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2 décembre 2019 1 02 /12 /décembre /2019 09:16
ECM : 50 ans d'excellence

1969 : Contrebassiste dans l’orchestre philharmonique de Berlin que dirige alors Herbert von Karajan mais aussi dans le trio de free jazz que dirige Joe Viera, saxophoniste aujourd’hui oublié, Manfred Eicher a quitté Berlin pour Munich. Mal Waldron y habite et se produit dans les clubs de la ville. Associé à Karl Egger, un homme d’affaires qui souhaite comme lui se lancer dans la production de disques, il crée ECM (Edition of Contemporary Music) et enregistre le pianiste en trio le 24 novembre au Tonstudio Bauer de Ludwigsburg. Le titre de l’album : “Free At Last”. Un grand label vient de naître.

 

Fasciné par le piano de Paul Bley, l’album “Now He Sings, Now He Sobs” de Chick Corea, le jazz très libre de Marion Brown et la sonorité de saxophone de Jan Garbarek qu’il a entendue au sein de l’orchestre de George Russell, Manfred Eicher les contacte. Avec quelques autres, ils vont devenir les premiers artistes de son catalogue. Si la plupart d’entre eux sont américains, la culture musicale de Manfred Eicher est largement européenne. La musique de chambre l’a toujours attiré. Rendre le plus perceptible possible la dynamique des instruments, leurs timbres, leurs harmoniques sera son esthétique. Il écrit à Keith Jarrett qui accepte le projet en solo qu’il lui propose. Ce sera “Facing You”, un disque important dans l’histoire du piano jazz. Jarrett l’enregistre à Oslo le 10 novembre 1971,  plus de trois ans avant le “Köln Concert” (24 janvier 1975) qui va lui apporter la gloire.

 

Lorsque je découvre ECM dans les années 70 avec des disques en solo de Chick Corea et de Keith Jarrett, le catalogue s’est déjà beaucoup étoffé. Il abrite alors le premier disque de Return to Forever, “Open, to Love” de Paul Bley, “Conference of the Birds” de Dave Holland et des albums de Gary Burton, Bobo Stenson, Richard Beirach, Steve Kuhn, Ralph Towner, Terje Rypdal et John Abercrombie. ECM était à l’époque distribué en France par Phonogram. Les bureaux se trouvaient boulevard de l’Hôpital, au numéro 24. Travaillant chez Polydor qui appartenait comme Phonogram au groupe PolyGram, j’y passais tous les mois, le sympathique Jacques Sanjuan me remettant les nouveautés du label. Je garde des souvenirs précis de ma découverte de “Bright Size Life” de Pat Metheny et de “My Song” du quartette européen de Keith Jarrett, un disque dont le titre éponyme reste pour moi l’une des plus belles compositions du pianiste.

 

Diversifiant ses activités musicales, Manfred Eicher crée en 1984 ECM New Series, une division d’ECM consacrée à la musique classique et à la musique contemporaine. Des disques de Steve Reich étaient déjà au catalogue. Au fil du temps, le nouveau label va accueillir des œuvres d’Arvo Pärt (“Tabula Rasa” publié en 1984), Tigran Mansurian, Valentin Silvestrov, Giya Kencheli, Gavin Bryars et Erkki-Sven Tüür, compositeurs dont on doit à Manfred Eicher de connaître les musiques.

 

PolyGram ayant été intégré à Universal Music en 1998, ECM est depuis lors distribué en France par la plus grande des trois majors du disque. Responsable du label de 1992 à 2013, Marie-Claude Nouy a beaucoup travaillé à en faire connaître les artistes. ECM qui vient de fêter son 50ème anniversaire possède aujourd’hui, tous genres confondus, un catalogue de plus de 1600 références – “Munich” de Keith Jarrett qui est paru en novembre en est la 1667ème. Habillés de pochettes à l’esthétique sophistiquée et bénéficiant toujours d’une prise de son très soignée (« le plus beau son après le silence »), les grands disques se bousculent. Publiés dans les années 2000, “Restored, Returned” de Tord Gustavsen, “Wislawa” de Tomasz Stanko, “Lift Every Voice” de Charles Lloyd, “New York Days” d’Enrico Rava, “This Is the Day” de Giovanni Guidi, “Black Orpheus” disque testament du pianiste Masabumi Kikuchi et “Nuit blanche” du Tarkovski Quartet de François Couturier, pour n’en citer que quelques-uns, sont de grandes réussites du jazz moderne. Il y en a d’autres, beaucoup d’autres, sans parler des albums qui n’ont pas encore été enregistrés. La saga ECM ne fait-elle que commencer ?

