Mai 2020. Privé de ses promeneurs, de ses cafés et de ses terrasses, noires de monde en cette période de l’année où le soleil chasse l’hiver et annonce déjà l’été, on peine à reconnaître Paris. L’an dernier, il pleuvait des concerts sur la capitale. En mai 2018, je déplorais que les grands festivals programment si peu de jazz et de jeunes musiciens talentueux. Enfin, il y a trois ans, le 1er mai 2017, cherchant à en découdre avec les forces de l’ordre, quelques centaines d’enragés, cassaient, pillaient et vociféraient devant mes fenêtres.
Aujourd’hui plus personne. Les rues sont vides, les magasins fermés. Les visiteurs sont restés chez eux. Les vendeurs de muguet manquent à l’appel et on offre des fleurs avec mille précautions. Le 15 avril, le Covid-19 nous a enlevé Lee Konitz*. Dans l’incapacité de faire imprimer son numéro 727, Jazz Magazine le propose sous forme numérique à ses lecteurs pour la première fois depuis sa naissance en décembre 1954. Les festivals d’été n’auront pas lieu et comme les bars, les restaurants, les musées et les salles de concert, les clubs de jazz devront malheureusement attendre des jours meilleurs. On se console par l’annonce d’une réouverture probable le 11 mai des librairies et des disquaires. Pour le moment, pour la sécurité de tous, le confinement se poursuit. Le port du masque sera bientôt obligatoire.
Le temps pour moi est passé trop vite. Lire, écrire, écouter de la musique, visionner des films, regarder les programmes d’Arte occupent mes journées. Sans concerts à annoncer, de nouveaux disques à conseiller, les sorties physiques de ces derniers ayant été repoussées, j’ai partagé avec vous en avril ma redécouverte de quelques Blue Note oubliés. La réouverture des disquaires qui vendent encore du jazz conditionnant la reprise des chroniques que j’ai été amené à interrompre**, j’ai commencé la rédaction d’une série d’articles sur le cinéma et le jazz que vous découvrirez ce mois-ci. Trop longue pour être mise en ligne en une seule fois, sa publication s’étalera. Exceptionnellement, des liens vous permettront de visionner les bandes annonces de quelques films que j’ai été amené à revoir. Ayant réécouté leurs musiques, j’y ai redécouvert des pépites, des partitions que j’avais oubliées. Le confinement, cette parenthèse temporelle qui nous est imposée, m’a laissé le loisir de regarder derrière moi, de plonger dans le monde d'hier déjà différent du nôtre mais qui demain peut l’être encore davantage car, avec le Covid-19, rien ne sera plus comme avant.
*Outre ses albums avec Lennie Tristano et Warne Marsh et son “Lee Konitz Meets Jimmy Giuffre” pour Verve en 1959, c’est “Toot Sweet” (Owl) qu’il enregistra à Paris en mai 1982 avec Michel Petrucciani qui me vient à l’esprit lorsque je pense à lui. En 1999, Jean-Jacques Pussiau produira également pour BMG France “Sound of Surprise”, un de ses derniers grands disques.
**Je me refuse à parler de la musique uniquement disponible sur les plateformes de streaming ou vendue sur internet. La fermeture des magasins nous a donné un aperçu de la ville qui risque de devenir celle de demain, une ville dans laquelle, tué par les achats en ligne, le disquaire, comme tant d’autres points de vente, n’existera plus.
Photo X/D.R.