Ils existent depuis 2009 et si je consacre aujourd’hui moins de temps à ce blog, je n’allais pas faire patienter davantage ceux d’entre vous qui les attendent comme chaque année en décembre. Ce ne sont pas les Prix de l’Académie du Jazz issus des votes d’un collège de journalistes qui seront remis début février si le variant Omicron ne joue pas les trouble-fête, mais les miens, mes propres choix, mes propres Chocs. Les musiciens de cette sélection ne vous sont pas inconnus. Bill Carrothers et Vincent Courtois (pour la première fois ensemble dans un album), Vijay Iyer, Joe Lovano (avec Enrico Rava en 2019 et Steve Kuhn en 2009), Enrico Pieranunzi et bien sûr Marcin Wasilewski déjà récompensé l’an dernier ont déjà figuré dans ce palmarès.
Ce blog ayant toujours eu pour vocation de découvrir de nouveaux talents, les pianistes Baptiste Bailly et Grégory Ott que vous n’êtes pas encore nombreux à connaître accèdent donc cette année au sommet du podium. Si le saxophoniste Vincent Lê Quang est présent dans de nombreux disques, “Everlasting”, le premier qu’il enregistre sous son nom, est à marquer d’une pierre blanche. Des albums, Russ Lossing en a fait beaucoup et si j’ai regretté de ne pouvoir inclure “Changes” dans ma sélection de 2019, “Metamorphism” mérite ici sa place. Enfin, mieux vaut tard que jamais, Martial Solal, dont j’admire le piano depuis la découverte de ses disques au début des années 80, méritait un grand coup de chapeau à l’occasion de la parution des meilleurs moments de son concert à Gaveau de janvier 2019, un concert historique à propos duquel je ne suis pas peu fier de pouvoir dire : « j’y étais ».
Bonnes fêtes à tous et à toutes.
12 nouveautés…
Baptiste BAILLY : “Suds”
(Neuklang / Big Wax)
Chronique dans le blog de Choc le 30 juillet
Un jazz de chambre élégant à mi-chemin entre la musique impressionniste de Claude Debussy et celle de Manuel de Falla, un disque en solo, le premier que fait paraître Baptiste Bailly, dans lequel les cordes métalliques du piano sont parfois utilisées comme une guitare. Baptiste utilise aussi avec parcimonie un Moog, des effets électroniques apportant alors une dimension orchestrale à ses morceaux. L’Espagne et sa musique y occupent une place importante, mais aussi les paysages chers à son cœur du plateau des Hautes-Chaumes du Forez (Loire). La tendre et exquise mélodie d’Amari qu’il chantonne referme un disque envoûtant d’une grande puissance poétique.
Bill CARROTHERS / Vincent COURTOIS : “Firebirds”
(La Buissonne / Pias)
Chronique dans le blog de Choc le 12 novembre
Dans “Firebirds” le pianiste Bill Carrothers rencontre le violoncelliste Vincent Courtois, une initiative de Gérard de Haro qui connaît bien ces deux grands musiciens qui n’avaient jamais joué ensemble. L’album rassemble compositions originales et standards. Invité sur deux plages, le saxophoniste Éric Seva enrichit Isfahan de Duke Ellington d’un beau chorus de baryton. Autres moments forts de cet enregistrement, Game de Joni Mitchell introduit en pizzicato par Vincent Courtois, et 1852 mètres plus tard, précédemment enregistré par ce dernier dans “West” en 2014.
Andrew CYRILLE Quartet : “The News”
(ECM / Universal)
Chronique dans le blog de Choc le 4 octobre
Le batteur Andrew Cyrille, 83 ans, fait paraître “The News”, un album de jazz moderne à l’atmosphère toute aussi singulière que celle de “The Declaration of Musical Independence”, son disque précédent. Outre David Virelles qui remplace au piano Richard Teitelbaum, le quartette du batteur comprend Ben Street à la contrebasse et Bill Frisell à la guitare. Les couleurs, les sonorités souvent aériennes qu’il tire de son instrument apportent beaucoup à la magie de cette musique ouverte et intimiste que le drive foisonnant du batteur et le piano inattendu de Virelles enrichissent. Frisell signe trois compositions. Parmi elles, Go Happy Lucky, déjà enregistré en solo sur son disque “Music Is” en 2017.