 

QUELQUES CONCERTS ET QUELQUES DISQUES QUI INTERPELLENT

ECM : 50 ans d'excellence

-Yes ! TrioAaron Goldberg (piano), Omer Avital (contrebasse) et Ali Jackson (batterie) – au New Morning le 3 décembre pour fêter la sortie de “Groove du jour” (Jazz&People), deuxième album d’une formation dont les membres se connaissent depuis vingt-cinq ans. Entre les mains d’Ali Jackson, un simple tambourin suffit parfois à en marquer les temps. Une simplicité rythmique qui n’exclut nullement la sophistication harmonique du matériel thématique. Irriguée par le blues, la musique célèbre le swing et étale les belles couleurs de ses lignes mélodiques. Pianiste virtuose, Aaron Goldberg sait tout aussi bien jouer des notes exquises et délicates. La contrebasse ronde et boisée d’Omer Avital, principal pourvoyeur de thèmes du trio, les chante et leur donne un souple et subtil balancement.

-Thomas Mayeras, ce nom ne me disait rien jusqu’à ce qu’une attachée de presse avisée me fasse parvenir ce disque, son second, qui sort le 6 décembre. J’y découvre un jeune pianiste dont l’impressionnante technique reste constamment au service du swing et du bop. Mayeras ne cherche pas à taire les musiciens qu’il admire et l’inspire, Oscar Peterson, Phineas Newborn, des pianistes aux mains pleines de doigts qui, tout en jouant beaucoup de notes, savent parfaitement les organiser, les faire respirer et chanter. Car derrière ce jazz que l’on peut qualifier aujourd’hui de « classique », c’est bien le blues qui irrigue ces compositions originales rafraichissantes. À peine deux jours de studio ont suffi à les enregistrer. Outre des hommages à Sonny Clark (Dial “T” for Tommy) et à Charlie Parker (Devil’s Care), “Don’t Mention It” (Cristal Records / Sony Music) contient un arrangement très réussi de La Mer de Charles Trenet, un morceau depuis longtemps à son répertoire. Nicola Sabato (contrebasse) et Germain Cornet (batterie), tous les deux épatants, l’accompagnent dans cet album. Le Sunside les accueille le 10 décembre, Alex Gilson (contrebasse) remplaçant Nicola Sabato. Faites-vous donc plaisir.

-Jacky Terrasson le 12 au New Morning. Un « Sunset Hors les Murs » pour accompagner la sortie de “53” (Blue Note), l’un des meilleurs albums d’un pianiste qui, en forme, donne des concerts inoubliables. C’est d‘ailleurs sur scène que Jacky exprime le plus fidèlement son art pianistique, mélange de force et de tendresse, son piano percussif pouvant aussi se faire miel. Quinzième album publié sous son nom, “53” réunit trois trios. Présents sur le disque, Géraud Portal et Lukmil Perez assureront la rythmique. D’autres concerts sont également prévus les 27, 28 et 29 décembre au Sunside (à 19h30 et 22h00 les vendredi 27 et samedi 28 ; 19h00 et 21h30 le dimanche 29). Géraud Portal jouera alors de la basse électrique et Sylvain Romano de la contrebasse.   

