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12 novembre 2021 5 12 /11 /novembre /2021 10:19
Alexis Valet © Audrey Radas -

Alexis Valet © Audrey Radas -

Que de disques depuis septembre ! S’ils se bousculent dans mon lecteur de CD, certains accrochent davantage l’oreille, interpellent plus que d’autres. Intrigué, on  revient sur un album, on prend le temps d’une seconde, voire d’une troisième écoute pour pleinement l’apprécier. Il révèle alors ses couleurs, ses harmonies, la richesse de ses rythmes, la beauté de ses arrangements. Deux des sept disques dont vous trouverez ici les chroniques ont été enregistrés par des vibraphonistes. L’instrument s’impose aujourd’hui sous les mailloches d’une nouvelle génération de musiciens. Le batteur Jorge Rossy l’a adopté. Les américains Joel Ross et Peter Schlamb, le pratiquent, de même que les français Simon Moullier et Alexis Valet ici même en photo(s). Au sein de cette sélection d’albums récents, “Back to the Moon” de Thomas de Pourquery date de septembre mais j’ai tardivement découvert sa musique : du jazz, de la pop, un amalgame de genres et d’influences dans un réjouissant disque concept tel qu’il en sortait dans les années 60 et 70.

Producteur aux grandes oreilles, Jean-jacques Pussiau me fit écouter les premiers disques en solo du pianiste suisse René Bottlang rue Liancourt, “In Front” puis “At the Movies” qui sortirent sur Owl Records au début des années 80. En 2003, Jean-Paul Ricard de l’ajmi me fit parvenir “Solongo”, également en solo, enregistré après un séjour de deux ans en Mongolie au cours duquel René rencontra Solongo son épouse dont il nous conte aujourd’hui les rêves. Solongo Dreams est en effet la plage d’ouverture de “Buenos Aires”, qui paraît aujourd’hui sur Meta Records, un album solo enregistré en 2015 à Buenos Aires lors d’un périple d’un mois en Argentine. Car bien qu’habitant depuis 1978 dans le sud de la France, René Bottlang continue de voyager, d’y ramener des souvenirs, de courtes histoires musicales dont on suit pas à pas le libre et passionnant cheminement harmonique. Le pianiste nous décrit des visages, des paysages, des sensations. Il le fait en poète, avec délicatesse et pudeur. Une bonne moitié des morceaux sont des impromptus. Impossible de se rendre compte de ce qui est improvisé de ce qui ne l’est pas, mais la musique, douce et belle, à la croisée du classique et du jazz, ne se réfère nullement au folklore argentin. Blowing in the Wind de Bob Dylan et Nostalgia in Times Square de Charles Mingus complètent ce disque très attachant.

Bill Carrothers joue certes du piano dans les disques de Peg, son épouse et dans “La musique d’Alan” (Vision Fugitive), bande-son de 2019 dessinée par Emmanuel Guibert, mais ses propres disques se font rares. Bill quitte rarement la petite ville du Michigan qu’il habite et que la neige recouvre les mois d’hiver. La sortie de “Firebirds” (La Buissonne) est donc inattendue. Le pianiste y rencontre Vincent Courtois dont le violoncelle fait merveille au sein du trio qu’il partage avec les saxophonistes Daniel Erdmann et Robin Fincker. Leur ingénieur du son, Gérard de Haro, connaît tout aussi bien Bill Carrothers et a eu la bonne idée de réunir ces deux grands musiciens qui n’avaient jamais joué ensemble. “Firebirds” rassemble compositions originales et standards. Deux versions fort différentes d’Aqua y Vinho, un thème d’Egberto Gismonti, l’ouvrent et le referment. Dans la première, le pied enfoncé sur la pédale centrale de son piano, Bill étouffe volontairement ses accords alors que le violoncelle strie l’espace, semble l’ouvrir à grands coups d’archets. Invité sur deux plages, le saxophoniste Éric Seva enrichit Isfahan de Duke Ellington d’un beau chorus de baryton. Introduit en pizzicato par Vincent, Circle Game de Joni Mitchell est un autre moment fort de l’album. De même que 1852 mètres plus tard, précédemment enregistré par Vincent Courtois dans “West” (2014), un autre disque du label La Buissonne. Sa mélodie est magnifique et sa nouvelle version inoubliable.

Hermon Mehari & Alessandro Lanzoni © James O'Mara

Hermon Mehari & Alessandro Lanzoni © James O'Mara

À la trompette, Hermon Mehari, musicien américain né à Dallas en 1987. Demi-finaliste de la Thelonious Monk Competition en 2014, il s’est installé à Paris deux ans plus tard et vient de se faire remarquer auprès de la chanteuse Estelle Perrault. Le pianiste italien qui l’accompagne est Alessandro Lanzoni, né à Florence en 1992 et auteur en 2019 d’un remarquable enregistrement en trio pour Cam Jazz, (“Unplanned Ways”). “Arc Fiction”, un album du label et collectif MIRR, nous donne l’occasion de découvrir leur musique faite d’échanges, de moments improvisés ressentis comme écriture musicale, leurs compositions ressemblant souvent à des improvisations. Un piano ferme et mobile assoit la  tonalité et accompagne avec bonheur une flamboyante trompette dont les acrobaties techniques nourrissent un Donna Lee spectaculaire. Chantante dans Savannah, fiévreuse dans Bostom Kreme, abstraite dans Reprise in Cathartic, poétique dans Penombre et End of the Conqueror, la musique de ce disque reste surtout très séduisante.