Vijay IYER : “Uneasy”
(ECM / Universal)
Chronique dans le blog de Choc le 25 juin
Un nouveau trio pour le pianiste Vijay Iyer qui retrouve ici la bassiste Linda May Han Oh et le batteur Tyshawn Sorey avec lesquels il joue depuis 2019. L’album contient huit compositions originales du pianiste écrites sur une période de vingt ans. S’y ajoutent une reprise très originale de Night and Day de Cole Porter et Drummer’s Song de la regrettée Geri Allen. Loin de jouer ici une musique abstraite, Vijay Iyer renoue avec un jazz mélodique accessible à tous. Piano et contrebasse dialoguent souvent avec bonheur, le jeu souvent mélodique de cette dernière enrichissant sensiblement la musique. Touba est d’un grand lyrisme et, improvisé en solo, Augury séduit par son exquis raffinement harmonique.
Vincent LÊ QUANG : “Everlasting”
(La Buissonne / Pias)
Chronique dans le blog de Choc le 30 juillet
Vincent Lê Quang (saxophones ténor et soprano) fut découvert par Daniel Humair avec lequel il enregistra plusieurs disques dont le remarquable “Modern Art” en trio avec Stéphane Kerecki et plus récemment “Drum Thing” d’une qualité presque égale. Le quartette qui l’entoure dans “Everlasting” existe depuis une douzaine d’années. Le pianiste Bruno Ruder fut avec lui membre du trio Yes is a Pleasant Country. Le bassiste Guido Zorn joue avec Ruder dans “Gravitional Waves”, une autre réussite du label La Buissonne. Avec le batteur John Quitzke pour compléter la formation, nos quatre musiciens assument un discours tranquille et fluide, l’improvisation prenant souvent le pas sur l’écriture, simple colonne vertébrale d’une musique inventée collectivement.
Russ LOSSING : “Metamorphism”
(Sunnyside / Socadisc)
Chronique dans le blog de Choc le 25 juin
Mal distribués, la plupart des nombreux disques de Russ Lossing sont hélas passés inaperçus. Dans “Metamorphism”, le pianiste retrouve des musiciens avec lesquels il a souvent joué et enregistré. On doit à l’excellent saxophoniste Loren Stillman plusieurs albums mémorables parmi lesquels “How Sweet It Is” et “Canto”, tous deux enregistrés avec Lossing. John Hébert, le bassiste de Fred Hersch, et le batteur Michael Sarin constituent une section rythmique élastique capable de se plier aux nombreuses variations que les solistes imposent à la musique, un jazz moderne d’une grande richesse mélodique ouvert aux dissonances et à tous les possibles.
Joe LOVANO / Trio TAPESTRY : “Garden of Expression”
(ECM / Universal)
Chronique dans le blog de Choc le 25 juin
Autour du saxophoniste Joe Lovano (ténor et soprano), le Trio Tapestry réunit la pianiste Marilyn Crispell et le batteur Carmen Castaldi. “Garden of Expression”, leur second disque, invite toujours à méditer mais est d’une plus grande portée spirituelle que le premier, un disque de 2019 déjà envoûtant. Un flux sonore distendu de notes apaisées et mélancoliques que colore le batteur enveloppe constamment l’auditeur. Celles raffinées du piano se mêlent au chant des saxophones. Composée par Lovano, mais transcendée par le jeu interactif du trio, la musique étale ses couleurs, ses harmonies sereines, dessine des paysages oniriques qu’il fait bon écouter.
Grégory OTT : “Parabole”
(Jazzdor / L’autre distribution)
Chronique dans le blog de Choc le 25 juin
J’ignorais tout de ce pianiste strasbourgeois avant de recevoir ce disque en solo, une relecture aussi décalée qu’inventive de la bande-son du film de Wim Wenders “Les ailes du désir” (“Der Himmel über Berlin”). Ne cherchez pas à comparer sa musique avec celle de Jürgen Knieper que l’on entend dans le film. Grégory Ott pose sur ses images ses propres mélodies, ses visions musicales traduisant parfaitement la poésie du scénario de Peter Handke : un ange tombe amoureux d’une trapéziste et choisit de devenir mortel. Superbement enregistré par Philippe Gaillot, “Parabole” baigne dans le blues et bénéficiant d’harmonies délicates, sa musique nous invite à rêver.