-Enrico Pieranunzi à La Seine Musicale le 13 à 20h30. Un concert à marquer d’une pierre blanche. Le Maestro retrouve en effet Marc Johnson à la contrebasse et Joey Baron à la batterie, tous deux membres du trio qui fut le sien à partir des années 80. Le pianiste romain enregistra et tourna beaucoup avec eux. Enregistré en 1986, leur second opus, “Deep Down” (Soul Note) est aujourd’hui un classique pour les amateurs de jazz. Citons aussi “Live in Japan” (Cam Jazz), un double CD enregistré en 2004 qu’Enrico apprécie particulièrement. Ce trio d’une interactivité exceptionnelle, Enrico Pieranunzi en gardait la nostalgie. Bassiste d’Eliane Elias, son épouse, Marc Johnson était depuis plusieurs années indisponible. Les entendre à nouveau jouer ensemble constitue bien un événement.

ECM : 50 ans d'excellence

-Le samedi 14 décembre, entre 14h00 et 24h00, le Triton fête ses vingt ans d’existence avec certains des musiciens qui en ont fait l’histoire (entrée libre). Les citer tous serait fastidieux. Le mieux est de se rendre sur le site du club, mais sachez que vous pourrez écouter en salle 1 : Emmanuel Bex, François Laizeau et Géraldine Laurent (à 15h30), Henri Texier et sa formation (à 16h30), Vincent Courtois, Louis Sclavis et Benjamin Moussay (à 17h30), Sylvain Luc, Michel Portal et Andy Emler (à 18h45) – En salle 2 : Elise Caron et Denis Chouillet (à 14h45), Emmanuel Borghi et Himiko Paganotti (à 15h15), Régis Huby en trio (à 17h15), Didier Malherbe, Loy Ehrlich et Sophia Domancich (à 21h45), Yves Rousseau, Thomas Savy et Sophia Domancich (à 22h15), Michel Benita et Bruno Ruder (à 22h45). De grands moments en perspective !

-Depuis quelques années en décembre, la salle Pleyel accueille You & The Night & The Music, le concert évènement qu’organise chaque année TSF Jazz. Douze artistes ou formations qui ont marqué les douze mois de l’année qui s’achève sont au programme de cette 17ème édition le lundi 16 décembre (20h00), soit 3 heures de musique retransmises en direct sur l’antenne de la radio. L’invité d’honneur est Fred Hersch et l’orchestre de cérémonie le Louis Cole Big Band. Au programme également : Sylvain Luc et Stéphane Belmondo, le trompettiste Théo Croker, le trio du pianiste Eric Legnini, le guitariste Hugo Lippi qui a publié un très bon disque cette année (“Confort Zone” sur le label Gaya), Plume et Géraldine Laurent une des reines du saxophone alto, Laurent Coulondre dont le récent disque consacré à Michel Petrucciani a été unanimement salué par la critique, et l’incontournable Yes ! Trio qui donne quelques jours plus tôt un concert au New Morning. Programme complet sur le site de la radio et sur celui de la salle Pleyel.

-« New Orleans » à la Cité de la musique, salle des concerts, les 18 et 19 décembre (20h30). À l’origine, la musique de la capitale de la Louisiane est souvent une polyphonie à trois voix. La première, celle du cornet, expose le thème. La seconde, confiée à la clarinette, brode des contre-chants, les basses du trombone assurant la troisième. L’instrumentation des Hot Fives de Louis Armstrong (1925 et 1926) comprend aussi un piano et un banjo. Une batterie et un tuba s’ajoutent à celle de son Hot Seven. Tout cela c’était hier car La Nouvelle-Orléans offre depuis quelques années un jazz beaucoup plus contemporain. Sullivan Fortner, le talentueux pianiste de Cécile McLorin Salvant en est originaire. Pour rendre hommage à la musique de sa ville natale, ce dernier a assemblé un septuor franco-américain comprenant Stéphane Belmondo et Kevin Louis (trompettes et bugle), Glenn Ferris (trombone), Jacques Schwarz-Bart (saxophones), Roland Guerin (contrebasse) et Jamison Ross (batterie). Nous en découvrirons ensemble le répertoire.

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT EN JANVIER

 

-Que la mise en sommeil de ce blog en janvier, ne vous empêche pas d’écouter le vendredi 3 au Sunside le quartette de la saxophoniste Géraldine Laurent (avec Paul Lays au piano, Yoni Zelnik à la contrebasse et Donald Kontomanou à la batterie). Même recommandation pour le quartette ASTA (André Ceccarelli (batterie), Sylvain Beuf (saxophones), Thomas Bramerie (contrebasse) et Antonio Faraò (piano), également au Sunside le vendredi 10. J’ai récemment consacré des notices à ces deux formations qui se sont produites en octobre à Paris.