Thomas de Pourquery / Supersonic © Floriane de Lassée & Nicolas Henry

Thomas de Pourquery / Supersonic © Floriane de Lassée & Nicolas Henry

Back to the Moon” (Lying Lions Productions) se distingue nettement des autres disques de jazz publiés cette année. Par ses chorus, par la place qu’y occupent les instruments à vent – saxophones, trompette, bugle –, il relève du jazz au sein d’une instrumentation foisonnante comprenant claviers, synthétiseurs et effets électroniques. L’importance accordée aux voix ancre tout autant l’album dans la musique pop, celle de Space Oddity de David Bowie, de l’album “Dark Side of the Moon” du Pink Floyd, la batterie confiée au volcanique Edward Perraud, le Keith Moon du Jazz, lui apportant une grande variété de rythmes. Des chansons (le magnifique Yes Yes Yes Yes), des pièces chorales hautes en couleur (I Gotta Dream), constituent une large partie du répertoire. Thomas de Pourquery n’en est pas le seul chanteur. Les musiciens de son groupe, Supersonic, contribuent aux vocaux, Berlea Bilem assurant le lied de O Estrangeiro composé par Caetano Veloso. Car c’est à un véritable voyage musical que nous invite cet album soigneusement travaillé en studio, un opus jubilatoire d’un grand lyrisme. Thomas de Pourquery, foulera-t-il bientôt le sol lunaire avec l'astronaute Thomas Pesquet ? On l’ignore, mais son disque inclassable, aussi brillant qu’une étoile, est déjà sur orbite.

À Genève où il s’installa au début des années 80, le batteur Alvin Queen accompagna souvent les musiciens américains de passage, mais c’est Copenhague qu’il célèbre dans “Night Train to Copenhagen” (Stunt Records), un disque en trio produit par le pianiste Niels Lan Doky. On découvre deux musiciens prometteurs, le pianiste suédois Calle Brickman et le contrebassiste danois Tobias Dall, des musiciens du nord de l’Europe qui jouent un jazz bien trempé dans le blues et le swing, un jazz de facture classique qui s’écoute toujours avec bonheur. S’il accompagna les plus grands, Alvin Queen fut aussi le dernier batteur d’Oscar Peterson. Cet album est donc aussi un hommage au pianiste, “Night Train to Copenhagen” réunissant une partie du répertoire de “Night Train” et de “We Get Requests”, deux des plus célèbres disques de Peterson. Calle Brickman ne possède certes pas l’immense virtuosité de ce dernier. Il produit toutefois un swing sans faille dans les morceaux rapides et révèle un sensible et délicat toucher dans les ballades. Influencé par Elvin Jones qui lui permit un soir de 1962 de jouer avec Coltrane, Alvin Queen n’en possède pas moins un jeu personnel. Il sait mettre en en valeur les timbres de son instrument. Sa frappe est ferme mais sans lourdeur. Son soutien précis et diversifié donne des ailes à son jeune pianiste.

Jorge Rossy Trio © Daniel Dettwiler / ECM Records

Jorge Rossy Trio © Daniel Dettwiler / ECM Records

Après avoir été le batteur du premier trio de Brad Mehldau, Jorge Rossy se consacre aujourd’hui au vibraphone et au marimba sans délaisser toutefois la batterie puisqu’il en joue dans “Uma Elmo”, un enregistrement récent du guitariste Jakob Bro. Dans “Puerta” qui vient de paraître sur ECM, il utilise ces deux nouveaux instruments avec une grande économie de moyens. Les deux musiciens qui l’accompagnent, Robert Landfermann à la contrebasse et Jeff Ballard à la batterie, interviennent toujours à bon escient dans cette musique tranquille qui prend le temps de respirer. Jorge Rossy en a composé tous les morceaux sauf Cargols, écrit par Chris Cheek, saxophoniste avec lequel il a souvent travaillé. Maybe Tuesday est construit sur les accords de The Man I Love de Gershwin et Puerta qui donne son nom à l’album a été écrit dans un hôtel londonien, juste avant que Rossy ne quitte le trio de Mehldau pour ouvrir un nouveau chapitre d’une carrière décidément fructueuse.   

Alexis Valet / Antoine Paganotti / Luca Fattorini © Audrey Radas

Alexis Valet / Antoine Paganotti / Luca Fattorini © Audrey Radas

Instrument mélodique mais aussi percussif, le vibraphone semble aujourd’hui renaître sous les mailloches de jeunes musiciens. Alexis Valet est l’un d’entre eux. Il a découvert le jazz à l’écoute de Miles Davis, Charles Mingus et Dave Brubeck. Un enracinement qui n’affecte en rien la modernité de sa musique. “Explorers” son nouvel album pour Jazz&People, le second de sa discographie, en témoigne. Compositions originales et standards – Dr. Jackle de Jackie McLean relevant du bop, Fall de Wayne Shorter, Dixie’s Dilemna de Warne Marsh – en constituent le répertoire, chaque thème donnant lieu à une improvisation crée dans l’incertitude de l’instant. Quatre morceaux sont interprétés en trio avec Luca Fattorini à la contrebasse et Antoine Paganotti à la batterie. Le pianiste Bojan Z et le saxophoniste néerlandais Ben Van Gelder au timbre si singulier à l’alto s’invitent dans les autres, trois plages les réunissant tous. Hats and Cards contient de savoureux dialogues vibraphone / saxophone alto et What’s Next envoûte par la répétition de sa ligne mélodique, son habile balancement rythmique. Ici, la modernité des métriques n’étouffe pas le swing mais le renforce et plonge cette belle musique dans le rythme.

 

Photos : Alexis Valet © Audrey Radas - Hermon Mehari & Alessandro Lanzoni © James 0'Mara - Thomas de Pourquery / Supersonic © Floriane de Lassée & Nicolas Henry - Jorge Rossy Trio © Daniel Dettwiler / ECM Records - Alexis Valet / Antoine Paganotti / Luca Fattorini © Audrey Radas

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