Juillet. Le Sunside*, le Baiser Salé et le Triton ont ouvert leurs portes dans le respect du protocole sanitaire. Le Duc des Lombards** annonce la reprise de ses concerts le vendredi 3. On bouge, on se déplace, mais avec précaution. Heureux de pouvoir à nouveau circuler dans les rues récemment désertées de la capitale, le parisien attablé aux terrasses des cafés profite des beaux jours, du soleil retrouvé. Sous le regard blasé du garçon agile qui virevolte entre les tables pour servir le client, il respire un air pollué par un trop plein de véhicules aux gaz malodorants. Plongé dans la lecture d’un épais bouquin, il n’en est pas incommodé, reste sourd aux voitures qui klaxonnent, aux ambulances qui pinponnent. Son livre lui ouvre les portes d’un monde qui lui fait oublier le sien. Sans quitter la chaise sur laquelle il reste assis, il se promène dans le temps, rencontre des personnages et accompagne leurs aventures.
Ceux du Haut Pays que Jean Giono dépeint dans “Ennemonde et autres caractères” et “L’Iris de Suse” que je viens de relire sont même inoubliables. Giono décrit avec précision leurs physiques, leurs sentiments, leurs caractères bien trempés, mais le lecteur les voit avec ses propres yeux. S’attachant à eux, il appréhende sans pouvoir rien y changer les situations troubles aux dénouements incertains que l’auteur lui impose. Car ce dernier tire les fils d’un récit auquel notre imaginaire participe mais dont il a le dernier mot. L’intrigue d’un livre est parfois mince, mais on se laisse porter par le rythme des phrases, la petite musique enfermée dans ses pages.
Une œuvre littéraire donne parfois de grandes réussites cinématographiques mais il est souvent préférable de lire le livre avant de voir le film. Bien qu’émerveillés par la mise en scène de David Lean, les très nombreux spectateurs du “Docteur Jivago” sont loin d’avoir tous lu le chef-d’œuvre de Boris Pasternak. Son épaisseur a pourtant contraint les scénaristes à tailler dans le récit pour en réduire l’intrigue. La même chose est arrivée au gros roman de John Steinbeck “À l’Est d’Éden” qu’Elia Kazan adapta à l’écran en 1955. Confiant le rôle principal à un James Dean inexpressif, et ne gardant que la dernière partie de l’ouvrage, Kazan a réduit cette grande fresque familiale à un simple psychodrame et trahit l’écrivain. S’il peut lui servir de support et, par son succès, le rendre populaire, un film ne peut se substituer à un livre dont l’auteur raconte lui-même l’histoire. En parcourant ses pages c’est sa voix même que l’on entend. La beauté de sa langue, son parler imagé, sa poésie, y sont conservés intacts.
On peut très bien rester chez soi avec un livre, mais juillet invite à prendre des vacances, à quitter les villes pour la campagne, la mer ou la montagne. Dans ses bagages, des livres, pour voyager plus loin, changer d’époque et de lieux. Télérama vient récemment de révéler les 100 livres préférés de sa rédaction. « 100 livres pour une bibliothèque idéale » titre le magazine. Existe-t-elle ? Je pense que non. Une bibliothèque n’est jamais idéale car toujours en devenir, agrandie par la découverte de nouveaux livres.
Dans la sélection que publie Télérama, certains m’interpellent. Je ne les ai pas tous lus mais “Le Maître et Marguerite” de Mikhaïl Boulgakov, “Ada ou l’ardeur” de Vladimir Nabokov et “Le Maître du Haut Château” de Philip K. Dick, des incontournables, sont à placer dans vos valises. Je vous invite également à découvrir deux ouvrages de ma propre bibliothèque “Le Temps où nous chantions” de Richard Powers et “Les Saisons de la nuit” de Colum McCann. Le premier aborde le racisme de l’Amérique à travers le destin de trois enfants aux ascendances juives et noires. Ses nombreuses pages sur la musique sont admirables. Consacré aux sans-abri qui vivent dans les tunnels qu’empruntent les trains traversant New-York, le second est tout aussi émouvant.
Comme chaque année à la même époque, ce blog sera prochainement mis en sommeil. Soyez prudents, portez des masques et bonnes lectures.
*Le club organise en juillet et en août son festival Pianissimo. Au programme de cette XVème édition, les pianistes Jackie Terrasson (le 3 et le 4 juillet), Paul Lay (le 7 et le 8), Fred Nardin (le 10 et le 11), Alain Jean-Marie (le 15 et le 16) , Laurent de Wilde (le 23 et le 24), Leila Olivesi (le 25), Yonathan Avishai (le 28 et le 29), Vincent Bourgeyx (le 30), Carine Bonnefoy (le 31), Pierre de Bethmann (le 4 et le 5 août), Franck Amsallem (le 6), Baptiste Trotignon (le 7 et le 8), Marc Benham (le 11), Laurent Coulondre (le 12 et le 13), Benjamin Moussay (le 19), René Urtreger (le 21 et le 22) et Ramona Horvath (le 23) pour ne citer que ceux qui m'interpellent. La plupart de ces pianistes sont attendus en trio. Ramona Horvath, Leila Oliveisi et Franck Amsallem se produiront en quartette. Benjamin Moussay présentera en solo “Promontoire”, son premier disque pour ECM). Deux concerts par soir en général. En outre, le trio de Laurent Courthaliac animera des jam sessions tous les lundis de juillet et les lundis 3, 10 et 17 août (entrée gratuite). On consultera le site du Sunside pour les horaires et le programme complet du festival.
**Thomas Enhco (piano) et Stéphane Kerecki (contrebasse) sont attendus au Duc des Lombards les 15 et 16 juillet et le Florian Pellissier Quintet les 17 et 18 (concerts à 19h30 et 21h45).
-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com
-Duc des Lombards : http://www.ducdeslombards.com
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