-Double plateau le samedi 18 janvier au Studio 104 de la Maison de la Radio (20h30) : le quartette du bassiste Clovis Nicolas comprenant Steve Fishwick (trompette), Dmitry Baevsky (saxophone alto) et Greg Hutchinson (batterie), suivi de la chanteuse Cécile McLorin Salvant qu’accompagnera le pianiste Sullivan Fortner. Contrebassiste français installé à New York depuis 2002, Clovis Nicolas s’est fait remarqué par ses deux disques publiés sur le label Sunnyside, “Nine Stories” (2014) et “Freedom Suite Ensuite” (2017). Ce dernier est largement consacré à la Freedom Suite de Sonny Rollins. Le saxophoniste l’enregistra en 1958. Quant à Cécile McLorin Salvant, elle se produit désormais sur scène et sur disque avec Sullivan Fortner qui ancre le répertoire varié de la chanteuse dans le blues non sans le moderniser par des lignes mélodiques audacieuses.

-Toujours en janvier, le 27, le saxophoniste Christophe Panzani fête au Studio de l’Ermitage (21h00) la sortie de son album “Les Mauvais tempéraments” (Jazz&People / Pias). Yonathan Avishai, Edouard Ferlet, Leonardo Montana, Tony Paeleman et Eric Legnini qui en sont les pianistes seront présents à la soirée. Eric Legnini excepté, tous jouent dans “Les Âmes perdues”, son opus précédent (un des 13 Chocs 2016 de ce blog), un disque qu’il a imaginé pour ses interprètes, sept pianistes, sept duos piano / saxophone ténor autour de sept de ses compositions.

 

Avec “Les Mauvais tempéraments”, Christophe Panzani s’aventure dans un domaine jamais exploré par les jazzmen. Les « Tempéraments » qu’évoque son titre est un procédé d’accordage des degrés et des intervalles d’une gamme musicale. Celle, tempérée, qui s’est imposée depuis le XIXème siècle étant légèrement fausse par rapport aux résonances naturelles, Christophe Panzani a cherché à retrouver ces rapports naturels qui existent entre les sons. Quatre morceaux de son disque sont interprétés sur des pianos accordés en tempérament Werckmeister III, procédé d’accordage fréquemment utilisé au XVIIème siècle. Ce dernier donne à la musique des sonorités différentes, plus douces, somme toute plus naturelles. Elles conviennent bien à la sensibilité de Christophe, à ses phrases rêveuses, au timbre léger et aérien de son ténor, à la fraîcheur de ses compositions oniriques. Trois de ces quatre morceaux ont également été enregistrés sur des pianos normalement accordés. On écoutera la différence. Nonobstant le fait que les possibilités d’alliage entre le piano et le saxophone ténor se trouvent agrandies, la musique de Christophe Panzani reste d’une grande délicatesse. Un seul ou parfois deux pianistes dialoguent avec lui (à quatre mains ou sur deux pianos) et s’invitent dans un disque pas comme les autres qui interroge et interpelle.

-New Morning : www.newmorning.com

-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com

-La Seine Musicale : www.laseinemusicale.com

-Le Triton : www.letriton.com

-Salle Pleyel : www.sallepleyel.com

-Cité de la Musique / Philharmonie de Paris : www.philharmoniedeparis.fr

-Radio France – Jazz sur le vif : www.maisondelaradio.fr/concerts-jazz

-Studio de l’Ermitage : www.studio-ermitage.com

 

-Crédits photos : Manfred Eicher © Marek Vogel / ECM Records – Yes ! Trio © Jean-Marc Lubrano – Jacky Terrasson © Marc Obin – Sullivan Fortner © Pierre de Chocqueuse – ASTA © Jean-Marc Gallet – Cécile McLorin Salvant © Mark Fitton.

-Illustration (“Les Mauvais tempéraments”) : Ludovic Debeurme

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