inspire avec bonheur le trio. Je vous laisse le soin de reconnaître laquelle.
Jean-Christophe Cholet / Matthieu Michel Quintet © photo X/D.R.