Enrico PIERANUNZI Jazz Ensemble : “Time’s Passage”
(abeat / UVM)
Chronique dans le blog de Choc le 25 juin
Enrico Pieranunzi enregistre beaucoup mais ne fait jamais de mauvais disque. Dans “Time’s Passage”, une formation largement italienne joue ses compositions et quelques standards, deux versions de In the Wee Small Hours of the Morning nous étant proposées. André Ceccarelli retrouve ici la chanteuse Simona Severini qu’il accompagne dans “Monsieur Claude”, un autre grand disque du Maestro. Chanté en français et bénéficiant de sa voix troublante, Valse pour Apollinaire est l’un des grands moments d’un album au sein duquel le piano enchanteur d’Enrico dialogue avec bonheur avec le vibraphone d’Andrea Dulbecco, révélation d’un opus flamboyant.
Martial SOLAL : “Coming Yesterday”
(Challenge / DistrArt Musique)
Chronique dans le blog de Choc le 25 juin
La Salle Gaveau est archi pleine, ce 23 janvier 2019. Pour rien au monde un amateur de piano n’aurait manqué ce concert de Martial Solal, son dernier. Enregistré par les micros de Radio France, “Coming Yesterday” fait entendre un piano espiègle mélangeant allègrement rythmes et tonalités sur des standards inusables bousculés avec humour. Jonglant constamment avec ses notes, s’autorisant bien des digressions, Martial reprend en début de concert I Can’t Get Started « pour s’en débarrasser », et s’amuse avec Frère Jacques rebaptisé Sir Jack. Sa mémoire vagabondant sans jamais se perdre, il nous offre un feu d’artifices de citations, mélodies qu’il transforme et harmonise au gré de son intarissable fantaisie.
UMLAUT BIG BAND : “Mary’s Ideas”
(Umlaut Records / L’autre distribution)
Chronique dans le blog de Choc le 4 octobre
Orchestre de quatorze musiciens, le Umlaut Big Band remonte le temps. Après un album consacré à Don Redman (1900-1964), la formation consacre avec “Mary’s Ideas” un double CD à Mary Lou Williams (1910-1981). Pianiste et arrangeuse des Twelve Clouds of Joy, cette dernière écrivit pour de nombreuses formations dont celles de Benny Goodman et de Duke Ellington. Irriguée par le blues, son œuvre d’une étonnante modernité, parfois inspirée par Cecil Taylor – Zoning Fungus II qui explore les potentialités sonores du piano – nous est ici présentée de manière thématique, un passionnant livret accompagnant deux disques enthousiasmants enregistrés en janvier 2021 à la Philharmonie de Paris.
Marcin WASILEWSKY : “En attendant”
(ECM / Universal)
Chronique dans Jazz Magazine n°742
En août 2019, profitant de l’enregistrement d’“Arctic Riff” au studio La Buissonne, un disque en quartette avec le saxophoniste Joe Lovano le trio du pianiste polonais Marcin Wasilewski – Slawomir Kurkiewicz (contrebasse) et Michal Miskiewicz (batterie) – enregistra d’autres versions de Glimmer of Hope et de Vashkar (Carla Bley), ainsi qu’une sélection de préludes et fugues empruntés aux Variations Goldberg de Bach et le Riders on the Storm des Doors. Trois improvisations collectives de l’album (In Motion Part I, II & III) s’y ajoutent et témoignent de la parfaite interaction qui règne au sein de ce trio fondé en 1993 par un pianiste au jeu modal et inspiré, sensible aux moindres murmures de la contrebasse et de la batterie.
Et un inédit :
Frank KIMBROUGH : “Ancestors”
(Sunnyside / Socadisc)
Chronique dans Jazz Magazine n°743
Pianiste attitré du Maria Schneider Orchestra et auteur d’une vingtaine de disques sous son nom, Frank Kimbrough, décédé en décembre 2020, nous laisse cet album posthume de 2017 qui nous fait regretter sa disparition prématurée à l’âge de 64 ans. Pratiquant un jeu mélodique et conversant constamment avec lui, Masa Kamaguchi, le bassiste de “Play”, album dont trois des morceaux sont repris ici, enrichit avec bonheur ce jazz modal joué avec un art consommé de la nuance, des plages très lentes baignant dans une douce mélancolie. Le troisième homme, Kirk Knuffke, joue du cornet et souffle peu de notes pour mieux les chanter, Eyes étant largement consacré à son instrument.
Photo : “Les Paparazzi à l’arrivée d’Anita Ekberg” © 1960 La Dolce Vita – Riama Film – S.N. Pathé Cinéma – Gray Film.